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Le sursaut nécessaire

Libre opinion du Général (2S) Dominique MARIOTTI
LIBRE OPINION du Général (2s) Dominique MARIOTTI : LE SURSAUT NECESSAIRE

Quand une institution ne se sent pas bien et traverse « une crise », la tendance est souvent d’évoquer le manque de moyens auquel elle est confrontée pour accomplir sa mission. La Justice manque de juges, l’Education manque de professeurs, l’Hôpital manque d’infirmiers, l’Armée manque de soldats… Bref, tout le monde manque de personnel, d’argent pour le payer et pour le former, de matériel pour l’équiper… etc. ! Cela est sans doute vrai dans bien des cas mais il y a aussi d’autres facteurs de malaise qui sont souvent mis sous le boisseau parce qu’ils mettent en cause la pertinence et la cohérence des politiques qui les gouvernent. Au premier rang de ces facteurs figurent sans doute le manque de vision et l’absence d’objectifs suffisamment clairs pour être compris de tous.

En ce qui concerne plus particulièrement la politique de défense, le caractère gribouille des décisions prises au gré des événements de ces dernières années est pour le moins inquiétant. Les Livres blancs qui se sont succédés depuis la désormais mythique chute du Mur de Berlin soulignent la dangerosité d’un monde dépolarisé et nous invitent paradoxalement à la réduction de nos efforts de défense… ! Un attentat survient-il dans nos murs que l’on prend la décision de réduire un peu moins nos effectifs que prévu tout en faisant croire au gogo qu’il s’agit d’une mesure courageuse et très significative.

Les chefs d’états-majors de nos armées définissent à grand bruit un seuil de forces en-dessous du quel il n’est plus possible d’assurer la mission. L’année suivante on ne s’en souvient plus, et l’année d’après encore moins. Un nouveau Livre blanc est écrit qui remet les compteurs à zéro et ainsi de suite… Le citoyen peut légitimement se demander s’il y a un pilote dans l’avion.

Il s’agit donc d’un problème de volonté politique et de commandement, bref, de prise de responsabilité. Et la question est de savoir comment sortir de ce discours absurde, en vogue dans certains milieux, qui prétend que l’on peut appliquer à la constitution et à la conduite des forces armées une logique uniquement comptable. Ce ne sera pas facile parce que cette confusion règne depuis longtemps.

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Les forces armées constituent un ensemble qui, pour être cohérent, ne peut dissocier la quantité de la qualité. Raisonner en nombres de bataillons n’est pas plus pertinent de nos jours qu’il ne l’était hier si personne n’est capable de les employer avec intelligence. Mais toute l’intelligence d’un stratège ne saura vaincre l’ennemi s’il ne dispose d’aucune force pour le faire. C’est de cette équation qu’il s’agit toujours dans le dialogue entre le pouvoir politique et les chefs militaires. Encore faut-il que tous les acteurs se comprennent et parlent le même langage. Lorsque les politiques n’ont plus la moindre idée de ce que représente le maintien des capacités des forces et de l’effort permanent de préparation et de mise en condition qu’il implique, l’échange tourne immanquablement au dialogue de sourds et provoque les catastrophes dont l’Histoire ne manque pas d’exemples.

Pour notre pays, et compte-tenu des responsabilités mondiales qu’il nous appartient d’honorer, les menaces sont nombreuses et protéiformes. Nos capacités militaires ne peuvent être improvisées lorsque les crises surviennent ou remises en causes en permanence au gré des postures politiciennes. L’intelligence veut qu’un outil militaire robuste, cohérent et bien adapté au poids que l’on entend peser sur la balance internationale soit maintenu dans la durée. Car seule la durée des structures de commandement et des unités de combat permet aux états-majors de se préparer et d’entraîner les forces à réagir rapidement et efficacement aux menaces. Tout le monde sait le rôle tragique que les remaniements désordonnés des chaînes de commandement des unités françaises à la veille de la deuxième guerre mondiale ont joué dans la débâcle de juin 1940.

Il faut donc cesser immédiatement d’éreinter nos armées dans un processus permanent de réformes aussi coûteuses qu’inutiles. Il faut laisser les militaires travailler et se préparer aux opérations dont c’est la mission.

Il faut assurer sans délai l’ensemble de la communauté militaire d’une condition sociale et matérielle à la hauteur de la disponibilité que l’on exige d’elle.

Il faut assurer maintenant et dans la durée le volume des effectifs et des équipements afin que ceux qui sont en opération soient en sécurité, que ceux qui doivent se remettre en condition puissent le faire en toute sérénité et que ceux qui se préparent à entrer en campagne puissent s’entraîner avec le maximum d’efficacité.

Ces impératifs participent du devoir régalien de l’Etat. S’il n’est pas en mesure de le remplir, les volontaires pour les armées se feront de plus en plus rares dans toutes les catégories.

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Alexis de Tocqueville, parfois nostalgique des grandes vertus féodales, était acquis à la démocratie. Il en mesurait la grandeur mais aussi les dangers, surtout ceux de la fugacité des opinions qui ne s’attachent qu’au bien-être érigé en culte. Il comprenait que ceux qui se présentent aux suffrages du peuple ne pourraient promettre que de satisfaire son goût du confort. Comment peut-on alors imaginer que le politique et le soldat puissent parler la même langue ? Si Molière revenait parmi nous, il en ferait une comédie qui nous amuserait beaucoup. On y parlerait en « éléments de langages ». On compterait « les dividendes de la paix ». On inciterait au retour sur « le cœur de métier » ! On y verrait un maréchal-de-camp, couvert de plumes, maudire Louvois aux écuries et lui cirer les bottes dans l’antichambre du roi.

Le dialogue entre le politique et le militaire sur les effectifs et les équipements est souvent difficile mais il ne faut pas que le militaire de son côté se complique la vie, et surtout celle des échelons subalternes, par des réformes internes saugrenues et d’une efficacité douteuse. Il ne faut pas qu’il invente à son tour, par on ne sait trop quel zèle, un langage et des concepts qui ne soient que le reflet de la mode et du snobisme ambiant. Il est impossible aujourd’hui de savoir qui est à l’origine de cette dilution des responsabilités dans la fragmentation du commandement qui a prévalu à la création des bases de défenses, par exemple. On a fait fi en trop peu de temps d’un élément culturel de notre armée de terre qui remontait à Richelieu : le régiment. Nous ne reviendrons pas une fois encore sur cette révolution inutile et bâclée mais, à travers cela, nous nous interrogerons sur cette tendance générale qui semble vouloir empêcher les officiers de commander. Tout se passe souvent comme si il était impossible de savoir qui commande quoi. Et l’on peut se demander à qui profite ce manque de clarté. Certainement pas au soldat. Et c’est là le crime !

Quand un soldat, dans le djebel, n’a pas les souliers qui conviennent ou quand il a des munitions défectueuses pour son fusil d’assaut, il doit bien y avoir un responsable quelque part. Quand son épouse et ses enfants, en base arrière, ne reçoivent pas la solde, il doit bien y avoir un responsable quelque part. Et quand on nous explique que la remise en ordre du système informatisé de la solde va coûter aux contribuables des millions d’euros, il doit bien y avoir un responsable quelque part. Comme plus personne n’a le droit de commander, personne n’est responsable.

Il faut impérativement rétablir l’autorité et les responsabilités hiérarchiques à la manière dont les avait définies le général LAGARDE en 1975. Il faut que le chef d’état-major des armées se cramponne de toutes ses forces au décret n° 2009-869 du 15 juillet 2009 qui définit clairement ses attributions. Et il faut soumettre sans équivoque ceux qui soutiennent à ceux qui combattent.

Il faut que les chefs militaires placent les politiques devant leurs responsabilités sans la moindre complaisance. Ils y perdront certainement leurs étoiles mais garderont leur honneur. Car pour un officier, il n’y a pas de chuchotements de cabinet quand il s’agit des soldats et « du succès des armes de la France ». Le politique a horreur d’être mis face à ses responsabilités, surtout en matière de défense. C’est la raison pour la quelle l’information est extrêmement contrôlée dans ce domaine. Personne ne laissera un chef militaire expliquer que ses unités, ses équipages ou ses pilotes sont sous- entraînés et épuisés ailleurs que face à une commission contrôlée et calfeutrée.

Les soldats doivent exiger que ceux qui les envoient au casse-pipe parlent le même langage qu’eux et qu’ils partagent les vertus que l’honneur leur impose.

Dominique MARIOTTI
Officier général (2S)