L’Italie est la mère et la Grèce l’aïeule

Rédigé par Jean-Noël BEVERINI le . Publié dans Culture.

 

 
Victor Hugo dont nous marquerons le 137° anniversaire de la mort le 22 mai prochain rappelait le 5 avril 1884, peu de temps avant son décès, un ancien vers qu’il avait écrit sans se souvenir précisément de la date :
 
«  L’Italie est la mère et la Grèce l’aïeule »
 
La phrase n’en a que plus de poids. Marseille aurait dû se souvenir de cet alexandrin du grand poète qui avait pris, en 1883, la défense des antiques arènes de Lutèce construites au II° siècle. Elles devaient être détruites après leur dégagement par des travaux de terrassement de la Compagnie Générale des Omnibus (1883-1885). Il ne s’agissait pas d’un projet de construction d’un immeuble d’habitation mais d’un dépôt de tramways.
 
Victor Hugo, admirable défenseur du patrimoine comme l’on sait, écrivit le 27 juillet 1883 au président du Conseil de Paris :
 
« Il n’est pas possible que Paris, ville de l’avenir, renonce à la preuve vivante qu’elle a été la ville du passé. Le passé amène à l’avenir. Le conseil municipal qui les détruirait se détruirait en quelque sorte lui-même ».
 
Le Conseil municipal acquit les vestiges qui furent classés Monument historique (arrêté du 31 mars 1884) et les sauva.
 
 
Que notre ville de Marseille n’a t-elle pris les mêmes décisions ! En refusant d’intervenir pour la protection du site de la Corderie, en favorisant, au contraire, la construction d’un immeuble par le Groupe Vinci, la ville de Marseille a renié, pour reprendre l’expression d’Hugo, « son aïeule » antique grecque.
 
Que n’avons-nous eu alors une levée de boucliers d’historiens, de professeurs d’histoire, passionnés du patrimoine, d’enseignants , de membres d’Institutions culturelles, de marseillais plus nombreux pour s’opposer à la braderie de notre passé pour du ciment qui ne cimente que notre ignorance ?
 
Déjà Solon, le grand législateur athénien du VI° siècle avant J.C. s’en prenait et fustigeait :
 
 « L’arrogance de ceux qui n’épargnent ni les biens sacrés, ni les biens publics ».
 
Que  penseraient aujourd’hui Solon et Victor Hugo de notre attitude, de notre abandon de la carrière grecque antique de la Corderie fondatrice de Marseille ?
 
Halte à l’élimination de notre patrimoine
 
En privant les marseillais de la vue de ce site exceptionnel, l’État et les Institutions régionales, départementales et locales qui ont approuvé sa décision d’élimination privent également d’un site fondateur Monaco, Nice, Antibes, Agde et tous les comptoirs fondés par Massilia à l’époque sur toute la côte méditerranéenne et qui sont des héritiers de Marseille.
Il convient de cesser au plus tôt désormais la destruction de notre patrimoine archéologique, architectural, historique et culturel.
 
Il est des villes en France et à l’Étranger qui sont des « conservatoires » d’archéologie et d’architecture. Nous ne pouvons continuer à être des « éliminatoires » en ces domaines. Sommes-nous conscients du jugement que portent sur nous tant de villes étrangères ? Allons-nous persister dans les destructions ? Un certain enthousiasme était né lors des découvertes des richesses archéologiques de notre sous-sol. Cet enthousiasme s’est vite transformé en désenchantement. Nous avons tant éliminé de notre passé, de notre histoire. Toutes ces récentes années.
 
Un futur bac à sable
 
Michel Villeneuve, éminent géologue, m’écrit ce 9 mai 2022 :
 
-« Selon moi, les roches de la carrière vont se désagréger à cause de l’absence de circulation des eaux de pluie. En effet, toute l’eau venant des pluies par l’amont sera piégée dans la carrière puisqu’elle ne pourra plus s’écouler vers l’aval à cause des constructions nouvelles, ni s’écouler vers le fond puisque la base de la carrière est argileuse, ni s’évaporer vers le haut s’il y a un film plastique. Donc l’eau va stagner dans la roche et se désagréger car celle-ci est très poreuse et mal consolidée. Si un jour on déterre cette carrière on y trouvera une carrière de sable pour le plus grand plaisir des enfants.
Bien cordialement.
Michel Villeneuve. »
 
Au moins tout ne sera pas perdu ! Nos futurs enfants s’amuseront sur la mémoire de notre histoire. Mais les résidants actuels savent-ils qu’ils vivent sur et en face d’un lac souterrain ?
 
Dernier appel face à l’abandon de l’État !
 
Dans  une société marquée par l’eugénisme, tout ce qui est vieux mérite d’être éliminé. À force d’éliminer ce que nous avons reçu par héritage, nous nous éliminons nous-mêmes.
 
Je m’interroge sur le fait d’adresser une lettre à notre actuel maire de Marseille. Nous nous rencontrions devant le site de la carrière de la Corderie pour nous opposer à son élimination. Je le sais homme d’honneur, de coeur et de conviction. Sauvons « les meubles ». Sauvons encore le peu qui peut être sauvé. Sauvons, au moins, quelques vestiges significatifs, significatifs, visibles, visibles par tous les marseillais et admirables. Je l’en remercie.
 
 
À Marseille, le 10 mai 2022
Jean-Noël Beverini