LES POLICIERS AU CŒUR DES VIOLENCES
Monsieur Pascal LALLE, (membre d'honneur de l'AACLE) a piloté,au cours des derniers mois (octobre 2019 à février 2020) un groupe de travail de 8 hauts fonctionnaires de la PN, membres de l'Association de Hauts Fonctionnaires de la Police Nationale (AHFPN), à la demande de son président, Christian SONRIER (directeur des services actifs de la préfecture de police - ancien directeur de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne) sur le thème des «policiers au cœur des violences».
L'AHFPN représente les quelques 350 hauts fonctionnaires de la PN (commissaires généraux, contrôleurs généraux, inspecteurs généraux et directeurs de service actif). Ce n'est pas un syndicat, mais le pendant de l'Association des membres du corps préfectoral ou de l'association professionnelle des magistrats.... Elle est de plus en plus sollicitée par le ministère de l'intérieur pour émettre des avis ou propositions sur le fonctionnement de la maison police et notamment dans le cadre du livre blanc sur la sécurité intérieure en cours d'élaboration. Elle exerce aussi une forme modérée de lobby à l'égard de quelques responsables politiques de haut niveau.
Ce rapport aurait du être débattu à l'occasion des "deuxièmes rencontres de l'AHFPN" en avril 2020. Cette manifestation est reportée au mois d'octobre en présence du secrétaire d'Etat auprès du ministre.
Le bureau de l'association a choisi de publier dans son bulletin périodique n° 50, la synthèse des travaux que Pascal a rédigée. Elle est donc publique car le bulletin a été diffusé aussi sur LinkedIn.
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Dans le cadre des réflexions qu'elle mène pour contribuer à l'amélioration du fonc- tionnement de la police nationale, et dans la droite ligne du livre blanc, l'association des hauts fonctionnaires de la police nationale a récemment mis en place un groupe de travail sur le thème « Les policiers au cœur des violences »
Ce groupe, présidé par Pascal Lalle (IGA et ex-DCSP) est composé de huit commissaires généraux, contrôleurs généraux et inspecteurs généraux de la Police nationale.
Cette étude porte, d'une part sur l'usage légitime de la force publique et, d'autre part, sur la prévention et la gestion des violences subies par les policiers, dans le cadre de la totalité du spectre de leurs missions (police du quotidien, maintien de l’ordre, services d’ordre, renseignement, investigation, terrorisme...).
Ces violences peuvent être physiques, morales ou psychologiques, individuelles ou collectives, portées par tous modes de passage à l'acte et susceptibles de générer un grave préjudice aux policiers, à leurs familles, comme à l'institution police nationale.
Après celle portant sur le thème « Quelle police pour demain ? » conduite en 2019 par le groupe présidé par Christian Lambert, cette nouvelle étude devait faire l'objet d'un rapport rendu public et débattu lors des « deuxièmes rencontres de l’AHFPN » initialement programmées en avril 2020.
Pour des raisons liées au Covid 19 et au confinement, ces rencontres n’ont évidemment pas pu avoir lieu. Elles seront reportées au mois d’octobre prochain, le même jour que la tenue de l’assemblée générale annuelle de l’AHFPN.
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SYNTHESE :
L’Association des Hauts Fonctionnaires de la police nationale (AHFPN) a choisi de traiter la question de la violence dans l’exercice de la mission de policier et de confier une étude sur le sujet à un groupe de hauts fonctionnaires dans la perspective de tenir un débat à l’occasion des « rencontres de l’AHFPN » organisées en 2020 et d’apporter une contribution aux ré- flexions conduites dans le cadre du livre blanc sur la sécurité en cours de préparation.
Si, historiquement, la violence a toujours existé au sein des sociétés, quelle qu’en soit la forme d’organisation, force est de reconnaître que, malgré les efforts accomplis pour la contenir, son expression multiforme touchant aussi bien les rapports sociaux, les modes de protestation que l’intimité familiale s’est fortement aggravée au cours des dernières décennies en France.
Cette aggravation touche plus particulière- ment les acteurs de terrain chargés d’une mission de service public et notamment les policiers confrontés à la majorité des manifestations violentes et à 75 % de la délinquance et la criminalité sur le territoire national. Dans la période récente, les violences à caractère terroriste, les violences de criminels et délinquants et les violences dites « urbaines » orientées contre ceux qui portent le symbole de l’État ont causé de graves préjudices physiques et psychologiques à plusieurs milliers de policiers.
Cette étude intervient dans un contexte particulier dû à une conjonction de phénomènes rarement constatée dans la période contemporaine tels qu’une menace terroriste aiguë depuis 2012, une réforme en profondeur des services de renseignement, une vague migratoire de grande ampleur, les drames de Magnanville, Viry-Châtillon et des Champs-Élysées où des policiers ont été exécutés de sang froid ou gravement blessés par des terroristes et des criminels.
Ce contexte est aussi marqué par des modifications de l’organisation du travail en cycle des policiers, des incertitudes sur l’organisation des services et leur capacité à travailler en transversalité ainsi que des attentes fortes sur les équipements individuels et collectifs, les moyens roulants, l’immobilier des services et les renforts en personnels des services de police généralistes.
Enfin, le groupe de travail a tenu compte des débats largement médiatisés sur la question des « violences policières » en raison de la gestion particulièrement difficile des manifestations des « gilets jaunes » qui ont exposé les policiers à un niveau de violence collective jamais atteint dans la période contemporaine.
La violence est consubstantielle à l’exercice du métier de policier pour plusieurs raisons.
L’État, qui a le monopole de l’emploi de la force légitime et donc de la violence légitime, délègue les forces de sécurité pour l’exercer dans le cadre des lois et règlements.
Par ailleurs, le policier est gestionnaire de situations de violence dans sa mission quotidienne. Il est aussi le symbole de l’autorité de l’État contre lequel se retournent les violences exprimées collective- ment (émeutes urbaines, violences urbaines...) ou individuellement (outrages, rébellion, violences contre les policiers individuellement ciblés) alors même que le rapport de certaines catégories de la population à l’ordre et à l’État est de plus en plus ambigu et de moins en moins confiant.
Dans le même temps, force est de constater que l’autorité de la loi est plus que jamais contestée, que l’autorité du représentant de l’État qu’est le policier n’est plus reconnue et que sa faculté à exercer une violence légitime est fortement contestée par l’opinion publique.
Le groupe de travail n’a pas souhaité inscrire sa réflexion dans le cadre des travaux sur la refonte du schéma du maintien de l’ordre. Toutefois, composé essentiellement de hauts fonctionnaires assumant des responsabilités opérationnelles et fin connaisseurs des réalités policières, il a souhaité examiner la question des violences subies et parfois commises par les policiers dans une approche globale.
C’est pourquoi, convaincu que les policiers sont au cœur des violences, il lui est apparu que la restau- ration de la confiance entre l’État - et ses policiers - et la population doit inéluctablement passer par des dispositions tendant à faire baisser les niveaux de tension et de violences tant au sein des services de police que dans la société.
Le rapport « Les policiers au cœur des violences » s’attache ainsi à distinguer le cadre des violences légitimes des situations de violences disproportionnées exercées par les policiers qu’il convient de prévenir et d’éviter par une meilleure application de la loi et par des dispositifs de formation et de management adaptés où les concepts de déontologie et de discernement doivent trouver toute leur place.
Il s’applique aussi à mettre en évidence que du soutien et de l’aide apportés aux policiers par leur institution dans des situations difficiles post-violences et de la restauration de l’autorité de l’État par une meilleure application de la loi, dépend leur plus ou moins grande capacité à prendre du recul et à mieux gérer les événements complexes auxquels ils sont confrontés au quotidien.
Il définit six orientations principales assorties de préconisations d’action :
Adopter une approche globale des violences au cœur de la mission de police
Tout en favorisant un renforcement du rôle de la hiérarchie, à tous niveaux, dans la préparation, l'organisation, le bon déroulement, l’évaluation des missions et dans la mise en œuvre des armes de force intermédiaire en situation de rétablissement de l’ordre public, il s’agira de pratiquer systématiquement les retours d’expérience de nature à réguler et adapter l’exercice de la violence légitime, de favoriser la prise de recul et l’optimisation du potentiel des policiers et de diversifier les modes d’intervention sur la voie publique pour mieux aborder les situations de confrontation.
Affirmer la place du droit dans le traitement des violences.
Cela passera par une meilleure formation initiale aux méthodes et spécificités des actions de police en situation de crise des magistrats et membres du corps préfectoral et une application de la loi plus stricte, à droit constant, à l’égard des agresseurs de policiers pour favoriser la reconnaissance de leur autorité symbolique et de celle de l’État.
Mettre en place une formation « continuée » partagée par tous les corps de la police nationale.
Il s’agira de recentrer formation initiale et formation au long de la carrière sur les principes de déontologie et les méthodes de discernement appliqués aux situations de police, de développer les mises en situation sur la gestion de la parole et des conflits afin de retarder ou d'éviter le recours à la force en situation de police, et faciliter l’appropriation de techniques de retour à des situations de confrontation plus apaisées.
Adopter une approche différenciée des modes d’intervention de police basée sur la maîtrise des techniques professionnelles et le discernement
En s’appuyant sur le concept « améliorer la maîtrise des activités et des risques » (AMARIS), il s’agira de mieux faire prendre en compte par l’ensemble des policiers, les préconisations issues des retours d’expérience (fiches alertes et fiches mémo) analysés à travers la pratique du discernement.
Mettre en place un suivi personnalisé et pérennisé des policiers victimes de violences
La création au sein de la direction générale de la police nationale d’un observatoire des violences subies par les policiers serait de nature à favoriser une politique managériale adaptée à leurs besoins comprenant notamment un meilleur suivi de la situation des policiers blessés tout au long de la carrière. La création de guichets uniques d’accès à un service de santé unifié et aux différentes modalités de pro- tection fonctionnelle faciliterait également l’accompagnement des policiers blessés.
Une communication de la Police nationale à développer pour mieux répondre aux mises en cause médiatiques
Il convient d’engager une réflexion sur les principes à appliquer en matière de droit à l'image des policiers en intervention et d’usage d’images contextuelles et de conduire, en priorité en dehors des situations de crise, des actions de communication externe sur la légitimité de l'usage de la force, le respect des règles de droit applicables aux grands rassemblements de foule et sur la notion de risque lié à toute action de police.
Propos recueillis par Constantin LIANOS, Président de l'AACLE
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