Fautes ou trahisons ? L’obsession otanienne.
L’OTAN, si nous voulons bien considérer sa substance, n’a plus aucune raison d’être depuis la disparition du Pacte de Varsovie et l’effondrement de l’URSS. Son maintien exprime donc désormais une perspective différente de sa légitime vocation originelle qui reposait sur la défense de l’Occident face à la réelle menace marxiste. Elle n’est donc plus défensive, mais s’est érigée en un instrument entièrement conduit par les États-Unis pour servir leurs intérêts. Elle est un faux-nez, ou plus exactement une caution obligée apportée par une trentaine de pays à la politique impérialiste des États-Unis, sans désormais plus aucune limitation géographique. Seule l’ONU pourrait y voir une concurrence, mais elle est paralysée par le conseil de sécurité où trois pays de l’OTAN, membres permanents, disposent d’un droit de véto. Nous pouvons déceler, dans cette impossibilité de contestation, les limites de cette organisation.
La France pendant 44 ans est demeurée à l’extérieur de l’OTAN et a pu, durant toute cette période, assurer sa dimension géopolitique sans encombre, trouvant dans chacune de ses interventions, là où l’offre se présentait, les soutiens et appuis qu’elle souhaitait, surtout pour des raisons davantage de confort opérationnel que de nécessité. Elle a bizarrement rejoint cette nouvelle forme d’organisation alors que le mur de Berlin était tombé et que l’URSS s’était écroulée. Cette démarche se traduit, en conséquence, par une adhésion délibérée à cette orientation nouvelle de l’Organisation atlantique. La France se soumet donc à ce qui est, de manière éclatante, une politique agressive des États-Unis à l’égard de tout pays qui pourrait seulement contester leurs choix géopolitiques et leur volonté de domination. Vouloir jouer au gaullisme et afficher ou tenter d’afficher une position différente de celle des États-Unis et de leurs alliés, dans les conflits généralement suscités par Washington, s’avère donc en incompatibilité absolue avec les entraves que la France s’est imposées. Ce n’est pas tenable. La France, dans cette situation ne peut faire autrement qu’avaliser les concepts imaginés outre-atlantique comme, par exemple, l’emploi d’armes nucléaires tactiques sur le sol européen, d’autant plus que plusieurs centaines d’officiers français sont insérés et impliqués dans les états-majors de l’organisation et qu’elle y exerce des responsabilités. Ce simple constat se pose en contradiction flagrante avec notre doctrine de dissuasion nucléaire, c’est à dire d’emploi en ultime recours de ce type d’armement.
La responsabilité de ce ralliement est partagée. Plusieurs hauts responsables français ont participé à cette trahison de la voie historique et essentielle de la France. Jacques Chirac, pourtant, apparemment, le plus patriote des derniers présidents et le plus proche d’une vision indépendante de la défense nationale, a entamé dès 1995, des négociations pour le retour de la France dans le commandement intégré de l’Alliance, soit dès son arrivée à la présidence de la République. Cette orientation du président de l’époque résonne de manière d’autant plus paradoxale qu’il a, simultanément, lancé une campagne d’essais nucléaires destinés à parachever le perfectionnement de notre arsenal atomique. Nous pouvons nous interroger sur ses motivations. En fait il ne se trouvait pas isolé dans cette intention de réintégration. D’autres politiques et quelques militaires ayant déjà coopéré avec les Américains sur le théâtre Centre-Europe soutenaient l’idée d’une Europe de la Défense qui aurait constitué le partenaire, à égalité, des forces nord-américaines. Malheureusement, pour cette réalisation, il fallait que les pays européens aient la même ambitieuse intention. Or, aucun d’entre eux ne souhaite, encore présentement, s’éloigner des États-Unis auxquels ils ont quasiment délégué leur sécurité. Aujourd’hui comme hier. Ils révèlent une habitude de dépendance sécuritaire reposant sur une confiance totale, dans les forces américaines, née durant la guerre froide. L’idée française n’avait d’emblée aucune chance de réussir car, s’ajoutait à cette hasardeuse soumission volontaire, le constat que chacun des États européens n’avait pas à investir les sommes qui auraient été nécessaires dans la restructuration et le renforcement de leurs armées. Les autorités françaises s’imaginaient faussement que la France pourrait prendre la tête d’une défense européenne. Ils songeaient ingénument au possible levier de puissance que cette réorganisation offrirait à la France. Cette idée s’avérait d’autant moins pertinente que la désintégration du bloc de l’Est allait précipiter dans l’OTAN des pays, profondément marqués par la domination russe, et voyant dans les États-Unis le vainqueur de cette non-guerre. L’appel à leur protection devenait incontestable. Mais si nous pouvons admettre que Jacques Chirac avait agi avec une intention louable et restait dans une perspective de dimension nationale, il n’en est pas de même de son successeur. Nicolas Sarkozy, en 2007, rencontra George Busch pour ensuite annoncer devant le Congrès des États-Unis le retour de la France dans l’Alliance militaire intégrée. Preuve, si elle était nécessaire, de la souveraineté étatsunienne sur l’OTAN. Il s’agissait d’une démarche symétrique à celle du général de Gaulle qui avait fait savoir, par une lettre au président américain Lyndon Johnson, le retrait de la France. La démarche sans panache du président Sarkozy faisait évidemment penser à un Canossa où l’empereur germanique Henri IV, en 1077, vint s’agenouiller devant le pape Grégoire VII afin de voir levée l’excommunication qui le frappait. Ce retour fut entériné par le Parlement. Or dès avant cette période il était devenu patent que l’idée d’une force européenne était vouée à l’échec. La constitution d’une brigade franco-allemande, puis d’un corps européen n’étaient à l’évidence qu’une tentative vaine de structurer une force commune. Le principal partenaire, l’Allemagne, n’avait aucune intention de s’éloigner du chaperon étatsunien. D’ailleurs le Corps Européen où il fallait initialement s’exprimer en allemand ou en français, s’orienta inévitablement vers une structure parfaitement otanienne où l’anglo-américain remplaça l’une et l’autre langue. Quant au président Hollande il ne disposait sans doute pas de l’autorité suffisante pour mener une politique différente. Son successeur, Emmanuel Macron, bien qu’ayant affirmé que l’OTAN se trouvait « en état de mort cérébrale » ne chercha pas à s’en éloigner. Il voulut relancer l’idée d’une armée européenne pour satisfaire quelques européistes de son bord politique, sachant parfaitement qu’il s’agissait d’une utopie. Nous pourrions croire cependant qu’il le fit surtout pour dynamiser cette relation militaire avec les États-Unis, pays dont il se trouve intellectuellement très proche.
En réalité, ces présidents ont fait preuve, soit d’une absence d’analyse géopolitique, soit d’une allégeance délibérée. Pour peser dans l’OTAN au travers d’un ensemble militaire cohérent il aurait fallu l’appui de l’Allemagne. Or, l’Allemagne n’a strictement aucun intérêt à s’éloigner de la puissance étatsunienne pour se rapprocher militairement de la France. Ce serait un pari risqué. Il lui faudrait réarmer ce qui est hors de propos dans la psychologie d’un pays terriblement marqué par la seconde guerre mondiale. Pour cette seule raison nous voyons mal Berlin accepter de partager avec la France, comme certains mauvais analystes ou provocateurs l’ont imaginé, la dissuasion nucléaire qui, en tout état de cause, ne peut être que nationale et relever, pour l’engagement du feu, que d’un seul décideur. À moins que dans cette tentative, l’intention sous-jacente serait d’intégrer la dissuasion française, par ce biais, à la conception étatsunienne d’emploi du nucléaire.
Il faut également admettre que la géopolitique allemande n’est pas la géopolitique française. La France métropolitaine est un carrefour entre les pays du Nord et du Sud. Elle est, par vocation également, tournée vers les mers et océans avec son vaste empire maritime. L’Allemagne, au contraire, s’établit dans une position continentale. Pour cette raison l'Europe de l'Est demeurera toujours, soit sous influence germanique, soit sous influence russe et l'intervention des États-Unis, dans la crise ukrainienne, ne sera qu'un phénomène circonstanciel. Ils servent, certes, leurs intérêts mais aussi indirectement ceux de l’Allemagne, dont le seul enjeu délicat se situe dans la mise en service du gazoduc Nord stream 2 passant par l’Ukraine. Les gouvernants français de ces vingt dernières années ont voulu aller contre cette loi à la fois historique et géographique. C'était une absurdité... Les germanistes savent bien que l'Allemagne est tiraillée entre le "Drang nach Osten" et la "Sehnsucht nach Süden". Entre le possible et le rêve. Avant la réunification l'Allemagne rhénane, catholique, davantage gallo-latine que teutone pouvait éventuellement s'entendre avec la France, mais la réunification lui a redonné une dimension confortable, un recentrage prussien et stimulé son penchant Est, inquiétant d’ailleurs, un moment, Washington, qui s'est empressé de prendre le contrôle de cette situation dès que l’occasion s’est présentée. Le risque toutefois d’un éloignement des États-Unis, n’était pas grand tant les liens sont solides entre Washington et Berlin. Les États-Unis, étrangers au Continent, soutiennent de fait les intérêts germaniques à long terme. Quant à la Russie, si elle a cherché jadis à s’étendre à l’Est vers l’Asie, c'était aussi pour compenser les difficultés qu'elle rencontrait, face à l'Allemagne, à rester pleinement européenne. Aujourd’hui encore, confrontée à l’annexion politique de l’Est européen par l’UE et l’OTAN, résultant du reflux de l’influence russo-soviétique, la Russie n’a d’autre choix que de se tourner vers la Chine et l’Asie. Le glacis de l'Europe de l'Est est donc une zone de confrontation naturelle entre Allemagne et Russie où nous n'avons pas grand chose à faire. D’ailleurs l'histoire nous a toujours démontré que notre présence n'y avait été que passagère, d'autant plus que nous avons rarement respecté nos accords: souvenons nous de nos relations avec la Pologne, avec la Serbie…En revanche, nos relations avec la Russie d’avant la Révolution de 1917 étaient excellentes étayées par le souci identique de se défendre devant la commune menace allemande.
La seule inquiétude de l’Allemagne dans la crise ukrainienne aura donc bien été le risque de coupure de l’alimentation en gaz qui provoquerait une crise économique. Cette inquiétude ne les poussera pas, pour autant, à modifier leur attitude envers l’OTAN et les États-Unis où ils jouissent d’une considération dont ne dispose pas la France. N’oublions pas que les Allemands ont contribué, autant que les Britanniques, au peuplement d’origine de ce pays et qu’il s’en est fallu d’un rien pour que l’allemand n’y devienne la langue officielle. Les États-Unis n’ont, en fait, quant à eux, aucun intérêt à mettre en difficulté leur allié le plus fidèle sur le continent européen. Certes ils auraient bien aimé que cette alimentation en gaz, de l’Allemagne, principalement, se fasse d’une autre manière, mais une relation coût-avantage les amène à juger que ce n’est pas de cette façon qu’ils pourront vendre leur gaz de schiste au tarif élevé à la place du gaz russe. Ils préfèreront toujours conserver le dévouement allemand que risquer de s’aliéner l’Allemagne. Elle pourrait alors se rapprocher des idées françaises, malgré ses freins internes, d’une autonomisation européenne en matière de défense. Les États-Unis tiennent à maintenir les Européens sous leur tutelle et la création, tout à fait artificielle, d’une menace russe contribue d’une part à vassaliser l’Union Européenne, à pousser la Russie vers la Chine et ainsi justifier, d’autre part, leur rôle de maîtres de la sécurité du monde avec une industrie d’armement dominatrice et un dollar encore indispensable.
La position de la France est devenue inconfortable. Elle a lié sa politique étrangère à la politique étrangère étatsunienne, via l’OTAN dont le champ d’action s’étend désormais au monde entier. Cette situation est la conséquence de l’absence d’analyse géopolitique ou d’un tropisme américain des derniers chefs d’État français. Elle est désormais intenable. Un choix fort devient indispensable. Soit la France renonce totalement à sa politique d’indépendance nationale et à une vision d’une Europe indépendante des États-Unis, soit elle quitte l’Organisation militaire intégrée et prend ses distances à l’égard de l’Union Européenne. Sans pour autant quitter à brève échéance l’Alliance, la seconde solution apparaît, non seulement en mesure de lever l’ambiguité de la situation présente, mais surtout bien plus conforme à la trajectoire historique du pays. Elle est également bien davantage favorable à sa sécurité, à la promotion de son rôle mondial et à la protection de son industrie d’armement actuellement menacée par l’évolution normative agressive du complexe militaro-industriel américain au sein de l’OTAN. Dans une perspective plus lointaine il semble qu’un rapprochement avec la Russie serait de nature à conforter les positions géopolitiques de la France.
Henri ROURE
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