METS TA CASQUETTE AU CLOU, BUGEAUD
METS TA CASQUETTE AU CLOU, BUGEAUD
Dégage, bourreau !
Je songeais depuis plusieurs jours revenir sur la décision du Conseil municipal de Marseille de retirer le nom de Bugeaud d’une de ses écoles primaires située dans son 3° arrondissement. Cette suppression de nom de baptême (on ne baptise ou ne débaptise, au demeurant, que des hommes et non des rues), me paraît reposer sur une méconnaissance regrettable de l’Histoire et mettre en lumière une incohérence étonnante.
Méconnaissance de l’Histoire
Selon l’expression même du maire de Marseille, une école de la république ne saurait « porter le nom d’un bourreau ». Le bourreau en question est le général (puis maréchal de France) Thomas Robert Bugeaud de la Piconnerie, duc d’Isly, né à Limoges le 15 octobre 1784. Jeune et brillant grenadier à pied dans les armées de l’Empire (il est présent à Austerlitz) il poursuit une carrière d’officier. Général, il est envoyé en 1836 en « Algérie » où, faut-il le rappeler, la France avait décidé de faire cesser la piraterie barbaresque qui dévastait nos côtes, mettait à mal notre commerce, envoyait nos marins et voyageurs sur ses galères, nos filles et leurs mères sur ses marchés aux esclaves et ses harems.
Voilà donc notre général chargé de mettre de l’ordre. La France avait « hérité » d’Alger « sans trop savoir qu’en faire » selon l’expression même de notre grand historien Georges Duby (cf. Histoire de la France - des origines à nos jours. Ed. Bibliothèque historique Larousse 2009-page 763). Notre historien poursuit : « Le principal argument en faveur de la conservation d’Alger fut la crainte de voir son abandon considéré comme une concession à l’Angleterre ». La France envisageait une occupation restreinte à la côte.
Toutefois, une ville française, située sur la Méditerranée, ne l’entendait pas de cette oreille ! Elle voulait une conservation, non seulement de la côte, mais du territoire dans son ensemble « en espérant un regain d’activité commerciale » (Georges Duby.Idem).Or, cette ville était Marseille. Notre bonne ville souhaitait la conquête complète de l’Algérie pour des motifs économiques et commerciaux. Marseille a toujours été, depuis sa fondation, une ville de commerce et de commerçants.
Au gouvernement du moment siégeait un certain monsieur Thiers, marseillais comme chacun sait. Notre Adolphe décida d’envoyer en Algérie un certain général Thomas Robert Bugeaud précisément.
Combien est-il facile aujourd’hui de jeter l’anathème sur un officier dont la mission fut ordonnée par un marseillais en réponse à un souhait exprimé par la ville de Marseille elle-même. Exécutant les ordres donnés, il mena une guerre impitoyable puis, nommé gouverneur général de l’Algérie, quelle fut son action ? Lisons ce qu’écrit Adrien Blès (+), membre de l’Académie des Sciences, Lettres et Arts de Marseille, auteur du Dictionnaire historique des rues de Marseille (Ed. Jeanne Laffitte 2001-Page 88) :
« Il pratique un gouvernement indirect en s’appuyant sur les chefs indigènes, en élevant des mosquées et en ouvrant des écoles de marabouts ». (Voir Historia juillet 1956-Maurice Andrieux).
L’homme qui, non seulement, avait élevé des mosquées en Algérie mais avait aussi construit des écoles, voit aujourd’hui son nom rayé d’une école marseillaise ! N’y a t-il pas motif à s’interroger ?
Un second motif d’interrogation concerne le valeureux tirailleur algérien Ahmed Litim, mort pour la France lors de la libération de Marseille le 25 août 1944 sur les pentes de la colline de Notre-Dame-de-la-Garde. Don admirable de sa vie. Mais précisément, si le caporal Litim combattit sous nos couleurs en 1944, c’est bien grâce à l’action précédente du général Bugeaud. Si le général n’avait accompli son œuvre en Algérie, jamais le caporal Ahmed Litim ne se serait engagé pour défendre la France sur notre sol au péril de sa vie. Litim est le fils militaire et spirituel de Bugeaud. Bugeaud est le père patriotique de Litim.
Une incohérence étonnante
Comment peut-on supprimer le nom de Bugeaud d’une école en maintenant à Marseille dans ce même 3° arrondissement une rue au nom du général ? Cette dénomination fut donnée le 12 novembre 1866 par le maire d’alors, Théodore Bernex, grand maire qui sut transformer la ville en engageant de profonds travaux. Supprimer le nom de l’école, conserver le nom de la rue ! N’y a t-il pas là une incohérence difficile à comprendre ? Et je ne parle pas de la rue Thiers, ancienne rue de l’Académie et bien connue des académiciens de notre cité.
Faut-il rappeler, enfin, qu’Albert Camus, prix Nobel de littérature en 1957 avait été élève d’un certain lycée d’Alger au nom de Bugeaud. Que ce même lycée fut fréquenté par un autre prix Nobel, en physique : Claude Cohen Tanuggi (1997). Que le grand Fernand Braudel y enseigna lui-même.
Aucun d’eux ne sembla considérer fréquenter un établissement ou enseigner dans un lycée portant le nom d’un bourreau.
Marseille, le 30 mai 2021
Jean-Noël Beverini
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