« CINQ PRINTEMPS » ET UN SITE « EN HIVER »
Vue d’une partie du site antique de la Corderie prise le 19 mars 2018 (Photo Jean-Noël Beverini)
Au printemps 2017 l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) conduisait les fouilles de la Corderie qui mettaient au jour la carrière antique grecque de Massalia, fondatrice de Marseille.
Cinq printemps déjà pour aboutir à une disparition complète du site. Beaucoup d’encre et beaucoup d’eau ont coulé sur les vestiges du site durant ces cinq années.
Un élément n’a, peut-être, pas été suffisamment mis en lumière sur la nature même de la carrière. Nous sommes portés à considérer les carrières comme une activité humaine remontant au plus lointain des âges. Il n’en est rien. Pour preuve, la Grotte Cosquer. Avant même de bâtir, nos ancêtres ont utilisé les sites naturels, grottes et abris sous roches. Les carrières sont nées après cette première et ancienne époque.
L’APPARITION DES CARRIÈRES
Les carrières voient le jour au néolithique et les premiers « villages » construits remontent à – 5000 ans et se développent au temps du bronze ancien vers – 3000 ans avec l’édification de fortifications protectrices. L’oppidum d’Entremont qu’ a étudié Patrice Arcelin montre des maisons élevées sur un étage. Le site est important ; il couvre quatre hectares et abrite entre 1500 et 2000 habitants. Sur un solide bâti de roches, les murs sont construits en « terre massive ». Mais il ne s’agit pas encore de « villes à plein exercice » comme le dira Fernand Braudel (L’identité de la France). Il s’agit plus précisément de grosses bourgades.
Avec l’arrivée de nos Phocéens à Marseille en 600 avant J . C. tout va changer.
LA NAISSANCE DE MASSALIA, VILLE À PART ENTIÈRE
Pour nos grecs venus de Phocée, la ville à construire a une autre dimension que celle d’une simple bourgade, si importante soit elle. Elle est et doit être un centre politique, économique et religieux. Il faut donc construire et en premier construire un Temple. Et même plusieurs.
La construction de bâtiments publics nécessite des pierres de taille. Or, qui dit pierres de taille induit la recherche de bancs rocheux exploitables et exploités pour que des carriers puissent extraire des blocs . La pierre de taille fait son apparition. Les outils sont là ; ils sont connus et utilisés, tels les « marteaux-tailleurs ».
C’est ainsi que va naitre notre carrière de la Corderie. La carrière devient un vecteur du développement urbain dès ce V° siècle à Marseille ou dans cette Massalia qui deviendra notre ville d’aujourd’hui.
Vue des blocs en cours d’extraction dans la carrière grecque antique de la Corderie (Photo Jean-Noël Beverini)
La carrière devient le symbole d’un nouvel art de vivre et de construire. Notre carrière de la Corderie est le témoignage unique du Grand développement de Marseille. Si Marseille connaît à l’époque cette expansion et cette renommée, cette expansion et cette renommée reposent sur son architecture qui fait l’admiration, en premier lieu, de ses habitants, en second lieu, de ses visiteurs. Car Massalia commerce et commerce avec l’ensemble du monde méditerranéen.
Dans le monde « indigène » de l’époque on ne connaît pas d’architecture aussi élaborée. La ville au sens moderne apparaît et notre carrière de la Corderie est partie prenante de cette histoire étonnante. Nous sommes loin, vous le sentez, vous le voyez, d’une simple extraction de pierres ! Notre carrière participe directement, plus qu’à la construction de bâtiments, à la construction d’un type de société, à l’émergence voulue d’un type de civilisation, d’une civilisation démocratique apportée par nos grecs de Phocée.
C’est cela que nous allons éliminer
Quand nous aurons compris ce rôle de la Carrière grecque de la Corderie, l’investissement politique, démocratique et spirituel que les fondateurs de notre ville ont inscrit dans ce que nous avons encore la chance, pour combien de jours encore, d’avoir sous les yeux (et les bâches), alors nous serons conscients de la valeur unique de cette carrière pour Marseille et pour le monde méditerranéen.
Jean-Noël Beverini
Marseille, le 11 mai 2022
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