Padré Jean-Michel n'est plus
1er RÉGIMENT DE PARACHUTISTES Bayonne, le 21 mars 2017
D'INFANTERIE DE MARINE
Eloge funèbre en l’honneur
du père Jean Michel SAINT ESTEBEN
Mon cher Jean-Michel, Padre,
Le para ne meurt pas, il exécute son ultime saut…
Le para ne va pas au Ciel, il y retourne !
Par ces mots tirés d’une anaphore d’un célèbre écrivain parachutiste, un peu légère et provocante mais surtout pleine d’auto-dérision, s’exprimait jadis l’esprit caustique et qui se voulait serein de tous ces hommes dont tu fus le confident discret pendant plus de 30 ans et qu’il me revient de représenter bien maladroitement aujourd’hui, comme tu l’as souhaité. A travers cette volonté, c’est l’amitié si dense qui t’unissait et t’unira désormais pour l’éternité à tes frères d’armes que tu as voulu mettre en lumière, tant ce lien fut déterminant
dans ta vie d’homme et de prêtre catholique mais aussi pour tous ceux qui eurent l’honneur de marcher à tes côtés. Comment ne pas exprimer ce lien indéfectible nous attachant tous à toi sans paraphraser Montaigne :
« Parce que c’était lui, parce que c’était nous… ».
Serein, toi, tu l’étais Jean-Michel ! Les milliers de parachutistes que tu auras soutenus et accompagnés au service de la France peuvent en témoigner. Témoigner de cette tranquillité d’esprit qui te faisait t’adresser à tous avec douceur et sincérité, t’ouvrant toutes les portes, celle des chambrées des plus simples soldats comme celle des bureaux des hautes autorités les plus rugueuses que ton sourire désarmant, ton regard perçant et ta poigne ferme rendaient immédiatement plus humbles... Car tu avais ce don de pénétrer les coeurs et les âmes et de nous toucher tous, quelle que soit notre foi ou notre quête de sens, quelle que soit notre espérance ou nos douleurs. Tu es rentré dans la vie du 1er RPIMa avec la même bonté, la même simplicité, en 1986, à la suite du décès de l’un des nôtres en Côte d’Ivoire. Sa dépouille reposait en notre humble chapelle et nul prêtre n’était malheureusement là pour l’accompagner. Vous étiez trois prêtres à évangéliser la ZUP de Bayonne et, appelé au secours par l’un de nos anciens, tu fis déjà plus que ton devoir en venant le veiller et prier pour lui. C’est ainsi que débuta la longue et belle histoire d’amitié et de fidélité d’un jeune prêtre avec ceux qui allaient former sa deuxième famille, celle des parachutistes, famille avec laquelle tu renouas ainsi une aventure débutée en 1973 par l’obtention du brevet 348 400 à l’école des troupes aéroportées. Dès ce jour, au-delà de l’amour des tiens dont tu nous parlais souvent et discrètement, tu te consacras au salut de nos âmes, veillant sur nous avec charité et indulgence, totalement et sans attente d’une quelconque sorte de retour, devenant à tout jamais le PADRE, celui dont la voix douce et rocailleuse à la fois résonnera longtemps encore sous les voûtes de brique de notre sobre chapelle qui te ressemble tant. Il serait par trop réducteur de citer la longue liste des noms de tous ceux que tu auras baptisés, mariés, accompagnés sur leur parcours de catéchisme ou veillé lors de leur dernier repos. Soulignons toutefois que tu marias bien des années plus tard la fille de celui qui vint implorer ton secours et baptisa même ses petits-enfants, sacrements qui démontrent combien ta vie fut indissociable de celle de tout le régiment.
Caustique et plein d’humour tu ne l’étais pas moins ! Foudroyant avec ta franchise habituelle et ton caractère trempé tout ce qui n’avait pas trait au coeur profond de notre rude métier, chassant comme fétu de paille, sans colère mais sans appel, les décisions décalées d’états-majors lointains, les blâmant sans jamais les juger de ne pas assez s’intéresser à ceux que tu pouvais légitimement appeler « nos gars ». « Laisse faire, c’est des conneries » disais-tu, avouons-le, sans trop de précautions oratoires, « ils ne peuvent pas comprendre là haut, mais toi dis leur, explique leur ce qu’ils font nos gars !». Car c’était bien là tout le sens de ton action : veiller sur tous les hommes, de tout grade et de toute origine avec la même profonde attention, sans jamais se soucier de toi, jusqu’au bout et malgré tes souffrances et ton combat exténuant qui nous impressionnait tous. Tu fus durant trente ans partout avec nous, apparaissant soudainement au détour d’une piste, un panier de fruits et de champignons au bras, ou sur les cimes toutes proches des sommets de notre pays basque que tu chérissais tant et dont tu nous narrais la nature avec détail, avec passion. Sans jamais s’y attendre mais sans non plus être vraiment surpris nous te découvrions tout naturellement au fond de nos zones de saut, prêtant main forte au parachutiste « branché » en haut d’un hêtre dont l’isolement rendait pourtant improbable l’atterrissage chaotique du malheureux aéronaute, ou hâlant avec vigueur la toile du pépin d’un autre infortuné que les caprices du vent avaient cruellement jeté dans les taillis inextricables et épineux des haies de prunelliers. Ta foi chaleureuse et compréhensive de nos âmes trop souvent confrontées aux horreurs de ce monde nous a accompagné jusqu’à y brûler tes dernières forces avec ce courage et cet abandon total qui forçait notre admiration. Il me revient ainsi un petit matin sombre de septembre, au pas de Roland, où dans ta voiture qui semblait aussi vieille que le monde, à la lueur de ta lampe frontale aux origines aussi lointaines, tu me confias la primauté de l’homélie qui embrasa nos âmes lors de la dernière célébration de la Saint Michel, faite sur ce bastion qui te vit officier tant de fois. Dans ce petit espace, comme à ton accoutumée, tu évoquas d’abord « les
gars » que tu aimais tant, me confiant avec la douce fermeté qui te rendait si persuasif « ils en voient déjà assez, prends soin d’eux, pas la peine de leur en rajouter». Quelle abnégation, toi qui me confia ce même matin « vivre chaque jour comme une grâce de plus ». Cette homélie dévoilée dans l’intimité, nous a tous marqué le 29 septembre dernier, pas seulement parce que tu vis s’envoler dans la foule avec ton flegme habituel ces petits feuillets manuscrits qui t’étaient coutumiers mais surtout parce que tu nous y laissas ton dernier message d’espérance en nous exhortant à combattre avec énergie tout ce Mal frappant jusqu’au coeur de notre pays et qui te peinait tant.
A nous tous ici rassemblés tu laisses une dernière poignée de médailles de Saint Michel, conservées comme à l’accoutumée au sein de ta chapelle, médailles de notre saint patron dont tu avais toujours quelques exemplaires au fond de la poche et que tu distribuais à tous les jeunes ou moins jeunes parachutistes que tu croisais. Beaucoup d’entre nous l’ont toujours sur l’épingle de leur béret. En les confiant à la garde de cette assemblée qui te salue aujourd’hui, c’est ton message de foi et d’espérance qui se poursuit inlassablement.
Avant de quitter cette nef afin de rejoindre ta dernière demeure, tes frères d’armes chanteront en ton honneur la prière des parachutistes comme à chaque fois que s’éteint l’un d’entre eux. Cette prière retrouvée sur le corps d’un jeune parachutiste SAS de la France Libre, André Zirnheld, mort au combat en Libye en 1942, nous invite à demander au Seigneur la Force et la Foi pour qu’à ton image nous gardions toujours l’espérance au coeur des combats.
Jean-Michel, c’est avec tristesse que nous te disons aujourd’hui « à Dieu » mais c’est avec la certitude que tu continueras de veiller sur nous comme tu le fis toute ta vie. Tristeziarekin dautzugu egun erraiten “ez adiorik”, bainan pozez beteak gira, baitakigu beti begiratuko gaituzula, zure bizi guzian egin duzun bezala”
JEAN MICHEL,
TRICHTÉSSIARÉKIN DAOUTSSOUGOU EGOUN ERRAÏTÉN « ÉSS ADIORIK »,
BAÏNAN POSSÉSS BÉTÉAK GIRA,
BAÏTAKIGOU BÉTI BÉGIRATOUKO GAÏTOUSSOULA,
SOURÉ BISSI GOUSSIAN ÉGIN DOUSSOUN BÉSSALA.
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