Le général d'Armée Jacques Servranckx n'est plus
C'est avec tristesse que nous apprenons le décès du général d'Armée Jacques Servranckx, né le 21 janvier 1928 à Etterbeck en Belgique devenu français par naturalisation de son père, il intégre l'Ecole Spéciale militaire de Saint Cyr.
Le général Servranckx a été chef de corps du 2°Régiment Etranger en Corse et de la 4° brigade motorisée à Beauvais. Il porta la main du capitaine Danjou à Camerone 2000.
Après avoir quitté le service actif, le Général présida l'association du "Souvenir Français" pour ensuite se consacrer à des travaux de recherche concernant les officiers, issus de Saint Cyr, déportés ou résistants.
Grand chef et grand soldat, il était titulaire de la croix de guerre des TOE et de la croix de la valeur militaire avec 11 citations dont 5 à l'ordre de l'Armée (palme),
Il était grand croix de la Légion d'Honneur.
Ses obsèques ont eu lieu aux Invalides à Paris le 23 mai 2017.
Le président et les membres de l'AACLEM présentent leurs condoléances à sa famille.
Lcl Constantin LIANOS
Président AACLEM
ELOGE FUNEBRE
du général d’armée Jacques SERVRANCKX
(prononcé aux Invalides, le 23 mai 2017,
par le général Henry-Jean FOURNIER, secrétaire de la promotion DRIANT)
Mon général,
Vous avez demandé que votre éloge funèbre soit prononcé par un des anciens élèves de Saint-Cyr que vous avez formés, il y a cinquante ans.
En ma qualité de secrétaire de la Promotion Driant, cette mission m’est échue et je dois bien avouer, que, pour la première fois, j’ai envisagé de vous désobéir.
Mais puisque vous n’étiez plus en mesure de réprimer cette tentation, cela n’aurait pas été honnête.
Je dois donc tout d’abord demander à ceux qui auraient plus de légitimité que moi pour prendre la parole, de bien vouloir m’excuser d’intervenir ainsi. Je tiens aussi à demander à tous ceux qui sont venus vous saluer une dernière fois de m’excuser si la Promotion DRIANT prend trop de place dans mon propos.
Sans doute parce qu’elle a précisément occupé une place importante dans votre vie et parce que vous lui avez toujours manifesté, depuis le début, tant d’attachement et de fidélité.
Lien privilégié qui va me permettre, aujourd’hui, une certaine familiarité peut-être inhabituelle en ces lieux empreints de solennité qui vous ont vu recevoir, il y a tout juste dix ans, la Grand Croix de la Légion d’Honneur des mains du Président de la République.
La France avait ainsi tenu à saluer 60 années de dévouement à votre pays d’adoption, puisque vous aviez la nationalité belge à votre naissance. Mais que cette évocation de vos origines, qu’exprime votre nom venu des Flandres ne trompe pas : bien que légionnaire et ayant versé votre sang pour la France, vous étiez déjà devenu français dans votre enfance, par la
naturalisation de votre père, ingénieur venu travailler en France.
La première image que nous conservons de vous est celle de ce jeune chef de bataillon, sortant de l’Ecole de Guerre, passant en revue notre bataillon de tout jeunes élèves-officiers, en 1965, sur l’ancien marchfeld de Coëtquidan, alors que nous n’avions que quelques jours de service.
Nous avions été frappés par votre stature, votre allure, votre figure même, sans oublier votre nom qui nous paraissait si compliqué et si peu adouci par les voyelles qu’il avait été raccourci en « CKX », surnom que toute l’armée de terre allait ensuite adopter.
Insolents et ignares, nous n’avions pas été particulièrement attentifs au parcours qui s’affichait sur votre poitrine, avec 11 citations méritées en Indochine et en Algérie. Peut-être aussi parce que nous appartenions à une génération dont beaucoup de nos pères avaient un palmarès proche, tant cette période avait été propice aux exploits militaires.
Pour vous, ce parcours avait commencé en 1945, alors que vous n’aviez que 17 ans, en intégrant ce qui n’était pas encore tout à fait l’Ecole Spéciale Militaire, mais qui était un « nouveau bahut », voulu par le général de LATTRE dès le lendemain de la guerre, pour « amalgamer » tous ceux qui, venant de tous les horizons, se destinaient au service des armes. « NOUVEAU BAHUT », ce fut d’ailleurs le nom choisi par votre promotion, au sein de laquelle vous exerciez une autorité reconnue et dont je salue les membres présents auprès de vous ce matin.
Je ne sais quand votre vocation a pris naissance, mais je suis certain que le souvenir de votre frère aîné, Jean, polytechnicien et ingénieur de l’armement à la manufacture d’armes de Tulle, qui venait de trouver la mort en déportation en 1944 au camp de Mathausen, n’était pas étranger à votre désir de servir la France.
Mais à votre sortie de l’Ecole, en 1947, alors que vous n’étiez toujours pas majeur, le commandement, dans sa grande sagesse, vous empêche de plonger immédiatement dans la fournaise indochinoise où disparaît, chaque année une promotion de Saint-Cyr. Vous devez alors ronger votre frein en demeurant en école d’application comme instructeur.
Ce n’est qu’à la fin de l’année 1949 que vous rejoignez la Légion Etrangère et que vous êtes enfin désigné pour l’Extrême-Orient. Vous rattrapez rapidement le temps perdu, puisque, au prix de deux blessures qui témoignent de votre engagement physique, vous obtenez, en trois années de combat et une année d’hôpital, sept citations dont trois à l’ordre de l’armée. Vous
mériterez aussi, privilège rare, le droit de porter, à titre individuel, la fourragère du 5ème Régiment Etranger, avec lequel vous avez combattu et obtenu les croix de guerre qui décorent son drapeau.
Ce sera ensuite l’Algérie, où vous commandez une compagnie de combat à la tête de laquelle vous obtenez quatre nouvelles citations dont deux à l’ordre de l’armée, avec un bilan impressionnant qui devait vous faire particulièrement redouter des rebelles qui avaient l’imprudence de mettre les pieds dans votre secteur. L’une de vos citations ne mentionne-telle pas le fait que vous avez tué personnellement deux adversaires retranchés dans une grotte, ce qui laisse supposer que vous ne commandiez pas de l’arrière.
Tout cela, nous n’en savions à peu près rien quand vous avez pris le commandement de notre bataillon. Nous ne l’avons appris que assez récemment, en 2000, lorsque la Légion, fidèle à ses héros, vous a choisi pour porter la main du Capitaine DANJOU lors de la commémoration du combat de CAMERONE.
Mais, en 1965, lors de votre prise de commandement, nous avons rapidement perçu que vous saviez très précisément ce que vous vouliez faire de nous. Comme d’ailleurs les instructeurs que vous aviez formés à votre main au cours d’un stage commando à Montlouis qui n’avait rien d‘un séminaire de réflexion aux méthodes de commandement,
Et vous avez saisi toutes les occasions de nous le démontrer. Le meilleur exemple en sont « les dix commandements » que vous nous avez livrés durant ces deux années et que beaucoup de nous ont suivis, parfois de manière subliminale, dans leur
carrière, militaire ou civile. Je n’en citerai qu’un : « On ne commande pas un tout et une partie de ce tout », résumant un principe de subsidiarité que nous aurions souvent aimé, dans la suite de notre carrière, voir appliquer à notre égard par des chefs qui n’avaient malheureusement pas été formés à votre école.
Nous nous souvenons aussi de notre stage para à Pau, où vous aviez tenu à vous faire breveter, comme nous, en même temps que nous, parce que le chef doit toujours donner l’exemple. Votre exigence n’a eu de cesse de nous tirer vers le haut.
Vous avez ensuite accompli une carrière que je qualifierai de « classique » durant cette difficile période de la guerre froide, où il fallait dissuader sans combattre.
Vous avez commencé par retrouver la Légion, à la tête du premier régiment où vous aviez servi, le 2ème Etranger, que vous avez recréé à Corte.
Puis ce fut l’exercice de diverses responsabilités, notamment à l’Etat-Major de l’Armée de Terre, puis de l’Etat-Major des Armées. Nous avions été surpris de savoir que l’on vous avait confié des fonctions de « sous-chef », selon une appellation consacrée mais qui nous paraissait totalement inadaptée à votre personnalité.
Car vous étiez avant tout un « Chef », celui qui est « à la tête », celui qui est « la tête », surtout quand il a la chance de posséder une figure de proue.
« Chef », vous l’avez été pleinement au commandement de la 4ème Brigade mécanisée, à Beauvais, puis de la 2ème Division Blindée, à Versailles, et enfin, pour couronner votre carrière, de la IIIème Région Militaire, à Rennes. Ce fut, chaque fois, l’occasion de soumettre vos subordonnés à un rythme et à un style parfois difficiles à suivre ou …à comprendre.
Ce sera aussi le cas, un peu plus tard, après avoir quitté le service actif en 1988, lorsque vous continuerez à servir en occupant, en 1992, la présidence du Souvenir Français. Pendant cinq ans, vous vous consacrerez à la mémoire de ceux qui sont morts pour la France.
Comme beaucoup de ceux qui sont présents aujourd’hui, nombreux sont les officiers de notre Promotion qui ont eu l’occasion de servir sous vos ordres ou de croiser votre route. Sans doute plus que d’autres, nous avons eu le privilège, en toutes circonstances, de bénéficier, au nom de la fidélité qui vous unissait à nous, de votre bienveillance, ce qui étonnait parfois votre entourage, ignorant vos liens avec « la Driant ».
En dépit de votre rugosité apparente, vous saviez, avec l’aide de madame SERVRANCKX, témoigner à tous ceux que vous serviez en les commandant, cet intérêt et cet attachement qui lient un vrai chef à ses subordonnés.
Aujourd’hui, 50 ans après notre sortie d’Ecole, le plus jeune d’entre nous, entré à St-Cyr au même âge que vous et qui a, comme vous, accédé au sommet de la hiérarchie, se souvient encore, alors qu’il avait été gravement accidenté pendant notre scolarité, de votre visite, à l’hôpital, où vous lui aviez remis, tiré des profondes poches de votre imperméable
« réglementaire », un petit pot de confiture pour …fêter ses 18 ans ! Tel autre, mis aux arrêts de rigueur par vos soins pour s’être marié en un temps où il était interdit de le faire en école, se souvient du souci que vous avez pris de lui faire annoncer, dans sa prison, la naissance de son fils….par son propre frère, qui était également cadre de notre
bataillon.
Comme nous, il y a sans doute ici, aujourd’hui, parmi tous ceux qui sont venus vous saluer, beaucoup de vos anciens subordonnés qui, à un moment ou à un autre, ont ainsi bénéficié de l’affectueuse attention que vous aviez pour chacun de nous, même lorsque vous la dissimuliez sous un regard sévère et exigeant.
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Exigeant et fidèle à vos principes, vous étiez aussi exigeant et fidèle en amitié. C’est bien d‘amitié qu’il s’agissait et sans doute aussi d’amour, car, malgré la pudeur que vous dissimuliez sous un abord austère, sans doute dû à vos origines flamandes, vous n’avez cessé de mettre en pratique une réflexion de Pierre SCHOENDORFFER, dont vous nous aviez fait projeter le film « La 317ème section » dans les premières semaines de notre arrivée à Coëtquidan. Non pas pour nous distraire, car le temps n’était pas aux activités à caractère ludique qui avaient le don de vous irriter profondément, mais pour nous inviter ensuite à l’analyser afin d’en tirer des enseignements, soigneusement notés dans nos « cahiers milis ».
Schoendorffer disait : « Pour bien commander, il faut d’abord aimer ses hommes ; ne jamais le leur dire, mais les aimer. »
Vous ne nous l’avez jamais dit, mais vous nous l’avez souvent prouvé.
Vous avez attendu le 50ème anniversaire de notre sortie de Saint-Cyr pour quitter les rangs.
Sans doute avez-vous jugé que nous étions désormais aptes à poursuivre seuls la voie que
vous nous aviez tracée lorsque nous avions vingt ans.
Nous nous sentons néanmoins tous un peu orphelins et très proches de madame SERVRANCK et de toute votre grande famille, à qui nous présentons nos condoléances les plus sincères.
Et avec tous ceux qui sont venus vous saluer aujourd’hui pour la dernière fois, nous vous disons :
« Adieu, mon général ! Merci de nous avoir aidés à devenir des officiers. »
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