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Les actualités de
Monsieur Légionnaire

Henry de CORTA

Lieutenant-colonel Henry de corta

1879 - 1932

une vie d’homme

la légion d’abord

Avant Propos

Il y a bien longtemps que je projetais d’écrire cette histoire relatant la vie de mon père, histoire que je destine à mes enfants et petits enfants, afin qu’ils n’ignorent pas ce qu’étaient ceux qui les ont précédé. Mais le traumatisme, tardivement guéri, que m’a provoqué sa mort l’année de mes cinq ans, m’empêchait de coucher sur le papier les souvenirs parfois relayés par ma mère, parfois trouvés dans les correspondances et les papiers officiels que je détiens. Également, une certaine pudeur, et le sentiment de m’introduire dans la vie privée de personnes qui m’étaient si proche, arrêtaient mes élans.

 

Je me suis décidé aujourd’hui, vingt neuf décembre deux mille quatre, à commencer ce récit. Il sera honnête et sans concessions, car je crois que ce serait détruire sa personnalité et desservir un père qui fut un homme comme nous avec son courage et ses faiblesses, que de l’idéaliser. Ne vous surprenez donc pas d’apprendre quelques vérités, bien cachées jusqu’à présent, mais qui nous rendrons plus présent cet être exceptionnel mais si humain qu’était mon père , votre grand-père et votre arrière grand-père.

Il faut également remettre les opinions professées et les actes accomplis dans le contexte de l’époque vécue, si loin des préoccupations actuelles d’une jeunesse dont les idéaux n’ont pas toujours été comblés.

 

Je dédie donc cette histoire d’Henry de Corta à Hugues, Laurence, Pierre, Thibaud, Kim et Olivier, afin qu’ils soient fier de celui dont nous descendons et que son souvenir ne disparaisse pas. C’est le 16 juillet 1879 que naquit à Paris, Henry de Corta, quatrième enfant de Charles Adolphe de Corta et de Charlotte Marie Gounod. Descendant de basques espagnols émigrés en France en 1783, par son père , et d’une vieille famille française, les Gonord de Monchaux devenu Gounod par l’erreur orthographique d’un clerc, par sa mère. Charles Adolphe, officier de l’armée française avec le grade de commandant, s’illustra dans les combats de pacification en Algérie, et participa à la malheureuse campagne du Mexique. Charlotte Marie, fille de Louis Urbain Gounod, architecte, et nièce du compositeur Charles Gounod, mourut quatre jours après la naissance de son dernier fils, le 20 juillet 1879 à trente et un ans. Henry devint donc orphelin de mère à sa naissance, et la charge de son éducation fut confiée à sa tante Thérèse Gounod, car son père ne pouvait imposer à sa progéniture les déplacements continuels que son métier exigeait. Par la suite, épuisé par ses années de campagne, et les séquelles des nombreuses blessures qu’il avait subi, il mourait le 13 septembre 1885, à cinquante ans, laissant à la charge de sa belle soeur ses quatre enfants : Marie, Edith, Charles et Henry.

 

De l’enfance d’Henry, on sait peu de choses. Il fut choyé par sa tante Gounod et certainement très entouré par ses soeurs et son frère Charles qui toute sa vie fut pour lui un confident et un refuge. D’un caractère doux et pacifique, Charles fut son conseiller, et s’il ne put toujours éviter les erreurs que commettait son frère, il n’en fut pas moins l’ami fidèle et le compagnon aimé qui le soutint dans ses aventures. Doté d’un caractère emporté et d’une volonté de fer, Henry donna du fil à retordre à sa chère tante et tutrice. Une anecdote est restée qui nous renseigne sur la difficulté qu’elle eut parfois à maîtriser l’impétuosité de son neveu. C’était peu de temps après la mort de son père, il devait avoir sept ans et n’avait pas admis une interdiction qu’il avait enfreint, et la réprimande qui en avait découlé. En représailles, il alla chercher des allumettes et mit le feu aux rideaux du salon. La brave, mais autoritaire, tante Thérèse (dite Tata ), ne laissa pas passer ce geste qui aurait pu avoir de graves conséquences , et s’enquit d’un pensionnat où les humeurs belliqueuses de son neveu seraient contrôlées.

 

C’est ainsi qu’il se retrouva pensionnaire chez les jésuites. Il y resta douze ans, en un séjour entrecoupé de rares vacances et congés qu’il passait auprès de ses frère et soeurs. Élève médiocre, suivant ses cours avec nonchalance, il ne se fit pas remarquer par un travail acharné, mais l’éducation et l’auto discipline que lui inculquèrent les bons pères devaient l’aider par la suite. Peu d’éléments me permettent d’élaborer sur cette longue période qui s’acheva en 1892, alors qu’il entra au lycée Louis le Grand comme externe pour y faire sa troisième en 1892-1893, puis sa seconde et sa première ( dite rhétorique ) qu’il acheva en 1897.

 

Le jugement de ses professeurs, consignés dans ses carnets de note, montre qu’il était un élève fort intelligent, doté d’une excellente mémoire, mais étourdi et faisant ses études avec beaucoup de légèreté. Néanmoins il termina son secondaire en améliorant ses résultats et en passant avec succès son diplôme de bachelier en lettres et mathématiques le 28 octobre 1897.

Je pense que c’est à cette époque qu’il se fixa le but qui devait devenir sa raison de vivre. C’est le 28 juillet 1898 qu’il se présenta au concours d’admission pour l’école spéciale militaire de Saint-Cyr, et fut admis à entrer dans cette prestigieuse institution. Il est certain que le souvenir de son père, qu’il ne connut pratiquement pas mais dont sa tante et ses soeurs lui parlait souvent dut influencer sa décision, également, sans doute, le prestige attaché en cette période à la carrière des armes. Son esprit indépendant et rebelle aurait pu l’éloigner de la vie militaire, mais il y trouva, peut-être, une discipline qui lui était nécessaire, et un besoin de se surpasser qui ne le quitta jamais.

 

Ne croyez surtout pas qu’il mena une existence de moine. Il plaisait aux hommes par sa sociabilité, son côté bon vivant et aventureux. Il plaisait également aux femmes, qu’il séduisait grâce à son charme, sa belle prestance, et à des yeux bleus qui ne les laissaient pas indifférentes. Le 1er octobre 1900 il était incorporé comme sous-lieutenant au quatre vingt treizième régiment d’infanterie dans lequel il resta jusqu’au 25 juin 1905. Il participa aux campagnes de pacification en Algérie et dans le sud saharien. Il fut nommé lieutenant le 1er octobre 1902.

 

Un document que j’ai retrouvé, est pour le moins intrigant ; il s’agit d’un rapport qu’il rédigea sur un voyage au Soudan anglo-égyptien par le Nil blanc et le Bahr el Gebel, de Khartoum à Gondokoro. Cette expédition eut lieu en janvier et février 1905, et aucune mention de cette mission n’est indiquée dans ses états de service; or sur la couverture de ce rapport il est bien spécifié que celui ci a été rédigé par le lieutenant Henry de Corta du quatre vingt treizième régiment d’infanterie. Le texte en est édifiant, car sous couvert d’un voyage d’étude sur les populations de ces régions, on y trouve une description des implantations anglaise dans cette partie de l’Afrique, et les intentions colonisatrice de ces derniers. Je ne peux me prononcer sur les buts réels de cette mission secrète, mais vous pouvez consulter ce document et en tirer vous même les conclusions.

Le 26 juin 1905, Henry obtenait enfin sa mutation dans le corps qu’il avait toujours voulu rejoindre : la légion étrangère. Huit ans au deuxième régiment étranger avec lequel il participa à toutes les opérations, en Algérie, au Maroc, dans les régions sahariennes et au Tonkin près de la frontière chinoise.

 

Nommé capitaine le 23 décembre 1912, il avait vu son avancement nettement freiné en raison de ses prises de position politiques. Royaliste, lié très tôt à l’Action Française fondée par le philosophe Charles Maurras, tenant d’un nationalisme pure et dure, avec qui il correspondit régulièrement, il ne pouvait être en odeur de sainteté auprès des politiciens et fonctionnaires républicains à qui il ne cachait pas son aversion pour un régime qu’il méprisait. De caractère entier, ses opinions étaient également fermes et peu nuancées. Il mettait au premier plan, l’amour absolu pour les hommes dont il avait la charge et les devoirs qu’il avait envers eux . Tous les témoignages le concernant, que j’ai récolté soit dans les lettres de ses anciens légionnaires soit par des conversations que j’ai eu avec des officiers ayant combattu sous ses ordres, sont concordants ; il était admiré et respecté par ses subordonnés qui acceptaient tout de lui. Il fut muté du 15 avril au 10 décembre 1913 au cent soixante sixième régiment d’infanterie, puis renvoyé dans son régiment de prédilection, le deuxième régiment étranger jusqu’au 4 juillet 1915.

 

La guerre contre l’Allemagne avait commencé et les nombreux allemands qui faisaient partie de son bataillon commençaient à se poser des questions sur l’opportunité de rester dans une armée qui se battait contre leur propre pays. Au moment de la bataille de la Marne alors qu’Henry campait avec ses hommes au sud du grand Atlas, hors de portée de tout secours et laissé seul avec une unité composée presque exclusivement d’allemands, à l’exception de trois officiers et de sept sous-officiers français, il apprit

un matin, à cinq heures, qu’un coup était préparé pour huit heures : les dix officiers et gradés français devaient être massacrés et l’unité entière passer à l’ennemi. Il se procura le nom des quinze meneurs, tous légionnaires. Certes, il eut pu les faire fusiller instantanément, mais sacrifier des hommes de cette trempe, si braves au feu, et si jeunes? Brusquement Corta prit son parti, fit venir le sergent qui avait organisé le coup et, sans avertir personne : J’ai une petite reconnaissance à faire avec quelques hommes résolus - lui dit-il, désignant les quinze complices. - Nous partirons dans cinq minutes, service de guerre. - Le sergent ne broncha pas. Corta, un revolver sous sa gandoura, emmena la troupe. Ils marchèrent trois heures vers le Sud, les hommes visiblement inquiets, car, dans cette région insoumise, les mauvaises rencontres étaient fort possible.

 

Enfin l’on s’arrête, Corta met pied à terre, tend son revolver au sergent puis, faisant face aux hommes:-C’est à huit heures, n’est-ce pas, que vous deviez me faire la peau ? Eh bien, il est huit heures. Allez-y ! Les hommes ne bronchent pas.-Je vous préviens, continue-il, que si vous me ratez je ne vous raterai pas, moi, au retour-.Il y eut un silence. Alors il reprit.- Dans ce cas, je change d’avis, nous allons régler cette affaire entre nous, d’homme à homme. Sergent-. Le sergent s’avance à l’ordre et reçoit un vigoureux coup de poing dans la mâchoire qui l’envoie rouler à quelques mètres. Chacun des hommes subit le même traitement, après quoi l’on retourne au cantonnement. Il n’a plus jamais été question de révolte après cela, à la compagnie montée, trois fois citée depuis à l’ordre se l’armée d’Afrique.

 

Un coup de tête, déclarait Henry de Corta, c’est signe de tempérament. Quand on n’ a pas une bonne histoire comme ça derrière soi, on n’est pas un vrai légionnaire. Ne pouvant supporter d’être tenu loin du conflit qui se tenait sur le sol français, il demanda

à être transféré dans un régiment de première ligne. Malgré les objections du général Lyautey qui tenait à le garder sous ses ordres, il obtint d’être affecté au soixante cinquième régiment d’infanterie, le 16 juillet 1915.

 

Abattu par la mitraille allemande lorsqu’il mena l’assaut à la suite de son colonel (tué à ses côtés) le 25 septembre 1915, au Ravin de la Goutte ( au nord de Mesnil les Hurlus ) et ayant subi de très graves blessures à la jambe gauche, il est ramassé sur le terrain par les brancardiers allemands et conduit à l’hôpital militaire de Sidon le 29 septembre. Après avoir refusé l’amputation, que préconisaient les chirurgiens allemands, il resta dans cet hôpital jusqu’au 6 octobre. Transféré ensuite à l’hôpital de Rastatt, il y compléta sa convalescence jusqu’au 30 novembre. Il est ensuite conduit au camp de Villingen dans le grand duché de Bade où il restera jusqu’au 18 avril 1916.

 

Son refus de toute collaboration avec ses geôliers, et la manière toute spéciale qu’il avait de se référer aux lois allemandes (parfois fort confuses ) en s’en servant à son profit pour ridiculiser ses garde-schiourme, son insubordination et son constant soucis de soutenir les doléances de ses camarades envers les exigences des autorités, eurent le don d’exaspérer ses gardiens, qui l’envoyèrent en camp de représailles au camp de Vöhrenbach, du 19 avril au 4 août 1916.

 

Transféré à cette date au camp de Burg, près de Magdeburg, il y resta jusqu’au 18 novembre 1917. Transféré au camp de Magdeburg, il tente de s’en évader avec le capitaine Sajoux, le 29 janvier 1918. Il est repris le même jours dans le train qui devait le conduire à Berlin puis à Aix la Chapelle. Emprisonné d’abord à Berlin, puis renvoyé à Magdeburg, il est interné au camp de répression du Kavalier- Sharnorst. C’est dans ce camp qu’il se lia d’amitié avec le capitaine Jean des Vallières, qui devint un de  ses meilleurs amis, et plus tard son beau-frère. Jean des Vallières écrivit sur cette période deux romans:”Kavalier-Sharnorst “. Et “Spartakus-Parade”. Dans ce dernier, l’image d’Henry de Corta, nommé de Joyeuse dans ce texte, y est parfaitement dessiné et représente avec justesse ce qu’était le caractère flamboyant et déterminé de mon père.

 

Après le procès en cour martiale qui lui fut intenté ainsi qu’à Jean des Vallières et plusieurs de ses camarades, pour corruption de soldats allemands et incitation de ceux ci au crime de haute trahison, il est mis en prison préventive avant le prononcé de la sentence qui se soldera par une condamnation à un an de forteresse. Envoyé à la forteresse de Magdeburg, il y restera du 13 mai au 8 novembre 1918.

 

C’est à partir de cette date qu’il assumera, jusqu’à son retour en France, le commandement du camp d’Altengrabow, ou étaient internés quatre mille cinq cent français, trois mille huit cent russes, environ quatre cent belges, et des représentant d’autres nationalités. La gestion de ce camp, à la fin de cette guerre de quatre ans, dans le chaos et l’insécurité qui régnaient en Allemagne à la suite de la défaite et d’une révolution qui avait suivie la conclusion de l’armistice, fut extrêmement malaisée. Il fallait, malgré la mauvaise volonté du personnel allemand, et l’incertitude des dates de rapatriement des prisonniers dans leur foyer, organiser le ravitaillement, maintenir une certaine discipline parmi ces hommes qui ne comprenaient pas pourquoi ils ne pouvaient pas partir immédiatement étant donné que la guerre était finie, et régler, avec une autorité allemande désemparée et

tatillonne, les problèmes qui se présentaient. Les très nombreuses lettres de réclamation à cette instance, montre l’acharnement que mit Henry de Corta à faire rendre justice à ces prisonniers qui avaient traversé trois ou quatre ans de tortures, de brutalités et de privations.

 

Rapatrié d’Allemagne le 19 janvier 1919, il est mis à la disposition du Maréchal Lyautey, gouverneur général de France au Maroc.

Il est nommé commandant chef de bataillon. Il avait pu servir sous les ordres de Lyautey avant la guerre et une certaine communauté d’idées et de pensées avait créé entre eux de profond liens d’amitié. Une correspondance assez importante est preuve de cette complicité.

 

Dés son arrivée au Maroc il demande à être muté dans une unité de légion, et prend le commandement du sixième bataillon du premier étranger le 1er octobre 1920. Il y restera jusqu’au 13 février 1931. Le bataillon qu’il commandait était ce que l’on appelait un bataillon monté : une mule était affectée à deux hommes , elle servait non seulement à porter les équipements mais aussi à

transporter un des deux hommes qui l’accompagnaient lorsque la fatigue risquait de ralentir le déroulement des opérations. L’effectif de la légion à cette époque se composait de toute sorte de nationalités : beaucoup de russes, exilés à la suite de la révolution, qui reprenaient du service dans cette unité à des grades très inférieurs à ceux qu’ils avaient dans leur pays d’origine, car n’ayant pas la nationalité française ils ne pouvaient entrer dans les troupes conventionnelles. J’ai connu quelques uns de ces grands seigneurs dont la gentillesse et le courage étaient admirable. Quel bonheur d’avoir eu le privilège de les avoir côtoyé au cour de ma vie. Chalikof-Chalikachwili, Djindjaradzé, Knoré et combien d’autres qui, de passage près de chez nous, nous ont toujours honoré de leur affectueuse visite.

 

Déjà, avant la guerre de 14-18, les allemands représentaient une grande partie des sous officiers et des simples soldats, mais à la suite du conflit et de la défaite allemande, nombre d’entre eux fuyant leur pays dévasté, et l’insécurité qui y régnait, s’engagèrent dans la légion. Ils y trouvaient l’aventure et un cadre de vie, fait de rigueur et de discipline, qui correspondait à leur tempérament et à leur caractère. Remarquables soldats, prompt à la dispute dans les bars, mais ardents au combat, solide dans le travail de construction des routes et des ouvrages d’art, qui représentait une partie de leurs activités . Ils furent dirigés par mon père avec cette intelligence et cette compréhension qui ont toujours été l’apanage de ce chef né.

 

Des années plus tard, en 1948, alors que je me trouvais à Marrakech chez un ancien légionnaire originaire d’Egypte, qui demeurait à la Targa, au milieu de la palmeraie avec sa femme Marie bourguignonne fort en gueule mais combien bonne et accueillante, nous projetâmes une virée dans le quartier du Guélize. Cette excursion était pour moi pleine d’émotions, car c’est dans ce

quartier que mes parents se retrouvaient lorsque mon père n’était pas en déplacement. Dans un des cafés ou nous nous arretâmes, un silence se fit à notre entrée, puis mon hôte demanda à l’assistance si quelqu’un pouvait deviner qui l’accompagnait. Une voix s’éleva:” Est-ce que ce ne serait pas le fils du père Corta. Dés que j’eu acquiescé tous se précipitèrent pour me serrer la main et me donner l’accolade; le souvenir d’Henry de Corta était si présent dans leur mémoire malgré les dix huit années écoulées , qu’ils semblait que les témoignages qu’ils voulurent me donner dataient de la veille. Et quelle admiration dans la voix, quel respect dans les mots lorsqu’ils parlaient de ce chef si exigeant, mais qui prenait toujours leur défense en face des autorités.

 

Exigeant, il l’était, se basant sur sa résistance et sa puissance de travail, il avait du mal à comprendre que certains avaient du mal à le suivre. L’histoire suivante le dépeint bien. Il arrive un jour de Casablanca après avoir roulé à cent trente à l’heure, frais et dispos, passe la nuit dans un dancing, histoire de voir ses hommes se distraire. Son chauffeur, un sergent d’origine allemande, qu’il oblige à pousser sa voiture à la limite, exténué par le voyage et par une nuit blanche, apprend au petit jour qu’on repart pour une randonnée de service, une équipée de neuf heures dans le bled, sans même repasser à la maison.

 

-Quand va t’on dormir, interroge ce martyr du volant.

- Dormir! Riposte Corta. Est-ce que je dors, moi?

 

Et quand le sergent, à l’étape, s’effondre sur un lit.

-Une petite nature, dit Corta, un peu méprisant.

 

Pour lui, il s’entourera de ses cartes, et se remettra au travail. Les officiers, fourbus, s’esquivent un à un, lui, reste à sa table. Mais à peine l’adjudant-major est-il couché que le téléphone le rappelle. Il se rhabille à la hâte, court chez son chef, qu’il trouve entouré de plans déployés.

-Nous avons beaucoup à faire, mon cher; ou étiez vous donc? C’est l’heure agréable pour travailler. Il en réveille encore s’il le faut deux ou trois autres. A quatre heures du matin, il lève la séance, en s’excusant de les congédier.

 

-Nous nous levons de bonne heure. Nous avons trois cent kilomètres à faire. Rendez vous devant l’auto à six heure et demi. C’est en rentrant d’Allemagne, en 1919, qu’il retrouva Jean des Vallières son camarade de captivité. Celui ci le reçut dans sa famille qui avait été durement atteinte par la mort du chef de famille: le général Pierre des Vallières, plus jeune général de France et promis à un grand avenir. Il avait été tué en première ligne, par un mitrailleur allemand, alors qu’il visitait les postes avancés pour soutenir le moral de ses hommes.

 

Noémie, la femme de Pierre des Vallières, n’avait pas surmonté son deuil, et son caractère déjà porté vers la mélancolie, sombrait dans la neurasthénie. Jean des Vallières venait d’épouser Annie de Térris avec qui il était fiancé depuis le début des hostilités. Les responsabilités familiales reposaient donc sur les frêles épaules de sa soeur Marthe, dont l’énergie et le courage soutenaient le moral défaillant de sa mère et de son plus jeune frère René. Dés qu’il fréquenta cette famille, Henry de Corta se sentit attiré par cette jeune fille qui savait faire face à l’adversité. Doucement, un sentiment plus profond se développa entre eux, et bientôt ils envisagèrent le mariage. Celui-ci eut lieu le 7 février 1922 à Paris. Le témoin de Marthe était le Maréchal Pétain, celui d’Henry le Maréchal Lyautey.

Ils durent s’établir là où Henry avait ses commandements; d’abord à Agadir puis à Marrakech.

Le Maroc de cette époque était une région agitée, où le contrôle du territoire et la pacification incombait aux unités de l’armée française et principalement à la légion étrangère. La vie que menèrent Henry et Marthe fut pour le moins cahotante; absences fréquentes d’Henry, parti en opération, retour ponctué de réceptions et de libations avec les jeunes officiers. Isolement de Marthe

dans un pays dont elle ignorait les coutumes et les moeurs.

 

C’est le 23 novembre 1922 que naquit à l’hôpital de Rabat, Hugues, leur premier fils, bel enfant solide et souriant. Il devait mourir deux mois plus tard, le 21 janvier 1923 pour on ne sait quelle raison. Il est vrai qu’a cette époque la médecine militaire était peu avancée et la prophylaxie bien ignorée du personnel hospitalier. Mon frère aîné fut donc enterré au cimetière de Rabat dans une concession à perpétuité qui doit toujours exister.

 

Ce décès fut une grande épreuve pour Henry et Marthe. Lui , parce qu’il se reprochait de n’avoir pas envoyé son épouse en France pour accoucher et passer les premiers mois de la vie de leur fils auprès de médecins compétents qui auraient peut-être pu le sauver. Marthe rentra en France pour de longues vacances auprès de sa famille, et de sa belle famille qui l’avait toujours accueillie avec une grande affection. La vie d’Henry et de Marthe se déroula ensuite avec les joies de l’amitié et les tristesses

inhérentes à toute existence. Ce n’est que quatre ans plus tard que je naquis, le 29 décembre 1926, et voici deux lettres qu’Henry écrivit à cette occasion.

 

La première était adressée à ma marraine, Laurence Fidière des Prinveaux et était ainsi libellé.

- Chère marraine,

Votre filleul Bruno est né aujourd’hui à onze heures 219 rue Vercingétorix: 3Ks 600 et plus de cheveux que son père. Il porte même la barbe. Marthe va très bien et se repose.

Je vous embrasse.-

 

La deuxième lettre était adressée à Marthe:

- Ma chère petite aimée, je ne vous verrais pas demain matin, mais je veux que ceci vous apporte tout mon amour, toute ma joie profonde: le 29 décembre efface presque, pour moi, quatre ans de chagrin, que vous avez si bellement supportés. Pourquoi en dire plus ? Il y faudrait trois cent pages, et vous le savez. Alors, je vous serre dans mes bras, simplement, pas trop fort, pour ne pas froisser le petit qui est entre nous deux, nous unissant plus que jamais.

Je vous adore. -

 

Pendant les quatre ans passés, la santé d’Henry avait commencé à se dégrader; les maladies tropicales qu’il avait attrapé lors de ses diverses campagnes, mais principalement lors de son séjour au Tonkin: Paludisme, amibes, etc, avaient affaibli sa résistance physique. Il buvait certainement plus qu’il n’aurait du, et fumait d’une façon parfaitement excessive. Il est vrai qu’a cette époque les français considéraient comme un titre de gloire de s’adonner aux joies de l’alcool, et la cigarette n’était pas encore condamnée par le corps médical.

Malgré tout il continua à assumer ses fonctions, tout en regrettant de traîner au tableau d’avancement. Son amour pour Marthe était intact, mais ses accès d’humeur devinrent plus fréquents. Il commença à engraisser, et s’interrogeait de plus en plus souvent sur ses buts et le sens de sa vie. Il pensa qu’un retour au Tonkin, dans ce pays qu’il avait tant aimé, et qui représentait encore l’aventure, lui serait bénéfique. C’est en 1929 qu’il demanda son affectation au 1er Étranger qui était cantonné près d’Hannoï .

 

Et ce fut, enfin, le 25 novembre 1929 qu’il fut nommé lieutenant-colonel. Il dut patienter jusqu’au 14 février 1931 pour recevoir son ordre d’affectation dans cette unité qu’il était chargé de commander en second. Il partit donc sur un transport de troupes, et nous le rejoignîmes quatre mois plus tard à bord du navire régulier de la Cie Paquet. Entre temps, il avait pris le commandement du 5eme Étranger, et nous débarquâmes dans le très beau logement de fonction qui lui était alloué à Dap-Cot, une banlieue d’Hannoï.

Henry et Marthe entamèrent une vie mondaine avec réceptions et devoirs sociaux que leur imposait ce poste. Lui, partait le matin pour remplir les devoirs de sa charge et revenait le soir, menant une vie de fonctionnaire, ce qui ne pouvait absolument pas lui convenir. Épris de grandes aventures, et d’opérations hasardeuses vécues avec ses chers légionnaires et les officiers qui partageaient sa passion,

 

il se trouva très vite à l’étroit dans cette vie routinière et sans surprises, ni occasions de se dépasser. Sa santé continuait à se détériorer, et l’alcool, qui a toujours été l’ami et l’ennemi du légionnaire, ne pouvait contribuer à améliorer son état. De plus, le climat dans la région d’Hannoï était particulièrement humide et malsain, et cet homme de cinquante deux ans, usé par une vie mouvementé et hyperactive, commença à changer complètement d’humeur. Crises d’impatience et de colère pour des futilités, ponctués de périodes de remords où il redevenait le mari et le père attentionné qu’il était. Une peur le taraudait, celle de ne pas toujours rester maître de ses réactions, et de risquer de faire du mal aux deux êtres qu’il aimait le plus.

 

En raison de sa mauvaise santé, nous fûmes envoyés dans une station de montagne, au Tam- Dao, pour y passer la saison la plus difficile. Nous y restâmes jusqu’au 6 septembre 1932, et prîmes le train pour Hannoï à cette date. Mon père se trouva seul pendant ce trajet, car ma mère, consciente de son état, voulait le laisser se reposer, et nous nous étions installé dans un Autre compartiment.

 

C’est quelque temps avant Yen-Bay que nous entendîmes un bruit, comme une vitre qui se brise, et ma mère me demanda d’aller voir ce qui se passait. J’entrais dans le compartiment et vis mon père affalé sur la banquette; il s’était donné la mort à l’aide de son revolver d’ordonnance. Toute mon enfance on voulut me cacher ce suicide, et pourtant la certitude de sa décision désespérée m’a suivie jusqu’a ce qu’on m’en informe lors de mes dix sept ans.

 

J’ai longtemps cherché les raisons de son acte mais maintenant que j’ai vieilli, je crois les comprendre. Détruit moralement et physiquement par la maladie, les abus, et la conviction que tout ce en quoi il croyait et tout ce qui avait été le but de sa vie n’existait plus, que la vie casanière qu’il aurait du assumer ne lui convenait plus, il est possible qu’il n’ait pas vu d’autre issue. Peut-être vous direz vous qu’il aurait pu prendre en considération sa femme et son fils, à qui il a bien manqué par la suite, mais étions nous dans son esprit. Et à une époque où les aides psychologiques n’existaient pratiquement pas, pouvons nous juger ce qu’il aurait du penser. Parfois, des décisions rapides et incontrôlées mènent notre destin, et je ne saurais condamner celui qui fut mon père.

 

L’armée et la légion ont décidé qu’il était mort pour son pays, et il me semble que ce n’était que justice, en reconnaissance pour son courage et son dévouement envers sa patrie.

 

Le général Rollet ne s’y est pas trompé qui fit paraître l’ordre général No 3 le 17 septembre 1932. Inspection de la Légion Étrangère

 

Ordre général No 3

 

Le Lieutenant-Colonel de Corta du 5ème Étranger est décédé au Tonkin. C’était une des figures les plus belles de la Légion Étrangère. Il lui avait consacré 22 ans d’une carrière mouvementée et brillante: Il meurt sous son drapeau.

 

Avant la guerre il ne cessa de faire campagne pendant neuf ans dans le sud algérien, au Maroc et au Tonkin. Blessé en 1915, il est ramassé par l’ennemi sur le champ de bataille, et après une dure captivité qu’il passe dans les camps de répression à la suite de nombreuses tentatives d’évasion, il a hâte dés 1919 de reprendre sa place dans les rangs de la Légion, qu’il ne quittera plus. Jusqu’en 1923, le 3éme bataillon du 4éme Étranger qu’il commande est une des unités les plus en renom de la région de Marrakech : il entraîne cette troupe ardente dans neuf combats classés qui valent à son chef une réputation d’élégante bravoure. Pendant la guerre du Riff il commande un groupement de deux bataillons. Déjà à cette époque, sa santé semble atteinte mais il ne peut quitter la troupe qu’il aime. Il part au Tonkin et au bout d’un an de séjour il y succombe.

 

Le Général Rollet, inspecteur de la Légion Étrangère, salue avec émotion la mémoire du Lieutenant- Colonel de Corta en qui s’alliaient harmonieusement les plus belles qualités militaires.

 

Tlemcen, le 17 septembre 1932

Le Général de Brigade Rollet

Inspecteur de la Légion Étrangère

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Propos recueillis par le Lieutenant-colonel Constantin LIANOS auprès de Bruno de CORTA, fils du Lieutenant-colonel Henry de CORTA.

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Bruno de CORTA est âgé de 82 ans, il est membre sympathisant de l’AALE de Marseille depuis 3 ans grâce à une initiative de l’ADC (er) MAHJOUBI ancien chuteur opérationnel du 20 REP, il habite à Montréal au Canada, et, il a fait le voyage de pour amener ce symbole au musée de la Légion étrangère.

 

De la droite vers la gauche : Monsieur Jean-François PICHERAL sénateur des BDR 1er classe d’honneur de la Légion étrangère, Lieutenant-colonel Philippe Guyot conservateur du musé de la Légion étrangère, Monsieur Bruno de Corta, fils du Lieutenant-colonel Henri de Corta, Commandant Constantin LIANOS, officier NRBC de l’EMIAZD Sud et président de l’AALE de Marseille. 

 

C’est au cours du cocktail de porteurs de la main du Capitaine Danjou du 29 avril soir que Bruno de Corta a remi au Général, commandant la Légion étrangère le fanion de son père. Très ému mais heureux d’avoir accompli une mission qui le tenait à coeur depuis des nombreuses années.

 

C’est avec une grande émotion que le Général a reçu le fanion en disant une bonne partie de l’histoire glorieuses du Lieutenant Colonel Henri de Corta dont il connaît par coeur.

 

Aubagne le 30 avril 2008

Lieutenant-colonel Constantin LIANOS

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