HONNEUR À NOS SOLDATS MORTS AU COMBAT
Par Jean-Noël Beverini
Un récent article sous la plume du journaliste Benoît Hopquin et titré
« À DIÊN BIÊN PHU
La Patrie non reconnaissante »
nous apprend que des centaines de corps de nos soldats « reposent encore sur le site de l’ultime bataille de la Guerre d’Indochine. » Nous sommes en 1954, dans les derniers jours des combats, entre le 13 mars et le 7 mai et dans les derniers pilonnages d’artillerie et assauts des troupes Vietminh. Entre 1200 et 1300 soldats sont ensevelis dans des fosses communes sur le lieu de cette tragédie, il n’y a pas d’autres mots.
Cette annonce ne serait pas si surprenante si l’article en question ne nous indiquait que les corps de nos soldats « sont désormais sous la menace de bulldozers. » Les autorités vietnamiennes ont, en effet, décidé d’élargir la piste d’atterrissage de l’aéroport situé à proximité immédiate du lieu d’inhumation des combattants. La piste, créée par les japonais durant la Seconde Guerre mondiale, était alors utilisée par l’armée française. Il ne saurait être question de mettre en cause la décision d’extension prise par le pouvoir vietnamien, en raison de nécessités qu’il est seul maître d’apprécier, d’autant que le peuple vietnamien a toujours été, par principe, respectueux des morts, mais de s’interroger sur l’attitude qu’il convient d’adopter sur le devenir des corps de ces soldats morts pour la France.
Laminés par les bombardements, les corps de ces combattants doivent-ils, près de 70 ans plus tard, être labourés par les griffes et les chenilles des engins de chantier et pulvérisés dans le silence des autorités françaises ? Dans le périmètre immédiat des travaux, entre 100 et 200 corps seraient, en particulier, enfouis.
Face au silence actuel, la voix du Souvenir français et de l’Association Nationale des Anciens Prisonniers d’Indochine (ANAPI)
Le Souvenir français, remarquable association qui s’est donnée pour mission d’entretenir la mémoire et les tombes des soldats morts pour la France, a réagi par la voix de son président, le contrôleur général des armées Serge Barcellini, en demandant l’envoi d’une équipe française pour engager une campagne de fouilles et de préservation. L’Association Nationale des Anciens Prisonniers d’Indochine (ANAPI) présidée par le contrôleur général des armées Philippe de Maleissye intervient également dans le même esprit. De son côté, l’Association des Anciens Combattants de la Légion Étrangère (AACLE) et son président, le lieutenant-colonel Constantin Lianos, qualifient de « honte » un tel silence actuel de l’État, du moins s’il persistait.
L’oubli de l’Histoire : un oubli de soi, un reniement des ses Valeurs
Vingt mille soldats français sont officiellement morts durant la Guerre d’Indochine. Sans compter les Tabors et les supplétifs locaux. 8997 légionnaires, 1071 sous-officiers et 314 officiers Légion sont également tombés pour la France. Jamais l’arme au Képi Blanc et au fanion vert et rouge n’avait envoyé autant de ses unités, éléments décisifs dans les engagements.
Le prix du sacrifice aurait t-il l’oubli pour récompense ? Sa valeur serait-elle proportionnelle aux 10 000 kilomètres qui séparent Diên Biên Phu de la métropole ? « Loin des yeux, loin du cœur. » France va t-elle faire sienne cette assertion ? L’héroïsme, le courage, l’abnégation, les vertus et l’amour de la France, l’obéissance à ses ordres jusqu’au don de sa vie s’étiolent-ils à ce point avec le temps et l’espace qu’ils deviendraient inaudibles aux oreilles des ministères parisiens et du palais élyséen ?
Rappelons-nous, un seul exemple parmi des centaines d’autres, l’exploit de l’adjudant-chef légionnaire Hendrick, le 8 juillet 1946 à Gay-Sop : ayant pris le commandement de ses hommes après la mort de son capitaine, il résiste à l’ennemi et put remettre à la colonne venue le secourir … le corps de son capitaine et des 17 légionnaires tués. La Légion n’abandonne jamais ses morts. Jamais. La France pourrait-elle le faire ?
Combien de soldats portant sur leur poitrine la Médaille militaire, sur leur épaule la fourragère aux mêmes couleurs, la Croix de guerre ou la Légion d’honneur reposent-ils dans ces fosses communes prêtes à être labourées si rien n’est décidé, si rien n’est entrepris, si le silence est la seule réponse ?
Je suis particulièrement sensible à la présence du 5 RE à Diên Biên Phu quand le siège commence. Sa compagnie de mortiers lourds est décimée. Il figure dans les ultimes combats. La Légion est présente en force : Isabelle, Claudine, Béatrice, Gabrielle, Huguette, Éliane …. Tant de Postes. On se bat et on meurt pour l’estime de son chef, et de ses camarades, et pour l’honneur de la Légion qui ne recule jamais. Tradition sacrée des Anciens. More Majorum !
Et tous ces volontaires parachutés dans le camp retranché ! Acceptant tous les risques : être largués sous le tir des mortiers ennemis ! En 57 jours près de 4000 hommes seront parachutés. Le 25 avril 1954 la Citation à l’ordre de l’Armée d’Indochine déclare :
« Mérite l’admiration du monde libre, la fierté et la gratitude de la France »
Le 8 mai 1954 Diên Biên Phu n’est plus.
Le 8 mai 2023 les restes des soldats, aussi, n’existeraient-ils plus ?
L’admiration, la fierté et la gratitude de la France ne seraient-elles devenues que des mots. Donner son sang n’aurait-il plus de sens ?
La page serait-elle tournée ? Le livre refermé ? Et la mémoire définitivement éteinte ? Morts deux fois.
Pourtant les solutions sont simples.
Le respect dû aux morts
Dès la plus haute Préhistoire, bien avant les civilisations du Bronze, l’homme a toujours respecté ses morts. Qu’ils soient inhumés ou plus tard brûlés sur un bûcher, avec leurs armes pour les guerriers. À la fin de l’âge du Bronze, des nécropoles s’étendent sur plusieurs hectares et comportent des milliers de tombes, des « Champs d’urnes ». En France même, le site languedocien de Mailhac en est caractéristique mais de telles nécropoles se retrouvent en Allemagne, en Italie, en Espagne. Toute l’Europe occidentale souscrit au culte des morts.
Plus proche de nous, si je peux dire, faut-il inviter nos dirigeants à relire l’Oraison funèbre de Périclès en l’honneur des Athéniens morts au combat lors la première année du conflit avec Sparte ? (Thucydide – La Guerre du Péloponnèse II 34-47. Madame Jacqueline de Romilly en a procuré une édition et traduction). C’est « l’éloge de nos morts, à ceux qui ont péri courageusement dans le combat. Faisant en commun le sacrifice de leur vie, ils ont acquis chacun pour sa part une gloire éternelle et obtenu la plus honorable des sépultures ? »
Le Chant XXIV de l’Iliade d’Homère montre, quant à lui, le Roi Priam réclamant à Achille le corps de son fils Hector pour lui donner une sépulture digne et honorable. Un saint « devoir » que celui de s’acquitter de ses « devoirs funèbres ».
Toute l’Histoire est tissée du respect dû aux morts et de la reconnaissance à accorder à ceux d’entre eux morts pour leur Patrie.
Un respect de plus en plus grand à l’égard des « restes humains »
Il convient de noter que nos sociétés ont de plus en plus tendance à accorder du respect aux restes humains. Il est frappant de constater que, lorsque au cours de fouilles actuelles, les archéologues en découvrent, ceux-ci sont délicatement prélevés, étudiés et conservés. Les exemples sont foison :
- À l’abbaye du Tholonet, des travaux sur conduites enterrées mettent au jour un cimetière. Les corps sont transférés et inhumés à nouveau.
- À Marseille, des travaux effectués dans le cloître de l’église des Chartreux révèlent la présence de corps ensevelis. Ceux-ci sont inhumés dans le chœur de l’église.
- Des crânes, au nombre de 9, provenant de la guerre, ont été restitués à l’Algérie.
- Au centre du Carré 15 du cimetière Saint-Pierre à Marseille, s’élève un monument, dû à Espérandieu, qui contient les restes des soldats français morts à Tombouctou, appartenant à la Colonne Bonnier et dont les restes ont été rapatriés.
- Faut-il parler de la restitution de la Vénus Ottentote à l’Afrique du Sud ?
- Chacun a entendu parler des fouilles conduites à Vilnius par le préhistorien Michel Signoli ayant mis au jour les « restes » de soldats de la Grande Armée. Là encore, cette opération a, non seulement, apporté son lot d’informations sur le sort des soldats morts au retour de la Campagne de Russie en 1812 mais les corps ont été préservés, respectés et enterrés au cimetière Antakalnius de Vilnius.
On ne détruit plus aujourd’hui les restes humains. Les ossements ne sont plus considérés comme des « objets » ne méritant aucune considération. Tous ces exemples, volontairement présentés dans le désordre, démontrent ce respect de plus en plus évident dans des circonstances pourtant fort différentes.
Au regard de l’Histoire et face à cette tendance de plus en plus marquée, il convient alors de s’interroger sur la décision de la France en ce qui concerne le devenir des restes de ses soldats morts à Diên Biên Phu. Incompréhensible et critiquable au sens moral, une inaction serait difficilement acceptable au regard de l’évolution sociale. Elle apparaîtrait, de plus, contradictoire avec la création de la Médaille de reconnaissance aux victimes du terrorisme. Cette médaille rend hommage à ceux qui ont été tués (ou blessés) lors d’événements terroristes. Comment pourrait-on, à la fois, honorer les victimes du terrorisme et ignorer le sacrifice de ceux morts pour la France ?
Peut-on oublier les soldats morts pour la France ?
Mon professeur de grec ancien avait coutume de dire : « Que dit Budé ? ». Sur notre sujet, que dit la loi ? La loi, en son article 225 du Code pénal considère que la dépouille mortelle est sacrée et son intégrité doit être préservée. La mention « mort pour la France » ouvre droit à une sépulture perpétuelle aux frais de l’État soit dans une nécropole nationale ou dans un Carré militaire (en cas de crémation). Le débat serait désormais clos. À l’État d’appliquer la loi. Après être mort au combat, le soldat a droit à la Paix et au repos éternel.
Dans un texte consacré au « Devenir des corps des soldats sur les champs de bataille de la 1° Guerre mondiale » Serenelle Nonnis Vigilante, maître de conférence – Université Paris XIII (2006) écrit :
- « Le soldat mort dont le corps est abandonné perd son statut juridique, c’est à dire la protection de la loi et lui, le soldat en tant qu’individu, perd son caractère de défunt ayant droit à la mémoire civique individuelle. »
Oui, en ces conditions, le soldat meurt deux fois, alors que les vivants ont une dette de reconnaissance envers ceux qui ont donné leur vie pour le pays.
Exhumation, études et rapatriement ou nouvelle inhumation dans un cimetière européen sur place
La solution passe incontestablement par l’ouverture d’un dialogue avec les autorités vietnamiennes débouchant sur l’envoi d’une délégation française qui pourrait être constituée d’archéologues de l’Institut National de recherches Archéologiques Préventives (INRAP), principal acteur dans ce type de missions. Toute action susceptible d’identifier les corps, de les dénombrer, de les « historier » pourrait ainsi être conduite. Le choix de rapatrier ensuite les « restes humains » en métropole ou de les ré-inhumer sur place, par exemple dans un cimetière européen local (qui doit exister en raison de la forte ancienne présence française) pourrait ensuite être décidé. L’élévation par souscription d’un monument à la gloire des morts de Diên Biên Phu concrétiserait cette volonté de respect et d’honneur portée à leur mémoire.
La France s’honorera d’une telle décision et d’une telle action. Elles sont urgentes et indispensables. Là est la seule attitude de reconnaissance, de noblesse et de grandeur. Dans le cas inverse, quelle image donnerait la France à ses soldats actuellement sous les drapeaux, à ses citoyens et à la communauté internationale ? Celle d’une Nation oublieuse de ses morts glorieux. Seuls les peuples barbares ignorent leurs morts.
………
L’auteur tient à remercier le professeur Régis Bertrand, de Marseille Université, historien, spécialiste de l’ « Histoire de la mort », membre de l’Académie de Marseille et le professeur Didier Pralon, professeur émérite de grec ancien Maison méditerranéenne des sciences de l’homme – Université de Provence - et membre de l’Académie de Marseille.
DERNIÈRE MINUTE
Un entrefilet du quotidien régional « La Provence » informe que « Paris va rapatrier les dépouilles de soldats » de la bataille de Diên Biên Phu. La Secrétaire d’État chargée des Anciens Combattants et de la Mémoire en a fait hier la déclaration devant l’Assemblée nationale. Félicitons-nous de cette décision.
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Merci Jean-Noël pour ce magistral rappel, je pense immediatement à nos quatre membres à vie de l'AACLE survivants de cette débâcle pour rien, dont le Lcl Pierre NEUVILLE (notre doyen 101 ans et six mois qui avait les larmes aux yeux lors de ma dernière visite à son domicile à Lumio). Le Légionnaire de 1re Classe Egon HOLDORF, Vice-président de l'AACLE est sidéré à la lecture de l'article en question!
Constantin LIANOS, ancien Légionnaire-officier supérieur à titre étranger, Président-fondateur de l'AACLE, Monsieur Légionnaire et ses réseaux.
Messages et commentaires :
Le 30 mars 2023 à 11:41, Jean-Jacques DOUCET a écrit :Cher Constantin,Merci de ce sublime éloge de nos morts de Dien Bien Phu, tués en défendant le monde libre face au communisme ; à l'heure même où les syndicats communistes français caillassaient nos blessés d'Indochine que l'on débarquaient à Marseille.Puisse la France d'aujourd'hui ramener ses glorieux morts à leur terre originelle qu'ils ont tant aimée. Puissent-ils y être honorés là même en France où ils avaient subi -de si loin, bien sûr- l'indigne opprobe d'une France égarée dans son confort oublieux de toute la noblesse des âmes.Jean-Jacques DOUCET
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