Compte rendu de la conférence pour le 45ème anniversaire de l'opération «Bonite» à Kolwezi (Zaïre)
Une conférence en présentiel a été organisée par le Président de l'AACLE pour le 45ème anniversaire de l'opération «Bonite» à Kolwezi (Zaïre)
Compte rendu écrit par le Commissaire en chef de la marine Jean-Noël BEVERINI
VOYAGE AU BOUT DE L’ENFER (1)
Tel pourrait être le titre de ce compte rendu de la conférence délivrée le 27 mai 2023 en présentiel par le lieutenant-colonel Constantin Lianos et consacrée à l’Opération Bonite, à savoir l’engagement du 2° REP à Kolwezi.
« Vedi Kolwezi poi muori » (Vois Kolwezi et meurs) pourrait aussi en être un second titre.
Le siège de la rue Aviateur Lebrix était juste suffisant pour recevoir les membres ayant répondu à l’invitation du conférencier, président-fondateur de l’AACLE. L’Opération Kolwezi remonte à 45 ans, en 1978, mais la conférence n’avait rien d’historique. Il s’agissait d’une tranche de vie, d’un moment vécu dans l’action, le combat et la guerre. Le conférencier, en veston bleu frappé du blason de l’Amicale des Anciens Légionnaires Parachutistes (AALP), cravate verte et béret de même, y était. À Kolwezi ! Une ranche de vie, vous dis-je.
Tout débute par une course d’orientation …
À l’évocation de l’Opération d’il y a 45 ans le lieutenant-colonel d’aujourd’hui retrouve ses années de Sergent dans la Légion étrangère. Son visage s’anime. Nous sommes là, nous sommes avec lui. Avec lui nous mettons en place cette course d’orientation qu’il prépare en ce 14 mai 1978 pour son régiment, le 2° REP. Sa jeune épouse, Jeanne, est de la partie car, dans la course d’orientation, on ne reprend pas au retour le parcours de l’aller. Jeanne se positionne donc en bout de course pour récupérer avec son véhicule son Constantin d’époux, ayant mis en pace une vingtaine de balises.
En ce beau jour de mai, il n’y a point d’alerte. Aucunement. Si la course d’orientation est bien préparée, la course contre la montre, elle, va commencer ! On va changer de registre ! Les légionnaires sont en permission, en stage deformation partout en France d'autres sont en exercice. Aucun ne se doute, et en premier lieu notre Sergent d’alors, que 4 jours plus tard ils seront à 8000 kilomètres. Où cela ? À Kolwezi !
Partir sans espoir de retour
Kolwezi. Mais la destination n’est pas annoncée. Il n’y a pas de panneau affichant un vol, un numéro d’enregistrement, une heure de départ, ni de retour, pourrai-je écrire avec humour. Il va s’agir de partir sans espoir de retour. Mais en ce 14 mai les guerriers en Képi blanc ne savent rien, ne savent pas qu’on leur prépare un « voyage au bout de l’enfer ». Un voyage en trois syllabes : Kol-we-zi. Légionnaire, vas-y et meurt s’il faut mourir. More Majorum.
Des ex-gendarmes Katangais, mis hors du Zaïre et voulant rentrer chez eux, se dressent contre le président Mobotu pour le déloger. Le 15 mai les massacres de la population zaïroise et de la communauté européenne, nombreuse, commencent. Premier acte sanglant. La décision est prise à l’Élysée : 2° REP. Pourtant la France n’a rien à faire dans cette ancienne Colonie belge. Mais la Belgique tarde à agir, espérant trouver une solution diplomatique.
8000 kilomètres mais quel vecteur ?
Bien beau sur le papier mais comment envoyer 600 légionnaires en armement à 8000 kilomètres ? Du jour au lendemain. Rappel des permissionnaires. Les hommes sont rassemblés. Notre Sergent, lui, est déjà sur place à la tête de sa Section. Départ du Camp Raffali de Calvi pour Solenzara, la Base de l’Armée de l’Air. Embarquement avec armes et bagages. Jamais l’expression n’a été aussi vraie. Mais sur des vecteurs américains. Puis sur place, largage sur Kolwezi, à basse altitude (200 mètres, même moins) par des Transall français. Les parachutes américains n’ont pas été précédemment ouverts comme il l’aurait fallu pour s’assurer de leur bon état. Le risque de les voir alors se mettre en torche n’est pas à exclure. Mais il faut sauter. Alors, on saute.
Les corolles des parachutes, comme de grands champignons, couvrent le ciel zaïrois. Les largages, les sauts, tout cela est parfaitement connu, pratiqué, des centaines de fois. Mais là, nous ne sommes plus à l’exercice ! En bas le comité d’accueil katangais agite la mort en guise de bienvenue. Jamais le plancher des vaches ne semble avoir été autant attendu et souhaité ! Parlons plutôt d’herbes à éléphants !
L’Herbe à éléphants, vous connaissez ?
Vous allez connaître. Rien à voir avec celle de nos vertes prairies de Normandie ou, plus généralement, de nos douces campagnes. Cette herbe-là est plus haute que vous et moi. Une fois plongé entre ces tiges-là vous ne pouvez plus rien voir. Votre univers devient fait d’herbes ! Si de sauvages katangais, drogués qui plus est, n’étaient pas là pour vous accueillir, il y aurait de quoi rire. Mais le rire n’est pas de mise. Et de loin. On ne voit rien et quand, enfin, on arrive à voir, on voit des centaines de cadavres. Des cadavres partout. Jonchant le sol. Et des chiens faméliques qui les dévorent. C’est un combat urbain en zone rapprochée.
Et toujours aux alentours, ces herbes à éléphants qui vous masquent la vue. Sur cette terre africaine qui n’exhale plus que des odeurs de sang et de corps en décomposition, sous une accablante chaleur, les détachements de légionnaires avancent sans se voir. En forme de « V » renversé. Maudites herbes. On avance dans cette mer herbue comme un sous-marin en plongée qui aurait perdu tout repère, qui serait subitement privé de sa centrale inertielle (2). Et croyant être en présence d’ennemis, on finit parfois même par se tirer dessus, en tirs fratricides ! Heureusement sans dégâts.
L’enfer prend le nom de Zaïre en ce mois de mai 1978. Loin de là en France, à 8000 kilomètres, le haut commandement suit la progression du Régiment avec anxiété mais confiance. Les armes sont saisies par centaines. La 4° Compagnie, celle de notre Sergent, en récupère au delà de toute attente, les transfère à la 3° qui les inventorie comme « prise de guerre ». Les prisonniers Katangais sont remis aux Forces zaïroises qui, sans autre forme de procès, les exécutent.
Louis Boulanger et Patrick Chauvel
Le président Lianos évoque alors les noms de Louis Boulanger et de Patrick Chauvel. Le premier, alors âgé de 14 ans, a été sauvé avec sa famille par le 2° REP. Comme tant de français et d’européens. Louis Boulanger avait témoigné lors d’une précédente conférence. Des milliers de zaïrois ont aussi été retirés des griffes de l’enfer.
Patrick Chauvel, ami du président, était reporteur de guerre à Kolwezi. Il a écrit, photographié, filmé, commenté tout cela et voue naturellement une éternelle reconnaissance à la Légion pour son action et tout particulièrement au 2° REP. REP comme REP-arateur de Liberté, de Paix et de Vie.
« Ne tirer qu’à bon escient »
À chaque tir une tête doit tomber. Quarante « feu » à la même seconde, comme un seul et unique tir, et quarante têtes qui tombent. C’est cela le tireur d’élite. Une maîtrise parfaite.
Le 2° REP perdra 5 légionnaires en terre zaïroise. Mission remplie. More Majorum éternellement. Je suis né pour mourir mais je vaincs. Ratissage et avancée. Face à l’horreur : l’honneur.
Et à 8000 kilomètres …
À 8000 kilomètres, une jeune femme, une jeune femme corse, à Calvi, tient dans ses bras son enfant né trois semaines avant. Trois semaines ! Et cette jeune femme attend le retour de son époux légionnaire, Sergent au glorieux 2° REP. Elle berce son enfant et songe à son mari dont, évidemment, elle n’a pas de nouvelles. On combat, on sauve, on est blessé, on meurt mais à 8000 kilomètres, dans le golfe clair, si bleu et si magnifique de Calvi, on attend dans le silence. Et la jeune femme corse, elle qui accompagnait son époux dans la préparation de la course d’orientation du 14 mai dont les Légionnaires feront le 17 mai, va voir son légionnaire et mari revenir.
Cela le président Lieutenant-colonel ne le dit pas. Par discrétion. Mais moi, je tiens à le dire. Honneur à toi, Jeanne. Honneur à ces épouses et compagnes de nos légionnaires, comme à celles de nos soldats de France.
Cela encore personne ne le dit : pendant des semaines l’horrible odeur des cadavres en décomposition, qui éclataient sous le soleil quand les bennes venaient les ramasser, hanta les guerriers de Kolwezi.
Conclusion
Nous n’avions rien à faire à Kolwezi. Nous avons donné un coup d’arrêt à l’expansionnisme de l’URSS en Afrique par l’Allemagne de l’Est interposée et Cuba. La Légion a sauvé. Mai 1978 : c’était l’époque de la Pentecôte. L’Esprit a soufflé sur le 2° REP. Gloire à lui. Vive le Képi Blanc, le Fanion vert et rouge. Et More Majorum. Merci et profonde reconnaissance au président, le lieutenant-colonel Constantin Lianos.
À Marseille, le 1° juin 2023
Jean-Noël Beverini
(1) Film de Michael Cimino (1978) avec Robert de Niro et Meryl Streep. Oscar du meilleur film (1979)
(2) Centrale inertielle : instrument de navigation permettant de se localiser à tout moment sans utiliser d’applications estérieures.
Bravo au Colonel Yves RAIMONDO d'avoir conservé son livret de chants lorsqu'il était Lieutenant au 2° REP (1972!) C'était hier.
Nous appercevons derrière M. Paul de GIOVANI, Mesdames Armele CORBEL et Jeanne LIANOS
Un grand merci à Madame Armelle CORBEL pour ses belles prises de vues et son enregistrement dont vous avez un aperçu sur le lien suivant :
https://www.youtube.com/watch?v=axtkooB9JeI
Lien Kolwezi par Jean-Pax Méfret clip youtube
AACLE – SÉANCE DE CHANTS DU MAJOR DANTE STEVENAZZI DU 27 MAI 2023
En ce 27 mai 2023 et en ouverture de la conférence sur Kolwezi délivrée par le lieutenant-colonel Constantin Lianos, président de l’AACLE, (voir précédent compte rendu du 1° juin) le major Dante Stevenazzi nous a réservé, comme chaque fois, une mémorable séance de chants.
Quel brio, major ! Au combat, il faut surprendre l’ennemi. En chant, il faut surprendre aussi ! Par le talent vocal et choral. Mais votre talent, nous le connaissons. Pour démarrage donc, une surprise : « Con Te partiro » d’Andrea Bocelli. Vous le chantiez chez vous ce matin. Votre voisin vous croisant à midi vous dit :
- « Vous avez mis la radio un peu plus fort ce matin »
Quelle gloire, major !
Puis ce fut naturellement Eugénie. Eux aussi sont partis mais pour combattre. Le major, en veston bleu décoré entraine les membres présents comme il entrainait ses légionnaires : avec la même fougue.
« As-tu vu le fanion du légionnaire,
As-tu vu le fanion de la Légion ? »
Nous l’avons vu, major. Nous avons surtout vu, à nouveau, un extraordinaire légionnaire, combattant, chef de chœur, écrivain … Il faut acquérir son livre à tout prix : « Une vie pour la Légion, la Légion pour la vie ».
Ensuite : « le chant des commandos », en l’honneur de tous les commandos, marine compris évidemment :
« Les commandos partent pour l’aventure
Soleil couchant les salue,
Chez l’ennemi, la nuit sera très dure
Pour ceux qui pillent et qui tuent »
Que de souvenirs dans ce chant entonné à La Courtine avec la troupe, arme sur l’épaule. Toutes les fenêtres s’ouvraient. En arrivant au mât des Couleurs, officiers, soldats et personnels civils sortaient pour admirer.
« Les bérets verts »
« Être brave, être fier
pour gagner le béret vert…
Dans le ciel couleur d’acier
Ils descendent par milliers »
On ne pouvait échapper aux « Cailloux » !
Et vous marchiez, major, avec votre troupe, mortier, mitrailleuse A52 et ses cartouches, un sac de 20 kg sur le dos …
C’est plus qu’une séance de chants. C’est un théâtre, un festival.
« Pour faire un légionnaire » : cela vous le savez et pour terminer :
« Non, je ne regrette rien ».
Vous avez raison, major.
Nous, non plus, nous ne regrettons rien et surtout pas de vous avoir en séance de chants Légion.
Marseille, le 2 juin 2023
Jean-Noël Beverini
© Monsieur-Légionnaire
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