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Les actualités de
Monsieur Légionnaire

Le 10 avril 1954, une victoire française à Diên-Biên-Phu

Le 10 avril 2024                                           

                                  Le 10 avril 1954, une victoire française à Diên-Biên-Phu.

« Un rendez-vous de Chevalerie ? La plupart de ceux qui sont là ont choisi les paras par vocation et les camarades leur tiennent lieu de religion. Ils ne sautent pas pour Bao Daï, qu'ils méprisent ou ignorent. Langlais, Bigeard, Bréchignac, Botella, Tourret, et tous les capitaines à mauvais caractère et humour cinglant se battent seulement pour empêcher la France de descendre au tombeau ... »                                                                    (Jules Roy : « Requiem pour Diên-Biên-Phu »).

Le 7 mai prochain, les associations militaires et patriotiques honoreront les 70 ans de la chute de Diên-Biên-Phu, une défaite cuisante certes, mais qui raisonne comme une victoire tant la garnison de Diên-Biên-Phu, qui se battait à un contre dix, a été héroïque. Ces soldats ont été sacrifiés pour que la France puisse hâter les Accords de Genève avec le Vietminh et sortir du bourbier indochinois.

Aujourd’hui, je voudrais rendre hommage au courage et à l’héroïsme des combattants de la bataille d’« Eliane 1 », moins d’un mois avant la chute du camp retranché.      

Dans la nuit du 9 au 10 avril 1954, les premiers éléments du 2ème  BEP(1)  du commandant Liesenfelt sautent sur Diên-Biên-Phu. La 7ème compagnie perd à cette occasion six hommes ; trois tués et trois disparus. Au petit jour, le commandant Hubert Liesenfelt et le capitaine Charles Delafond vont reconnaître l’implantation de la 7ème compagnie sur « Dominique 3 », tenu par le BT 2 (2) du commandant Chenel. Au retour, un obus de mortier tue le capitaine Delafond. Le lieutenant Le Cour-Grandmaison le remplace aussitôt à la tête de la 7ème compagnie. 

Le 10 avril, le commandant Bigeard veut reprendre « Eliane 1 » ; les mortiers du lieutenant Allaire noient les tranchées périphériques d’« Eliane 1 » sous un déluge d’obus. À 6 heures 10, la 1ère  compagnie du lieutenant Le Page (avec la section de l’adjudant Herraud) et la 2ème compagnie du lieutenant Trapp (avec la section du lieutenant Samalens) se lancent à l’assaut : en dehors des cadres ce sont des Vietnamiens qui s’élancent avec détermination. Ils foncent en criant, semant la panique dans les rangs des bo-dois, surpris et encore assommés par les déflagrations. Les voltigeurs ne sont pas nombreux, une petite trentaine pour les deux compagnies. Mais les Viets du bataillon Bigeard veulent prouver que l’enthousiasme et  le courage ne sont pas l’apanage du camp d’en face. 

Derrière eux, les Européens des lieutenants Corbineau et Leroy, galvanisés par l’élan de leurs camarades vietnamiens, courent pour les soutenir. Ils mènent un assaut violent, insensé et… efficace. Surpris, bousculés, les Viets se replient en désordre et disparaissent. 

            À midi, Le Page à gauche et Trapp à droite organisent une défense hâtive. Les bo-dois contre-attaquent presque aussitôt. Un assaut improvisé qui sent le dépit et la colère. Les deux compagnies de parachutistes s’accrochent. Tous les chefs de section de la 1ère compagnie sont tués ou blessés. Le sergent-chef Hervé Marc, le bras arraché, agonise au fond d’un trou. Les lieutenants Pierre Leroy, André Samalens et Roland Corbineau ont été atteints par des rafales et des éclats de grenade. Leurs sections sont commandées par de simples sergents. En tête, René Sentenac, blessé, qui a refusé d’être évacué. À droite, la 1ère section de la 2ème compagnie est réduite à rien ; son chef, le sergent-chef René Baliste, a été tué. Il ne reste que deux survivants : le caporal Cazeneuve et le parachutiste Pingwarski. Ils tiennent. Ils veulent ramener le corps de leur chef. La 3ème compagnie du capitaine Perret, venue en appui, éprouve elle aussi des difficultés ; le lieutenant Fromont, criblé d’éclats, tient un bout de tranchée avec une poignée de paras encore valides. Sur les quatre-vingt parachutistes de la 2ème compagnie du 6ème  BPC (3) engagés dans l’assaut sur « Eliane 1 », Trapp a perdu quinze tués, vingt-deux blessés et tous ses chefs de section.

A la nuit tombante, « Eliane 1 » tient toujours ; la 1ère compagnie du capitaine Charles et la 2ème compagnie du capitaine Minaud, du II/1er  RCP (4), viennent relever les compagnies du 6ème BPC. Les seules compagnies dont dispose encore le camp retranché. A peine arrivés, les paras du 1er  sont cloués par les tirs meurtriers de l’artillerie viet. Vers 19 heures, les bo-dois du Régiment 98 lancent la contre-attaque. Le choc initial tombe sur la section Ruyter. Les hommes sont arrivés l’avant-veille. Très vite, ils sont engagés. Derrière eux, les autres sections sombrent dans la bataille.

En trois heures, les deux compagnies du II/1er RCP perdent la moitié de leur effectif ; les capitaines Charles et Minaud sont blessés. Les radios appellent à l’aide. 

Alors, pour la première fois depuis le début de cette bataille à un contre trois, puis un contre dix, Bigeard demande à tous les bataillons de Diên-Biên-Phu de l’aider à conserver « Eliane 1 ».

Le premier bataillon à répondre est le 1er BEP. La compagnie du capitaine Martin s’équipe en vitesse et fonce sur « Eliane 1 ». Au moment de monter au feu, les légionnaires-paras se mettent à chanter « Contre les Viets, contre l’ennemi ». Et avec eux d’autres camarades montent à l’assaut ; ceux d’une compagnie du 2ème BEP larguée la veille. Derrière eux, deux compagnies du 5ème BPVN (5) hâtivement regroupées par le capitaine Botella, la 2ème du lieutenant Pham Van Phu et la 3ème  aux ordres du capitaine Guilleminot. Le 5ème « Bawouan », qui n’a pas de chant de marche, entonne la Marseillaise.  À 2 heures du matin, les derniers Viets sont délogés de leurs trous sur « Eliane 1 ». 

Dans la nuit du 10 au 11 avril, l’intégralité du reliquat du 2ème  BEP saute. Sur les cent-vingt-neuf largués de la 5ème compagnie du lieutenant de Biré, cinquante-huit sont des Vietnamiens, soit presque la moitié de l’effectif. D’autres arrivées, hélas limitées, viennent prêter main-forte à leurs camarades paras. Un petit renfort pour le 1er BEP : deux officiers, dont le lieutenant de Stabenrath (qui décèdera de ses blessures plus tard), treize sous-officiers, et vingt-huit  légionnaires.  

Depuis la reprise d’« Eliane 1 », les Viets mettent le paquet pour en finir. Tous les soirs, ils repartent à l’assaut d’un sommet bouleversé. Et tous les matins, ils en redescendent, un peu plus meurtris, mais ils ne passent pas. La Division 316 se casse les dents sur les parachutistes et les Légionnaires - moins d’une centaine -  qui s’accrochent au terrain et ne lâchent pas.

            Dans ses cahiers, rédigés après son retour de captivité, le capitaine de Verdelhan, mon père, a écrit : « Début avril : La chute de « Dominique » a permis aux Viets de rapprocher encore leur DCA. Les DZ(6) périphériques de Diên-Biên-Phu  ne peuvent plus être utilisées depuis les premiers jours d’avril… Il ne nous reste plus que le camp retranché lui-même.  De la position du 8ème Choc - à l’extrémité sud du terrain d’aviation - à celle du 1er BEP – au sud du camp retranché – il n’y a que 600 mètres. Des barbelés ouest au pied d’« Eliane 2 » il n’y a guère plus. En outre le terrain est coupé de tranchées, couvert de barbelés, hérissé de piquets et d’antennes de radio. Le colonel Langlais donne l’ordre de faire effectuer les largages sur cette DZ… Nous attendons le premier largage avec une certaine anxiété. Pour diminuer les risques, les aviateurs viennent par vagues lentes. Il s’écoule généralement de 20 à 30 minutes entre chaque passage, ce qui  permet de ne parachuter que 50 ou 60 hommes à l’heure. Le largage d’une compagnie peut durer toute la nuit… Le 2/1er  RCP inaugure la nouvelle DZ.  Malgré nos craintes, tout se passe bien. Hanoï croit toujours qu’on saute sur le terrain d’aviation et nous invite vivement à le débarrasser des obstacles qui pourraient blesser les paras à l’atterrissage (7)» Le colonel Langlais, dans ses écrits, ne cesse de fustiger les consignes de  la base arrière d'Hanoï; ces technocrates qui veulent que les zones de saut soient conformes aux exigences de temps de paix.  L'état-major envoie, sans le moindre état d'âme,  des bataillons entiers à la mort mais veut impérativement éviter les accidents de saut; on croît rêver !

Le capitaine de Verdelhan poursuit : « Après le 2/1er RCP c’est au tour du 2ème BEP de venir nous rejoindre. Ce bataillon joue de malchance. Dès les premières heures ses pertes sont énormes, avant même qu’il ait été engagé. Nous recevons ensuite des renforts individuels où l’on compte de nombreux volontaires pour faire leur premier saut sur DBP, pour la plupart sans entraînement. Au total, ils sont 550  et, malgré leur inexpérience et la nature peu accueillante de la DZ on compte moins de 10 accidents graves…» Ces « volontaires d'un saut », que mon père chiffrait à 550, seront 800 ou 900. Je présume que le décompte des 550 concerne ceux répertoriés par la Groupement du colonel Langlais. Beaucoup de gens se demandent encore aujourd'hui - et je suis de ceux-là - quel magnifique élan de solidarité, de camaraderie, de courage à l'état pur, a poussé des fourriers, des secrétaires, des intendants  ou des « biffins » non brevetés paras, à se porter volontaires pour sauter sur Diên-Biên-phu alors que la bataille était irrémédiablement perdue ? 

            Plus tard, Pierre Langlais, avec son légendaire sale caractère, devra se battre contre la grosse machine administrative de l'Armée pour faire valider les brevets parachutistes des « volontaires d'un saut » ou, plus exactement, de ceux qui reviendront des camps-mouroirs viets. 

            Tous nos anciens de Diên-Biên-Phu, atteints par la « limite d’âge », tirent leur révérence et s’en vont rejoindre l’Archange Saint Michel, le saint patron des paras. Ils disparaissent sans faire de bruit et sans chercher la moindre parcelle de gloire. Je ne sais pas si on rendra un jour à ces héros l’hommage qu’ils méritent, d’autant plus que cette lointaine guerre d’Indochine était impopulaire et que beaucoup de jeunes Français ne savent même pas qu’à plus de 10 000 km de la mère-patrie des soldats français, des Légionnaires, des supplétifs, sont morts dans l’indifférence la plus totale de la France. Pourtant, le général de Lattre de Tassigny avait déclaré, le 11 juillet 1951: « D'entreprise aussi désintéressée que cette guerre, il n'y en avait pas eu, pour la France, depuis les croisades »

Mais la France actuelle fait aussi repentance pour les croisades.

Eric de Verdelhan.

***                                                   

1)- 2ème BEP : Bataillon Etranger Parachutiste.
2)- BT : Bataillon Thaï.
3)- 6ème BPC : Bataillon de Parachutistes Coloniaux ; le légendaire « Bataillon Bigeard ».
4)- 1er RCP : Régiment de Chasseurs Parachutistes.
5)- BPVN : Bataillon de Parachutistes VietNamiens surnommé « le Bawouan »
6)- DZ : Zone de Saut (Drop Zone). 
7)- Les cahiers du capitaine de Verdelhan ont servi de trame à mon livre « Au capitaine de Diên-Biên-Phu » publié chez SRE-éditions à Annécy. Ce livre est un hommage aux combattants de toutes nos guerres coloniales.  

Merci à Eric de Verdelhan pour ce magnifique travail de mémoire,

Constantin LIANOS

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