Kolwezi, 43 ans après
Kolwezi : les témoignages poignants de deux survivants
«J’avais quatorze ans», mon père était directeur de l’école française François Rabelais à Kolwezi, raconte Louis Boulanger, 57 ans, nous étions au Zaïre depuis un an en provenance du Rwanda, et nous partions caque matin à l’école dans des cars rouges blindés en raison de la rébellion des Katangais qui tentaient de déloger le président Mobutu.
Le 15 mai 1978 au matin nous avons entendu des tirs assez lointais qui se sont assez vite rapprochés de notre quartier. Mon père a eu aussitôt un réflexe extraordinaire qui a sauvé les six membres de notre famille : il a rempli la baignoire d’eau.
« Nous étions au courant par Radio France International des massacres perpétrés par les Katangais au sein de la population zaïroise et de la communauté européenne.
Mon père a verrouillé toutes les issues et les vitres étaient grillagées. Pour nous en tirer, nous ne devions montrer aucun signe de notre présence. Dehors la guerre faisait rage.
D’un seul coup, plus d’eau, plus d’électricité. J’ai passé deux jours complets dans un escalier en colimaçon à l’abri des balles. On s’est blottis sur des matelas derrière une dalle en béton.
«Pour nous nourrir, mon père nous demandait de ramper jusqu’à la cuisine et on mangeait ce qu’il y avait dans le frigo. Une nuit les rebelles katangais sont venus chez nous et ils ont essayé d’entrer. Nous pensions que notre dernière heure était venue. Mais une jeep des forces armées zaïroises patrouillait dans le secteur et ils ont ouvert le feu aussitôt. Les rebelles ont riposté. Ils se sont tirés dessus, étripés, il y avait des morts partout. Et nous, grâce à cet accrochage providentiel, on nous a complètement oubliés. Le 17 mai, en écoutant RFI, nous avons appris qu’une opération de sauvetage se tramait à Paris mais elle était entravée par de nombreux élus qui souhaitaient un débat parlementaire.
« Sans le courage de Valéry Giscard d’Estaing et sans l’héroïsme des soldats du 2eme Régiment Etranger de Parachutistes, je ne serai pas là aujourd’hui pour vous parler. Le 19 mai au matin nous avons constaté que le Mirage Zaïrois qui descendait en piqué sur nous pour bombarder les rebelles n’est plus venu. L’après-midi, nous avons entendu des vrombissements d’avions et nous avons rampé jusqu’à l’étage pour tenter de comprendre ce qui se passait. C’est là qu’on a aperçu un Transall qui volait à basse altitude et lâchait une première vague de Légionnaires parachutistes…
« D’un coup, nous avons repris espoir. Plus personne ne soupçonnait notre existence. Nous nous terrions sans donner signe de vie. Ma sœur a alors eu une idée géniale : elle a déchiré trois tee-shirts bleu, blanc et rouge et elle a fabriqué un drapeau de fortune en cousant les trois couleurs sur un manche à balai. Puis elle est montée sur le toit pour agiter le drapeau tricolore afin qu’il soit repéré par les bérets rouges couchés dans les fossés.
« Une journée entière est passée et nous commencions à désespérer. Le 20 mai au matin, divine surprise : un adjudant-chef de la Légion Etrangère a tambouriné à la porte. On est sortis. Nous étions fous de joie : on s’est jetés dans leurs bras et on les a embrassés. L’officier nous a demandé s’il y avait des blessés, puis il a décidé de nous évacuer vers l’aéroport.
Les Légionnaires nous ont fait monter dans un pick-up rempli de kalachnikovs récupérées sur l’ennemi. J’étais assis à côté d’un rebelle katangais attaché à une barre de fer… »
Une faim de loup
« J’avais une faim de loup. J’ai perdu une dizaine de kilos en quelques jours. Dans les rues le spectacle était effroyable. Les cadavres s’amoncelaient et les chiens faméliques les dévoraient. On nous a transférés dans une R.16 sans parebrise pour parvenir jusqu’à l’aéroport. Destination Kinshasa. Dans les parages, il y avait un nombre incalculable de voitures abandonnées. On est montés dans un Transall, le « ville de Kolwezi», et on nous a distribué des rations alimentaires. J’ai englouti d’un trait ma boite de spaghetti à la tomate… »
« A Kinshasa, la capitale, nous avons été accueillis par le consul et l’ambassadeur de France qui nous ont révélé que notre famille était portée disparue, comme des milliers d’autres Européens. Puis on a embarqué dans un Boeing de la Sabena. Direction Paris. A l’aéroport Charles De Gaulle mes tantes sont venues nous récupérer et nous sommes allés nous refaire une santé dans le Vaucluse. Mon père a été renommé ensuite en Casamance au sud du Sénégal où il est resté jusqu’en 1982.
Moi, je ne suis pas sorti indemne de cette aventure, j’ai fait des cauchemars toutes les nuits en songeant aux atrocités de Kolwezi.
« En 2018, confie Louis Boulanger, j’ai rencontré le lieutenant-colonel Constantin Lianos, président de l’association nationale des anciens combattants de la Légion Etrangère, parce que je savais qu’il s’était vaillamment battu à Kolwezi et je l’ai chaleureusement remercié d’avoir contribué au sauvetage de milliers d’Européens et de Zaïrois. Mon souhait maintenant serait d’aller à Calvi pour serrer la main des soldats du 2eme REP… »
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Le second invité du lieutenant-colonel Lianos pour célébrer en visio-conférence le quarante-troisième anniversaire de la bataille de Kolwezi est un homme d’une trempe exceptionnelle qui aurait été un Légionnaire hors pair s’il n’avait choisi d’être reporter-photographe de guerre. Il s’appelle Patrick Chauvel.
« Mon père entretenait de bonnes relations avec Yvon Bourges, le ministre de la Défense, raconte Patrick Chauvel, aussi ai-je été très vite au courant de l’opération Bonite à Kolwezi. J’ai pris aussitôt l’avion pour Kinshasa et les Zaïrois m’ont permis de rester sur la piste où j’ai vu débarquer les bérets verts. J’ai harcelé le lieutenant-colonel Wagner pour accompagner les Légionnaires dans un C.130. Le colonel Philippe Erulin a demandé à ses hommes qui était cet olibrius en civil qui prétendait sauter avec les paras de la Légion… »
« J’ai gagné leur confiance »
« Quelques heures plus tard, j’ai photographié Mobutu à la tête d’un bataillon zaïrois dans l’enceinte de l’aéroport puis je me suis rendu à l’hôtel Impala où Erulin m’a dit : toi, je ne veux plus te voir, va te planquer à la 4eme compagnie. C’est ce que j’ai fait et les Légionnaires ont fini par m’accepter parmi eux. J’ai gagné leur confiance car je ne faisais aucune photo où ils étaient dans une situation difficile.
L’essentiel était de montrer qu’on restait calme en toute circonstance. Les seules fois où je me suis senti vraiment en danger, c’est lorsque d’autres Légionnaires se méprenaient et tiraient sur nous. Leurs tirs étaient extrêmement précis… »
« Pour moi, c’était un rêve d’enfant qui se réalisait : ma mère Antonia Luciani me racontait les aventures légendaires de son cousin Légionnaire à Dien Bien Phu et mon vœu le plus cher était de les accompagner au baroud sur le terrain. Ce qui m’impressionnait le plus, c’était qu’ils ne tiraient qu’à bon escient. A chaque tir, une tête devait tomber. De vrais pros dotés d’un sang-froid extraordinaire. Leurs assauts ressemblaient à des chorégraphies : ils avançaient en se protégeant les uns les autres car en face les Katangais étaient imprévisibles, ils étaient déguisés en civils zaïrois pour leur tendre des guets apens ».
« J’ai pris des leçons de ratissages et de sécurisation des territoires avec le lieutenant-colonel Lianos, des leçons de combat rapprochés en zone urbaine ou en savane et j’ai eu le sentiment merveilleux de contribuer à ma place au sauvetage de milliers d’occidentaux et de Zaïrois.
« Le Légionnaire, c’est un aventurier au service d’une bonne cause et de sa patrie d'adoption, la France. J’ai admiré leur discipline de fer et leur témérité lorsqu’ils montaient parfois seuls à l’assaut sur 50 mètres à découvert. Je suis très fier d’avoir accompagné le lieutenant-colonel Lianos à Kolwezi (Sergent devenu Sous-Officier Adoint de la section des tireurs d'élite suite à la mort au combat du Sergent-chef Daniel».
Ces témoignages éloquents ont « scotché » les auditeurs de Djakarta, Syngapour, Tokyo, Berlin, Paris, Madrid, Saigon, Singapour, Calvi, Vietnam, Shangai, Moscou, Marseille, Vaucluse. Cette opération de sauvetage menée de main de maître par le 2éme REP reste gravée dans la mémoire collective comme celui d’Entebbé. Il est vrai que les Légionnaires, à un contre cent, n’avaient pas le choix : c’était triompher ou mourir. « Fire and forget » : fait feu et oublie.
Le Général Jeannou LACAZE ne leur avait rien caché à leur départ de Solenzara:
« Légionnaires, je vous envoie au carton. Vous partez pour Kolwezi en Afrique. Là-bas, des milliers d’Africains et d’Européens sont menacés d’être massacrés à la machette par des fous sanguinaires, les gendarmes Katangais. Vous gagnez, c’est bien. Vous perdez, on priera pour votre âme ».
José D’Arrigo
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Merci à José D'Arrigo pour ce compte rendu précis et concis !
Après des nombreuses questions-réponses y compris géopoliques, J'ai donné la parole au Colonel Jacques DOUCET, ancien commandant en second du 2° REP ancien des forces spéciales pour faire la conclusion de cette visio-conférence atypique.
Merci aux auditrices et auditeurs d'avoir sauté sur Kolwezi avec nous ce Samedi 22 Mai 2021.
Les membres de l'AACLE et ANACLE à jour, qui n'ont pas pu assister en direct pour des raisons professionnelles ou familiales peuvent demander à votre serviteur l'enregistrement avant 29 Mai 2021 (Passé ce delais il ne sera plus possible) à utiliser à des fins uniquement personnels bien évidement !
Des photos, témoignages et rapports de Kolwezi sont dans la partie privée du site dans la rubrique «Compte rendus de visio-conférences»
Lcl Constantin LIANOS, Président-fondateur de l'AACLE, ANACLE, ML et ses réseaux
Liens de la conférence du 40ème anniversaire
Jean-Pax Méfret clip youtube : Kolwezi
Autres liens de Jean-Pax-Méfret
Texte: Professeur José D'Arrigo
Photos de la visioconférecne : Lcl Christian Sabatier et Lcl Bernard Meyran
Afiche Christian SABATIER
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