CORDES ET CORDAGES
« Merci les gars de la marine » disait l’alpiniste face à la paroi sa corde en mains, prêt à faire son nœud avant de s’élancer vers le sommet. En effet si l’art de la marine est aussi vieux que l’homme poussé par son instinct de découverte de terres lointaines, l’alpinisme quant à lui est né au 15ème siècle : en juin 1492 Charles VIII est roi de France et en visite en Dauphiné il ordonne à Antoine de Ville, le gouverneur de la Province, de gravir le Mont Aiguille et d’atteindre le plateau sommital car « aucune terre de France ne peut rester inaccessible ». Ironie de l’histoire maritime, en cette même année le roi de France refusait à un certain Christophe Colomb des subsides pour financer la nouvelle routes des Indes qu’il proposait ! Ainsi était né la première ascension reportée dans les chroniques, qui fut considérée par le roi de France comme plus crédible qu’une nouvelle route maritime !
Mais revenons sur le lien entre marin et alpiniste : c’est grâce à un grand nombre de nœuds développés dans la marine que l’escaladeur assure sa sécurité, nœuds identiques mais liens différents : s’il n’y a pas de corde pour le marin, celle de grimpeur se distingue du cordage et du « bout » marin par son élasticité qui lui permet de s’allonger lors des chutes du grimpeur pour éviter sa rupture ou l’arrachement des pitons sous un choc trop violent.
Parmi les nœuds utilisés en alpinisme ou escalade, on compte principalement les nœuds d’encordement, les nœuds d’assurage, les nœuds de jonction, les nœuds d’ancrage, et les nœuds autobloquants. Un certains nombre est issus de la marine mais pas exclusivement puisqu’on en trouve d’origine de pêche et bien sûr certains sont spécifiques à l’escalade. En voici un inventaire des plus usités :
1) Les nœuds d’encordement :
Ils sont utilisés pour fixer la corde d’assurage sur le baudrier ou dans les temps anciens directement à la taille. Ils sont simples à réaliser et ne doivent pas glisser sous tension ; ils sont en outre plus ou moins facilement dénouables après avoir été mis sous forte tension.
1.1. Le nœud de chaise :
Son origine est marine : il est ainsi appelé car le gabier s’asseyait dedans pour être suspendu dans le gréement ; il sert à présent à s’amarrer sur la bite d’un quai. En alpinisme il est encore très utilisé pour l’encordement à condition d’être couplé avec un double nœud d’arrêt, mais on lui préfère de nos jours le nœud de huit.
1.2. Le nœud de huit :
C’est LE nœud à connaître en escalade : très sécuritaire il fragilise peu la corde et a supplanté le nœud de chaise. Il est auto-serrant (plus il est sous tension moins il se desserre) et ne nécessite pas de nœud d’arrêt ; mais en contrepartie il est plus difficile à desserrer que le nœud de chaise.
Son origine est aussi maritime : il est noué sur les écoutes afin qu’elles ne s’échappent pas des poulies par exemple.
2) Les nœuds d’assurage :
Voilà des nœuds que le marin n’utilise pas ; ils sont utilisés en alpinisme pour assurer le second de cordée ou descendre une charge : le nœud est fixé sur un mousqueton lui-même fixé au relais, la corde coulisse bien dans le mousqueton mais sous l’effet d’une tension elle est freinée voire totalement bloquée.
2.1. Le demi cabestan :
C’est un nœud réversible qui permet de tendre la corde « avaler le mou » pour assurer la progression du second ou inversement de « donner du mou » pour le descendre et de le bloquer sans effort en cas de chute.
2.2. Le nœud de cœur :
C’est un nœud véritablement autobloquant en cas de tension sur la corde. Il s’utilise avec deux mousquetons.
3) Les nœuds de liaisons :
Les grimpeurs les utilisent souvent pour abouter deux brins de corde principalement pour préparer un rappel ou bien faire un anneau de cordelette.
3.1. Le double nœud de pêcheur :
Les grimpeurs l’ont emprunté aux pêcheurs bien-sûr. Son avantage est qu’il se desserre facilement après avoir été mis sous forte charge mais attention il doit être au préalable correctement serré car sinon il glisse et là danger pour le grimpeur ! C’est un nœud très symétrique qui a tendance à se coincer sur les aspérité et les fissures du rocher lorsqu’on tire le rappel.
3.2. Le nœud de poing :
Appelé aussi nœud de guide ou nœud de rappel ou simple, c’est le plus facile à faire pour relier deux brins. Il est asymétrique et se coince donc plus difficilement sur le rocher c’est pourquoi on le préfère au double nœud de pêcheur.
4) Les nœuds d’ancrage :
Ils sont utilisés en alpinisme pour se fixer au relais – « se longer » ou fixer une charge pour se . Le plus usité est le nœud de cabestan.
4.1. Le nœud de cabestan :
Voilà un vrai nœud de marin le plus utilisé en alpinisme : arrivé au relai, le grimpeur fixe un mousqueton sur un anneau du relai et fait son nœud de cabestan si facilement qu’il peut le faire d’une seule main. Son avantage est qu’il est réglable : la brin entre nœud et grimpeur est facilement ajustable sans le défaire ce qui garantit une parfaite sécurité.
Le marin quant à lui l’appelle aussi nœud de capelage : pour amarrer son embarcation, il capelle une boucle puis une seconde sur un point fixe.
4.2. Le nœud de papillon :
C’est un nœud qu’on installe au milieu de la corde et non pas sur une extrémité, il est utilisé pour installer une « main courante » par exemple ou isoler une blessure dans la corde . Son avantage est d’être multidirectionnel.
5) Les nœuds autobloquants :
C’est une famille de nœud que le marin n’utilise pas mais qui est indispensable pour la sécurité du grimpeur. Lors d’une descente en rappel ou de remontée sur corde, le grimpeur utilise une cordelette en boucle qu’il noue autour de la corde de rappel : dans la descente ou la progression, le nœud coulisse autour de la corde et se bloque si le grimpeur y applique son poids.
Il en existe plusieurs types avec différentes variantes, dont voici les deux plus emblématiques :
5.1. Le nœud de Prussik :
Karl Prussik, professeur de musique autrichien, le mit au point durant la Première Guerre mondiale pour réparer les cordes cassées des instruments de musique. En 1931, il en publia la méthode afin d'offrir aux alpinistes un moyen de s'auto-assurer.
5.2. Le nœud de Machard :
Il a été inventé en 1961 par le jeune grimpeur marseillais Serge Machard qui malheureusement se tua à l’âge de 18 ans à la paroi des toits au dessus de la calanque de Sugiton. Il nous a laissé en héritage, le nœud autobloquant le plus simple et le plus facile à débloquer et donc le plus utilisé de nos jours en alpinisme et escalade.
En conclusion, l’alpiniste et le grimpeur ont d’abord puisé chez les gens de mer les nœuds qui fixent la corde sur un point comme les nœuds d’ancrage et d’encordement. D’autres origines ont aussi enrichi la famille des nœuds jusqu’aux grimpeurs eux-mêmes bien-sûr. On dénombre environ 70 nœuds en alpinisme incluant leurs variantes, le grimpeur débutant ne connaîtra que le nœud de huit, alors que le grimpeur confirmé en maîtrisera une bonne vingtaine, et en utilisera une demi-douzaine dans une course standard.
Marc Beverini,
Docteur en Sciences,
Grimpeur et alpiniste depuis plus de trente ans.
Références :
- Crédit photos : Marc Beverini
- Les nœud. Pierre Renault ; Edt. J.P. Gisserot (2009)
- Les alpinistes. Yves Ballu ; Edt. Arthaud, (1986)
Nœud de huit Nœud de chaise
Nœud de cabestan Nœud de papillon
Double nœud de pêcheur Nœud de poing
Nœud de cœur Nœud demi-cabstan
Nœud de Prussik Nœud de Marchand
Merci à Marc BEVERINI (frère du Cre en chef JN Beverini) pour cet éclairage !
Constantin LIANOS
Président-fondateur de Monsieur Légionnaire
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