🇫🇷Le mot est un seigneur du 21 Novembre 2020
À la réception de mes derniers envois, un ami d’enfance m’a écrit :
« Je vois que tu aimes bien les mots ! »
Et il ajoutait : « Pourquoi ? »
Pourquoi ?
Parce que le mot est un seigneur.
Le mot est un seigneur
Je connais un acteur
Qui, en parlant du mot, a coutume de dire
« Sire » !
« Sire le mot » dit-il, avec respect.
Puis drapé dans ses mots, il s’en va théâtrer.
Les mots sont-ils vraiment de si haute noblesse
Quand certains, bien trop crus, nous heurtent et nous blessent ?
Ce sont bien moins les mots que ceux qui les prononcent :
S’il est des langues en fleurs ; d’autres ne sont que ronces !
Jetons-les, dit l’artiste, jetons-les aux orties
Ces bouches mal en bouche et puis on les oublie.
Les mots sont des seigneurs, il a raison l’artiste.
C’est d’ailleurs grâce à lui qu’ils vivent et qu’ils subsistent.
Il me plait à mon tour de les appeler « Sire »,
Le royaume des mots est plus grand qu’un empire.
Oui, le mot est un prince et que le mot est beau
Aux plumes de Molière ou bien de Marivaux.
Le mot est couronné par Corneille et Péguy,
Le mot est anobli par Proust et Valéry,
Le mot devient moqueur dans la bouche d’Aymé
Et dans celle d’Edmond est pourvu d’un grand nez.
Le mot est impatient pour Camus, trop pressé,
Hésite en demi-mot s’il s’agit d’un essai,
Se sent pousser des ailes avec Paul Éluard
Ne veut plus se coucher ou se couche trop tard,
Devient surréaliste à l’encre d’Aragon,
Se révolte souvent avec André Breton.
Avec Anouilh, le mot a des chants d’alouette,
Avec le cher Giono, le mot est à la fête,
Chante à l’harmonica et sonne des clochettes.
Avec Maurois, il part pour de longues recherches
Comme fait le pêcheur avec sa canne à pêche.
Avec Montaigne encore, il veut philosopher,
Apprendre à bien mourir, l’âme et le cœur légers.
Avec Claudel, le mot se veut être une Annonce,
Se chausse de satin, attend votre réponse.
Le mot pour La Fontaine s’habille de morale
Un peu comme le vice se recouvre d’un châle.
Oui, je vous le redis, le mot est bien aimé
Par Balzac, George Sand, Stendhal et Mérimée.
Ne parlons pas d’Hugo, le portant au sommet
Ou Vigny lui ouvrant la maison du berger.
Le mot devient Génie avec Chateaubriand,
Découvre l’Amérique, puis découvre l’Orient,
Rêve avec Heredia de blanches caravelles,
Voudrait avec Rimbaud mieux déployer ses ailes,
Pleure au clair de la lune sous les pas de Musset,
Rit avec Rabelais de n’en créer assez,
Tombe dans le ruisseau par la faute à Rousseau
Et à croire Voltaire se relève aussitôt.
Le mot est bien un Roi, mérite d’être Sire
Et tous ceux qui écrivent pourraient bien mieux le dire.
À Marseille, le 21 novembre 2020
Jean-Noël Beverini (membre commission culture de l'ANACLE
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