VOUS AVEZ DIT « CONFINEMENT » ?
VOUS AVEZ DIT « CONFINEMENT » ?
Jean-Noël Beverini, (Membre de l'ANACLE)
Plusieurs historiens ont tout récemment écrit, à l’occasion du tricentenaire de la grande Peste de 1720-1722, sur ce fléau majeur qui décima Marseille et la Provence, en établissant un parallèle avec l’actuelle pandémie de la Covid-19. Je pense, en particulier au professeur Gilbert Buti : « Colère de Dieu, mémoire des hommes – La peste en Provence 1720-2020 » (Ed Cerf 2020) et à Michel Goury : « Et la peste débarqua … » (Frédéric Chabaud, Fred Levy, Didier Ray, Michel Goury (Ed Petit à Petit 2021).
Nous allons certainement vivre, sous une forme ou une autre, un troisième confinement. De vivre ou de survivre à un nouveau confinement. Je me suis posé deux questions en pensant qu’elles puissent vous intéresser :
- La première : quelle est l’origine du mot confinement ?
- La seconde : avons-nous déjà connu dans notre histoire de France et à Marseille, en particulier, un confinement ?
Le confinis latin
En latin le mot confinis désigne la partie d’une terre qui jouxte une terre voisine. Nous sommes « à la frontière » d’un lieu avec un autre lieu, extérieur, étranger. Juxtaposition du préfixe cum (avec) au mot finis (limite-frontière). Les limes, par exemple, au temps de Rome sont les fortifications établies aux frontières de l’Empire. Le mur d’Hadrien dans le Nord de l’Angleterre est un limes. Il protège contre l’invasion des barbares, des assaillants.
Le confinement médiéval
Le Moyen-Âge emploie aussi le mot de confinement en parlant de « terrains confinés ». Il s’agit alors de la délimitation d’une terre bornée par d’autres propriétés. Le terme n’a pas, dans le fond, c’est le cas de le dire, fondamentalement changé de sens par rapport à son origine latine. Il conserve la notion de limite, de frontière, d’espaces qui se situent aux confins. Il ne fait aucune référence à une idée d’enfermement. Il est, dirons-nous, purement géographique. Au niveau du Royaume, ces terres confinées sont, par exemple, les « marches », ces territoires jouxtant les frontières et placés sous la surveillance des marquis.
Quelques siècles plus tard …
Quelques siècles plus tard, aux XVI° et XVII° siècles, le mot confinement prend une toute autre signification en ne s’appliquant plus à des terres situées aux frontières mais va concerner l’homme lui-même. Il perd son sens géographique originel. L’homme confiné est celui qui est mis « aux frontières » de la société, dans la partie la plus éloignée de la fréquentation habituelle de ses semblables. Le mot confinement devient synonyme d’enfermement. Être confiné c’est être, en quelque sorte, emprisonné.
Le XIX ° siècle accentuera cette acception d’enfermement. Il convient d’éloigner de leurs semblables ceux qui sont porteurs de maladies dans le but d’assurer la protection de ceux déclarés sains.
Ces évolutions nous permettent, au passage, de rappeler que les mots ne sont pas confinés dans leur sens initial et mais évoluent, mutent (comme les virus) et prennent des significations nouvelles. De « terres éloignées » à « l’homme à éloigner » convenez que le terme confinement est assez riche. La France au cours de sa longue Histoire a t-elle déjà connu des périodes de confinement, et notre ville de Marseille, en particulier ? Nous pensons naturellement, en ces années du tricentenaire, à la peste de 1720-1722.
La peste de 1720-1722 a t-elle confiné la France ?
Loin de là. Le pays n’a jamais été confiné. Nous sommes sous la Régence qui suit la mort de Louis XIV. Le 2 septembre 1715 Philippe d’Orléans a pris le pouvoir. Le futur Louis XV n’a que cinq ans. En cette dramatique année 1720, comment vit-on à Paris ?
Paris rit. Paris s’amuse. Follement. À grand renfort de banquets, de spectacles, de danses, de réjouissances et d’amusements. 1720 et 1721 sont des années de débauches, de libertinage sans limites. L’argent coule à flot, le système financier du banquier Law connaît son retentissant succès … avant sa chute. Saint-Simon lui-même est scandalisé. À la table du Régent, le soir des soupers, le champagne pétille de ses bulles tandis que les femmes déambulent juste vêtues de gaze transparente.
Pendant ce temps-là, Marseille meurt.
Non, à l’époque de la Grande Peste, la France ne fut jamais confinée.
Mais Marseille le fut-elle ?
Pas davantage. La première pestiférée qui décède le 20 juin 1720 est Marie Dauplan, rue Belle-Table, quartier ou paroisse, disait-on, de Saint-Martin. Mais il faut attendre longtemps avant d’entendre parler, non pas de confinement, mais d’isolement. Ni le pouvoir royal, ni le pouvoir local ne confinent la population, à savoir lui interdisent de circuler en ville, lui imposent de rester cloitrer en son domicile. C’est la ville de Marseille, dans son ensemble et la Provence dans son intégralité, qui vont être isolées. La nuance est importante, car sur place aucune surveillance ou interdiction n’est édictée, si ce n’est le 27 juillet 1720 « l’ordre d’arrêter toutes les bêtes de charge pour transporter hors les murs tous les fumiers de la ville … ».
On isole, on ne confine pas. Pensons au Mur de la Peste qui coupe la Provence du reste du Royaume. Le peuple de Marseille va se confiner de lui-même, par nécessité, par obligation. Enfin, ceux qui n’ont pas fui à l’extérieur de la ville et dorment dans les collines, dans des grottes, sur les bords de l’Huveaune ou du Jarret. Ceux qui ont pu gagner leurs bastides et se mettre à l’abri de la contagion. Le pouvoir local ne confine pas mais pourtant il sait que « tout rassemblement multiplie la mort ». (Marseille ville morte – la peste de 1720 Carrière-Courdurié-Rebuffat Ed. Maurice Garçon 1968).
Le 2 août 1720 Marseille allume partout des bûchers. On brûle tout pour brûler en sa source l’épidémie elle-même. Peine perdue. Rien n’y fait. Des milliers de cadavres encombrent les rues et pourrissent. Mangés par les chiens errants et la vermine qui agite les membres des morts. Vision d’horreur ! Les femmes enceintes meurent sur le pavé, sans secours. Les enfants sont jetés hors de leur maison par leurs parents … Inimaginable. Marseille est un enfer. Aucune rue n’est épargnée. Paris rit.
N’oublions pas cependant tant d’actes remarquables, d’hommes et de femmes admirables, au sein des familles. N’oublions pas les deux grands héros de ce temps : l’évêque de Marseille monseigneur de Belsunce et le Chevalier Roze. (Comment peut-on aujourd’hui imaginer détruire sa bastide toujours présente dans l’ex-usine Legré-Mante à la Madrague de Montredon?).
Si un confinement a existé, il fut :
- volontaire,
- partiel.
Volontaire. Par les marseillais eux-mêmes saisis aux tripes par la peur et se cloisonnant chez eux, évitant tout contact avec l’extérieur, autant que possible. « La première précaution est de s’enfermer chez soi, de ne laisser entrer personne et, si quelqu’un sort, il ne doit plus y rentrer et afin de s’assurer que rien de suspect n’y entre, le maître de la maison doit garder soigneusement la clef et ne s’en jamais départir ». (Marseille ville morte). On cloue les fenêtres. On met des barrières devant les maisons. On place une cuve de vinaigre devant la porte. On y « parfume » tout ce qui est appelé à entrer. On se sert de pinces pour saisir toutes choses. On ne sort plus, précaution absolument indispensable …on prend garde de ne toucher personne …
Partiel. Ce fut le cas dans le Lazaret, les Infirmeries, où furent entassés, enfermés, strictement confinés, les pestiférés, avant d’être débordées. Ce fut le cas des chanoines de Saint-Victor qui se confinèrent derrière leurs murailles. Ce fut le cas des galères qui coupèrent toutes relations avec la ville pendant deux ans et s’approvisionnaient par voie de mer.
En première conclusion, Marseille ne fut pas confinée. Marseille fut isolée. Purement isolée ! Mise à l’écart. Mise aux confins du Royaume, ce qu’elle était déjà géographiquement. Interdite de toute communication avec l’extérieur. Au siècle précédent le Pouvoir l’avait choisie pour recevoir tous les condamnés du Royaume, ce que Nicolas Arnoul, intendant général des Galères, appelait le rebut de la société ; et ce furent les Galères. Au siècle suivant, le Pouvoir choisit de l’oublier dans son malheur et la coupa de France et du monde.
En seconde conclusion, la France semble donc n’avoir jamais connu un confinement tel que celui que nous avons vécu et que nous connaitrons peut-être bientôt à nouveau. Nihil novi sub sole disait l’adage romain. (Il n’y a rien de nouveau sous le soleil). L’adage est devenu faux : un tel confinement n’avait jamais existé. Il est nouveau. Pour la toute première fois.
Réjouissons-nous, nous vivons une époque exceptionnelle !
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