Pierre Cécile Puvis de Chavannes Peintre et prophète
Chères et chers amis,
En ce début d’année, j’aimerais vous parler d’une peinture de Pierre Cécile Puvis de Chavannes, histoire de mettre un peu de l’Art dans nos menus de ces premiers jours de janvier !
Cette peinture se trouve au musée des Beaux-Arts de Marseille et embellit à main gauche le sommet de son vaste escalier d’honneur. Elle fut commandée en 1867 à l’artiste par la ville elle-même. Vous avez reconnu
Marseille : colonie grecque
Puvis de Chavannes l’exécuta et la termina deux ans plus tard et la toile fut marouflée en 1869. Elle trône majestueusement depuis 157 ans dans cette aile du Palais Longchamp.
Attardons-nous quelques instants sur l’œuvre en scrutant ses détails.
Au premier plan, à gauche, deux femmes assises et deux enfants : le plus jeune debout, l’autre allongé sur les dalles du sol. Tous quatre ont le regard grave, sérieux, dirigé vers deux poissons déposés au centre de leur cercle et cuits sur des pierres au devant desquelles on aperçoit les brindilles du foyer.
Toujours au premier plan, à droite, un groupe de trois femmes : l’une debout, vêtue d’une longue robe bleue horizon ; la seconde assise et la troisième à moitié allongée, dans une robe orangée. Toutes trois tiennent en mains et regardent un long voile transparent qu’elles viennent vraisemblablement de tisser. Le fuseau de laine blanche repose encore près de la femme à demi allongée et la quenouille avec son fil déroulé a glissé sur les dalles du sol. Ces trois femmes et ce long voile, ce fil dévidé de sa quenouille me font penser aux trois divinités grecques du Destin : Clotho, Lachésis et Atropos (qui deviendront les trois Parques dans la mythologie romaine). Les trois « moires » étaient présentes et chantaient lors du mariage de Pelée et de Thétis ; seraient-elles ici présentes aussi en évoquant l’union de Gyptis et Protis ?
Ces trois divinités qui rythment le déroulement de la vie humaine ne renvoient-elles pas au groupe des quatre personnages de gauche représentant l’enfance, l’adolescence, la jeunesse et la maturité ?
Deux femmes, l’une de bleu vêtue, l’autre en robe rouge, complètent la scène. Ces trois groupes de 9 personnages au total forment un triangle dont la base est dessinée par le corps du jeune garçon allongé. À ce stade Puvis de Chavannes n’a représenté que des femmes et des enfants dans un espace carrelé de larges dalles délimitées par des murets rectilignes.
Au second plan, à gauche, des hommes sont au travail. Ce sont des carriers, des tailleurs de pierres qui travaillent des blocs de calcaire ou de marbre. L’un soulève son marteau haut par dessus de ses épaules. Deux autres scient une épaisse dalle blanche. Trois autres sont également à l’œuvre tandis que deux femmes s’activent devant un chapiteau posé au sol entre des blocs déjà travaillés.
Cette scène et cette représentation sont extraordinaires : voilà la description de la Carrière antique grecque de la Corderie ! Puvis devient visionnaire et prophète. Les archéologues commentant la découverte de la carrière de la Corderie ne nous montrent pas autrement le travail de nos carriers grecs antiques, il y a 2600 ans !
Cette image est à proprement parler prophétique car en 1869 Puvis ignorait qu’une carrière grecque serait découverte en 2017. Mais plus étonnant encore, regardons la localisation de la carrière qu’il nous présente. Au devant de la mer d’un bleu profond et éclatant, les carriers sont à gauche. Au fond, les iles. Puvis installe la scène et ses carriers au travail sur ce qui est la rive Sud du Lacydon. Il aurait pu mettre au travail nos colons grecs fondateurs de Massalia sur la rive Nord. Dans ce cas les personnages auraient été positionnés à droite de la toile. Or, ils le sont à gauche. Comme si Puvis avait ressenti, pré-découvert que la carrière fondatrice existait bien et existait bien au Sud.
UNE TOILE HAUTEMENT PROPHÉTIQUE ET SYMBOLIQUE
En 1867 Pierre Cécile Puvis de Chabannes dépeint une scène inventée, ou tout au moins supposée et née dans son imagination. En 2024, compte tenu de l’abandon et de la destruction du site antique, sa toile devient le témoignage réel de cette fondation de Marseille, colonie grecque.
Alors que l’État a scandaleusement rayé de la carte le premier témoignage de la fondation de notre ville, la toute première cité de France, alors que la ville de Marseille a commencé par condamner outrageusement ces vestiges uniques et exceptionnels dans notre Histoire, au profit de la sacralisation du béton, pour laisser dans un deuxième temps pourrir la portion congrue échappée aux grues et aux tractopelles, avec quels efforts et combats, la toile de Puvis de Chavannes devient le seul témoignage de notre fondation grecque et de nos illustres fondateurs.
Quelle honte pour Marseille. Quelle gloire pour notre artiste. Puvis est à ce jour le fidèle messager de notre Histoire, le seul rescapé d’un patrimoine abandonné. Son pinceau devient archéologue, historien, prophète et enseignant, éducateur, témoin et passeur d’Histoire. Alors que notre Histoire était inscrite dans des pierres qui parlaient et glorifiaient notre antique passé, il ne nous reste plus que Puvis de Chavannes.
Heureux temps où la ville de Marseille, fière de son passé, heureuse de son Histoire et de ses origines, passait commande d’une œuvre à un artiste pour décorer son plus splendide musée, une œuvre vantant sa création. Mais nous étions en 1867. 157 ans plus tard la Culture est mise à l’encan, la Culture est jetée dans des fosses bétonnées et humides. Loin de s’enrichir, Marseille s’appauvrit de jour en jour. Saint Béton devient le ciment de notre civilisation, de notre quotidien et de notre cité.
Qui a dit, souvenez-vous : « Ils ont des yeux et ils ne voient pas. Ils ont des oreilles et ils n’entendent pas » ?
Faut-il ajouter : « Ils ont des yeux et ils ne voient pas. Ils ont des oreilles et ils n’entendent pas » ?
Faut-il ajouter : « Ils ont sous les yeux des trésors qu’ils détruisent ! Des immeubles de Vinci ou d’autres peuvent être remplacés par milliers. Une carrière grecque antique à Marseille, acte de naissance de la Cité depuis les VI° et V° siècles avant J.C., il n’y en avait qu’une. Et Elle ne pourra jamais être remplacée ».
Pauvre Culture. Pauvre Marseille.
Marseille, le 2 janvier 2024
Jean-Noël BEVERINI
Propos recueillis par Constantin LIANOS
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