À bord du Marseillois, le 12 janvier 2024
« À bord » du Marseillois, le 12 janvier 2024
À la suite de la conférence consacrée mercredi au vaisseau Le Marseillois j’ai souhaité, non pas vous parler de cette intervention, mais d’une surprise qui a considérablement enrichi le propos.
Je recevais, en effet, lundi, deux jours auparavant, un e-mail du peintre officiel de la marine John Pendray, doublement proche par l’amitié partagée et le lieu de résidence à Marseille :
« Cher Jean-Noël, j’ai peint Le Marseillois, si vous le voulez pour votre conférence venez le prendre ».
Inutile de vous dire ma joie. Le tableau serait la pépite d’or, le trésor de l’après-midi. Ce fut évidemment le cas, l’admiration de l’auditoire n’ayant d’égal que son étonnement.
Le tableau à l’heure où j’écris ces lignes est dans mon salon, avant de regagner l’atelier et l’appartement du maître. Je ne résiste pas au plaisir de vous le présenter.
Le Marseillois de John Pendray
L’œuvre est récente, John Pendray l’ayant créée en 2023. Nous sommes plongés dans la Guerre d’Indépendance des Etats-Unis d’Amérique. Le Marseillois rattaché à l’escadre de de Grasse a appareillé de Brest sous le commandement du capitaine de vaisseau de Castellane-Majastre. La flotte anglaise aux ordres de Cornwallis occupe Yorktown au bord de la baie de Chesapeake, permettant de ce fait les approvisionnements anglais par voie de mer. De Grasse comprend immédiatement qu’il faut faire sauter le verrou anglais de Cornwallis. Appareillant des Antilles vers l’Amérique du Nord avec la totalité de sa flotte (quelle audace !) il parvient à Chesapeake. L’escadre anglaise forte de 21 vaisseaux est face à celle de de Grasse. Le combat s’engage le 5 septembre 1781. De Grasse fait merveille. Cornwallis se retire, se résignant à la reddition de Yorktown. Voilà l’histoire.
John Pendray présente l’affrontement entre Le Marseillois et l’HMS Intrépide (en français). Est-il utile de préciser que la toile est splendide. Plus que cela. Les deux bâtiments sont, chacun, sur leur ligne de file, l’Intrépide en avant du Marseillois. Les canons tonnent …
… Vous êtes embarqués, fiers officiers, à bord du Marseillois,
Vous êtes embarqués, matelots et maîtres d’équipage,
Canonniers aux moustaches sentant la poudre,
Timoniers, gabiers, commis et manœuvriers,
Clairons et surnuméraires,
Marins, vous êtes embarqués pour la gloire des armes de la France.
Le royaume est avec vous. Tous ne le savent pas mais le Royaume le sait. Vous portez le pavillon blanc immaculé et rayonnant du Roi. Vous êtes Le Marseillois combattant pour l’indépendance des nouveaux Etats-Unis d’Amérique. Telle est la toile de John Pendray. Superbe !
John Pendray
Qui ne connaît John Pendray ? Peintre officiel de la marine, nommé au sein de ce cénacle d’élite. Uniforme bleu marine ou blanc couronné des pattes d’épaule frappées de l’ancre et des trois lettres P.O.M. (peintre officiel de la marine). Ils sont quarante mais rayonnent comme cent, comme mille, comme cent mille. Leur pinceau plonge dans l’eau des mers et des océans pour faire jaillir la Beauté, des vaisseaux, des aurores naissantes, des soleils resplendissants, des proues rayonnantes, des voiles gonflées de poèmes, des couchants beaux comme des rêves, des combats comme des théâtres, des tempêtes effrayantes, des sauvetages en mer comme des miracles, des flots apaisés comme des draps d’amour après la tempête …
Tout est là dans le pinceau, dans la main, dans les doigts, dans l’imagination, dans le talent, dans l’excellence, dans l’Art, tout simplement, dans l’Art de John Pendray. Non, tout n’est pas là car il y a de l’indicible que jamais le mot ne pourra décrire. Seule l’ancre accolée à son nom comme l’est l’âme au corps, comme l’est le sang au cœur, peut faire comprendre. John, recevez ici l’hommage simple d’un simple ami. Vous avez su que je délivrais une conférence sur Le Marseillois et vous m’avez envoyé le message déjà rappelé.
Vous étiez devant votre porte, porteur de votre œuvre et d’un chevalet. Embarquement immédiat de votre œuvre dans le coffre de la voiture. Pas question de la transporter sans précaution ! J’avais invité Constantin Lianos, lieutenant-colonel de la Légion étrangère comme digne protecteur. Que rêver de mieux en assurance et en amitié! Votre œuvre était préservée sur terre, votre œuvre de mer …
L’enthousiasme
Quel enthousiasme quand à mon invite le lieutenant-colonel Constantin Lianos souleva devant l’assistance le drap, tel une voile, recouvrant le tableau.
Ce matin elle est dans mon salon, riche de tant de souvenirs et de tant d’images. Depuis plus d’un siècle, d’âme et de respiration familiale. Je ne cesse de la regarder. L’océan est relativement calme, frangé de dentelles blanches en pied de tableau, puis plus sombre et agité en arrière plan. Les deux vaisseaux, au premier regard, semblent similaires. Même allure. Mêmes proues, mêmes coques, mêmes voiles … Le maître a tout étudié.
En réalité, regardez attentivement, Le Marseillois, en premier plan, claquant au vent son pavillon blanc, aligne un double étage de canons. En face, l’Intrépide,, aussi stable sur l’océan, ne fait feu que d’une seule ligne de batteries, tous sabords ouverts. La fumée de la poudre masque la poupe des vaisseaux. Dans ces combats titanesques sur mer, on ne voit plus rien. On n’entend plus rien, sauf le son sourd et glaçant du canon. On ne sent plus rien, sauf l’odeur de la poudre. On ne respire plus rien, sauf l’odeur du sang et de la mort.
La Grand-voile du Marseillois est affalée, à toucher le pont dans sa grise tristesse. Le grand foc et le faux foc de l’Intrépide, déchirés, battent au vent. Les matelots des deux bords s’activent aux barres des perroquets et des cacatois, accrochés aux vergues, tirant les drisses et les écoutes, repliant la toile. J’ai compté 32 hommes sur L’Intrépide, funambules marins dansant dans le ciel, une main pour le bateau, l’autre pour l’homme. J’en compte 22 sur Le Marseillois dont 7 dans la mature. L’intrépidité est des deux bords, partagée par ces marins du siècle bravant tous les dangers.
Contraste grandiose
Contraste grandiose entre cet océan paisible et ce combat des hommes. La nature devient théâtre liquide et ignorant des drames qui se déroulent au dessus des eaux. Au dessus des eaux, des voiles s’affrontent, des cathédrales de voilures. Car ces vaisseaux du temps sont de véritables cathédrales de voiles immenses, orgueilleusement gonflées par la force des vents et la volonté des hommes. Au combat, ces voiles sont blessées par la mitraille ; certaines flottantes, juste encore retenues à leur étai ou à leur draille.
Le Marseillois, couronne son Grand mât de quatre étages de voilure, grand voile, grand hunier, grand perroquet et grand cacatois. Le tout s’élève à plus de cinquante mètres ! La plus faible voilure de l’Intrépide ne peut rivaliser.
Une symphonie à la voilure
La toile est une symphonie à la voilure. Quel traitement ! Si l’océan semble impassible et étranger au drame qui se déroule au dessus de lui, les voiles des deux vaisseaux qui se combattent et s’étreignent à la fois, envahissent le tableau. L’œuvre de John Pendray est la gloire du vent qui gonfle les voiles. Magnificence de ces voiles, âme de la marine durant des siècles. Épanouissement de la voilure. Les nuages qui ceinturent l’œuvre par leur blancheur, face à la grisaille rayonnante des voiles, sont un hymne à l’espérance. Ces deux vaisseaux se combattent mais dans l’honneur. La lumière est devant. Regardons ces hommes des deux bords, penchés sur les haubans, grimpant sur les galhaubans, accrochés aux vergues des matures …
Les deux vaisseaux, je veux dire leur coque, occupent le tiers inférieur du tableau. Les voiles saisissent les deux tiers supérieurs. Un tiers de bleu d’océan et d’ocre des coques. Deux tiers de voiles, de ciel et de nuages. Quelle composition !
Mais dans ces cathédrales de voiles, de part et d’autre, des hommes. L’homme est au plus haut dans le vent, dans la voile, dans le ciel. Le Marseillois surgit devant nos yeux. Il faut regarder le tableau à plusieurs moments de la journée. Il n’est plus pareil au matin, à midi, au soir. Toujours le même mais toujours différent. À bien le regarder, vous sentez, vous respirez l’odeur de la poudre. Vous êtes aveuglé par ces brumes des tirs des canons. Un drame est devant vos yeux. Le pinceau de John Pendray illustre le drame de la condition humaine. Une lutte. Mais la lutte s’en va en fumée. Une fumée rendue d’une main superbe. Oserais-je dire d’une main de maître ?
Au devant du tableau, à droite, la lumière éclate, la lumière resplendit. Tel un espoir. À la fumée de la poudre s’épanchant, se répandant, s’évanouissant à gauche, répond la blanche luminosité de droite. L’espoir !
Quelle œuvre, cher John !
À Marseille, le 12 janvier 2024
Jean-Noël Beverini
PS : Le tableau a été exposé à Paris en novembre 2023 dans le grand salon du gouverneur militaire à l’occasion d’une exposition de prestige avant Noël
Lien des Journaux des Marches de l'AACLE et de Monsieur Légionnaire
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Texte et photos © Monsieur-Légionnaire
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