LE CONFINEMENT, MATRICE DE L’INNOVATION
LE CONFINEMENT, MATRICE DE L’INNOVATION[1]
L’angoisse générée par le confinement général de la population ne saurait nous faire oublier une donnée fondamentale : la vie végétale, humaine ou celle des civilisations est fondée sur une respiration, nommée retraite-retour. En effet, sans confinement, la créativité s’effondre. Pour les végétaux, l’isolation de l’hiver précède la floraison, pour les grands spirituels, comme Saint Benoît ou Bouddha, l’isolement complet précède la prédication active, pour les civilisations enfin, toute renaissance est précédée par un hiver culturel marqué par le confinement extrême. Entre la chute des Hohenstaufen au milieu du XIIIe siècle, jusqu’à l’invasion française de la fin du XVe – l’Italie vit une retraite confinée, à l’abri de la tumultueuse féodalité semi-barbare de l’Europe transalpine.
« Les hauts faits du génie italien durant ces deux siècles et demi d’immunité ne furent pas extensifs mais intensifs, non matériels mais spirituels. En architecture, peinture et littérature et dans presque tous les autres domaines de la culture générale et esthétique, les Italiens ont accompli des œuvres qui soutiennent la comparaison avec celle des Grecs durant les Ve et VIesiècles avant J-C.»[2]
La retraite italienne des XIIIe, XIVe et XVe siècles présente d’ailleurs de fortes ressemblances avec le confinement athénien des VIIIe, VIIe et VIe siècles.
Dans les deux cas, l’abstention sur le plan politique fut totale et prolongée. Dans les deux cas, la minorité, volontairement séparée, mit toute son énergie à l’œuvre pour apporter une solution au problème commun à toute la société. Et dans les deux cas, la minorité créatrice retourna en temps voulu – c’est à dire quand sa mission fut accomplie – à la société qu’elle avait temporairement abandonnée et mit son empreinte sur tout le corps social.»[3]
A l’aune de ces évolutions historiques, que pouvons-nous anticiper du confinement limité à venir ? A compter de décembre 2020, le taux de natalité enregistrera un sursaut au sein des pays gelés. Ce sursaut se révèlera un atout pour des puissances démographiquement affaiblies telles que la Chine et l’Iran. L’effondrement de l’industrie de l’automobile ou des loisirs sera compensé par une accélération fulgurante de l’économie numérique. N’oublions pas que la société chinoise Alibaba, spécialisée dans le cloud computing, fit son essor à l’occasion d’une épidémie. Son fondateur, Jack Ma, peut se payer le luxe d’offrir aujourd’hui du matériel médical à la Corée ou au Japon, en effet, le coronavirus va décupler sa puissance. Le temps de confinement va donc se révéler une opportunité exceptionnelle pour la réforme des organisations. Au sein de l’enseignement supérieur, l’écart se creusera entre des écoles ayant l’intelligence de réformer de fond en comble leur pédagogie en demandant aux étudiants d’investir en priorité sur la lecture des classiques, et le monde inerte, tâchant d’astreindre les étudiants à distance, à une multitude de petits exercices mécaniques et stériles. Si la médiocrité est exportée, nul doute qu’elle sera balayée par l’ironie ou le divertissement. Avec le confinement, la grande force de l’inertie va donc être mise en échec. Il s’agit d’une opportunité exceptionnelle pour les élites vivantes et créatrices.
Thomas Flichy de La Neuville
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[1] Thomas Flichy de La Neuville, agrégé de l’université, habilité à diriger des recherches en histoire, titulaire de la chaire de géopolitique de Rennes School of Business.
[2] A. Toynbee, L’histoire, Paris, 1954, p. 257
[3] A. Toynbee, L’histoire, Paris, 1954, p. 259
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