Compte rendu de la conférence en présentiel du 29 mars 2024 avec le thème «Règlements des comptes à Marseille» donnée par Denis Trossero
Denis Trossero : « Tout ce que je n’ai jamais pu dire »
Denis Trossero aurait pu être un excellent juge. Il en a le discernement, la modération, la tempérance et le sens de l’équité. Sa vocation l’a incité à choisir le journalisme et c’est lui qui pendant trente-six ans a été le chef très apprécié de la rubrique judiciaire au « Méridional » d’abord, puis à « La Provence ». Il aurait pu aussi être procureur, avocat, président de cour d’assises ou de chambre correctionnelle, avec un succès identique. Mais quand on est journaliste et qu’on veut conserver sa position ou sa situation, on est souvent tenté de dire moins que plus. L’auto-censure n’est pas forcément un défaut puisqu’elle vous permet d’éviter les pièges de l’injure, de la diffamation ou de la transgression idéologique, mais elle finit par aboutir à une accumulation de petits renoncements, de petits non-dits, de petits accommodements dont on ne se remet pas quand on est un homme aussi honnête, intègre et sincère que Denis Trossero.
Voilà pourquoi le livre de 400 pages qu’il vient de publier et intitulé « Règlements de comptes à Marseille » est une passionnante histoire de la violence dans cette ville bouillonnante qui était pourtant paisible et calme au dix-neuvième siècle, mais oui ! Comme l’a magistralement souligné le commissaire divisionnaire Claude Dupont, ce livre est une « fresque sociologique » qui permet de comprendre les tenants et aboutissants des accès de violences et des fièvres sporadiques qui caractérisent Marseille dans la totalité des domaines, et pas seulement celui de la délinquance ou des trafics.
La violence n’était pas consubstantielle à Marseille mais elle l’est devenue au fil des décennies. Le mérite de Denis Trossero est d’avoir brossé une superbe galerie de portraits de voyous, de juges, de procureurs, d’avocats qui… ne manquent pas de sel. Trossero s’est enfin lâché sur le papier et il a pu donner libre cours à son esprit critique, ce qu’il n’a jamais pu faire à « La Provence » où il s’est astreint à respecter les convenances personnelles des uns ou des autres, la ligne éditoriale de son journal et le désir secret de ne déplaire à personne. Ce livre est une véritable catharsis professionnelle. Il me rappelle, toutes proportions gardées, cet épisode célèbre de « Cyrano de Bergerac » où le Duc vante l’indépendance de Cyrano en ces termes que ne renieraient pas notre flamboyant poète à moustache, éminent « Rostandiste » et « Rostandien », le célèbre académicien Jean-Noël Bévérini :
- « Ne plaignez pas trop Cyrano : il a vécu sans pactes, libre dans sa pensée autant que dans ses actes. Oui, parfois je l’envie. Voyez-vous, lorsqu’on a trop réussi sa vie, on sent, n’ayant rien fait, mon Dieu, de vraiment mal, mille petits dégoûts de soi, dont le total ne fait pas un remords mais une gêne obscure. Et les manteaux de Duc traînent dans leur fourrure, pendant que des grandeurs on monte les degrés, un bruit d’illusions sèches et de regrets, comme, quand vous montez lentement vers ces portes, votre robe de deuil traîne des feuilles mortes. »
Voilà pourquoi ce livre en forme d’exutoire est d’abord un règlement de comptes de Trossero envers…lui-même. Il le reconnaît humblement puisqu’il a commencé ainsi la conférence qu’il a donnée ce vendredi 29 mars au siège de l’association des anciens combattants et amis de la Légion Etrangère à Marseille : « J’ai raconté dans ce livre ce que je n’ai jamais écrit dans le journal ». Il a enfin porté un regard critique, « caustique » même, estime le Cre Div Claude Dupont, sur les institutions judiciaires, policières ou politiques. Chacun en a pris pour son grade…pour le plus grand plaisir du lecteur qui jubile à l’unisson.
Une nouvelle fois, le lieutenant-colonel Constantin Lianos, dynamique président de l’association, a été bien inspiré d’inviter cet éminent journaliste à s’exprimer librement et à présenter son best-seller devant une assistance fournie et captivée par le récit de Trossero, pas seulement sur les travers, les dérapages, ou les incongruités vindicatives de Marseille, mais aussi sur sa douceur de vivre et son goût des destinées légendaires. Trossero n’a éludé aucun domaine : il a également évoqué la « porosité » entre le monde politique et la pègre et livré quelques nouvelles tendances du banditisme.
Par exemple, il a indiqué que sur les 69 informations judiciaires ouvertes en 2023 au tribunal judiciaire de Marseille, plus de 80 pour cent ont trait au trafic de drogue et notamment au conflit sanglant entre deux bandes rivales issus de « La Paternelle », les victimes et les « mineurs tueurs » sont de plus en plus jeunes et les voyous disposent désormais d’un arsenal de moyens très sophistiqués comme des balises pour « tracer » les voitures de police ou des plongeurs qualifiés qui viennent décrocher nuitamment des colis de drogue accrochés aux coques des navires…Comment ne pas être attiré par ce miroir aux alouettes qu’est le trafic de stupéfiants lorsqu’on sait qu’une tête de réseau gagne 150 000 euros nets par mois ? Il s’agit bien de son bénéfice net une fois payés tous les choufs, les dealers, les charbonneurs, les nourrices et les petites mains du trafic. Vous imaginez ?
Denis Trossero a répondu avec tact et diplomatie aux questions sans complaisance que je lui ai posées et il a insisté sur le fait que la France est une démocratie où normalement la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire est garantie par la Constitution mais c’est surtout le respect de « l’équilibre des pouvoirs » qui compte. Je rejoins le commissaire Dupont lorsqu’il affirme que Trossero ne sera jamais « un militant, un politique, ni un doctrinaire » mais un journaliste de renom qui « porte la plume dans la plaie » comme le suggérait Albert Londres.
Ce livre est une somme édifiante sur la violence qui gangrène Marseille depuis le début du vingtième siècle, c’est une formidable « mosaïque sociale et humaine » qui en fera le livre de chevet de toute la gent judiciaire de Marseille, mais aussi de la France. Un testament journalistique à lire absolument.
José D’Arrigo
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Beaucoup d'auditrices et auditteurs avaient lu le livre de Denis TROSSERO, notament des policiers encore en service et à la retraite. J'ai demandé au Commissaire divisionnaire honoraire Claude DUPONT (membre d'honneur de l'AACLE) de nous faire la coclusion avant de passer aux questions aux dédicases et au pot de l'amitié. Voici sa conclusion.
Conclusion de la causerie de Denis TROSSERO à l'AACLE le 30 mars 2024
Tout d’abord, je tiens à féliciter Denis TROSSERO pour son exercice d’explication concernant son livre que j’ai lu avec plaisir. En 400 pages, il nous a conté avec brio ses 36 années de journalisme, de journaliste d’investigation, de faitsdiversiers, et en tant que responsable de la rubrique police-justice au journal La Provence.
Ainsi, il nous a offert, non pas un polar comme certains pourraient le croire en ne s’arrêtant qu’au seul titre, « Règlements de comptes », mais une véritable fresque sociologique, où le monde judiciaire côtoie celui de la voyoucratie, où la sphère politique voisine avec les institutions administratives, ou bien encore avec les rouages policiers et pénitentiaires.
Tel le moraliste célèbre du 17ème siècle, Jean de La Bruyère, que notre auteur affectionne beaucoup , vous avez brossé tout au long de votre récit, avec beaucoup de finesse, de précision, mais aussi de mordant, le tout agrémenté de références historiques et littéraires pertinentes, une galerie de portraits et de caractères de tous les professionnels institutionnels que vous avez rencontrés durant votre carrière, il ne manque plus à ces tableaux quelque chose, j’ajouterai simplement, les caricatures d’Honoré Daumier notre célèbre graveur-caricaturiste, du 19ème et natif de Marseille.
Personne ou presque n’a échappé à votre perspicacité, à votre œil crique, à votre observation objective, même si elle confine parfois à une satire aiguë des comportement et des mœurs des humains, que ce soit en partant de A comme Avocats à Z comme DZ Mafia, et en passant par C comme criminels, F comme flics ou encore M comme magistrats. Tout le monde s ‘y trouve, et s’y retrouve, fermez le ban !
Dans votre livre, vous m’avez fait revivre, comme beaucoup de vos lecteurs également les quarante années d’affaires judiciaires, de procès retentissants, d’enquêtes policières d’envergure, mais aussi de magouilles et de turpitudes politiciennes, et que j’ai vécus personnellement, de près ou de loin.
Derrière les comportements criminels les plus abjects,que vous décrivez, il y a aussi les actions les plus méritoires de certaines associations phocéennes, derrière les scènes de crime les plus sordides que vous avez rappelées, il y a la douceur de vivre à Marseille, avec ses galéjades, sa gouaille, et ces moments de vie pagnolesques, derrière l’indicible horreur de la délinquance, il y a le combat acharné des citoyens de plus en plus engagés pour combattre les trafics, qui perturbent leur quotidien, et surtout, surtout, ce qui surpasse tout, dans ce livre, c’est cet amour passionné que vous éprouvez pour votre Ville, Marseille, avec ses 2600 ans d’Histoire, mais aussi avec ses grandeurs et ses petitesses…
Du Palais Monthyon aux geôles de l’Évêché, des quartiers pénitentiaires de Baumettes au Vieux Port, de l’Espace Bargemon aux cités des quartiers Nord, du Panier aux Catalans, vous n’avez cessé de dialoguer avec tout le monde, avec les Grands, les Petits, les infâmes, vous avez pénétré toutes les zones d’ombre sans jamais vous perdre comme certains, vous avez investigué le quotidien, et vous avez ainsi au fil des années redoré le blason de la Presse, vous inscrivant dans la lignée majestueuse de ces grands journalistes locaux et nationaux, tels qu’Albert Londres, Gabriel Domenech, Frantz-Olivier Giesbert, Dominique Rizet, ou encore José D’Arrigo, Michel Clau, Omar Charif….ce n’est pas le cas malheureusement des pâles copies que nous avons aujourd’hui devant les yeux…
Cette mosaïque sociale et humaine que vous avez réalisée avec votre plume et que vous connaissez mieux que tout autre, vous ne cessez de la scruter, et de l’analyser sans flagornerie, sans concession et en toute franchise et comme le disait votre célèbre prédécesseur, Albert Londres : «Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie ».
Votre talent, vos qualités morales et professionnelles indéniable et incontestables, ont fait de vous , comme le dit justement FOG « Un Seigneur de la Presse » qui est connu et reconnu pour son indépendance, et par le fait qu’il n’est et ne sera jamais ni un politique, ni un militant, encore moins un doctrinaire. Et vos qualités prennent d’autant plus de sens aujourd’hui au sein de cette association d’amis et d’anciens combattants fidèles aux vertus et traditions ancestrales de la Légion Étrangère, et de sa devise « Honneur et Fidélité » !
Je ne sais pas si vous mériterez un jour qu’une une statue vous soit dédiée et édifiée face au Palais de Justice, comme certain le souhaite, mais ce que je sais en tant qu’ancien policier qui n’a pas toujours entretenu des rapports très cordiaux avec certains de vos confrères, c’est que votre ouvrage, de mon humble avis, devrait être un livre de chevet indispensable pour tous ceux qui s’apprêtent à entrer dans la carrière de policier, de magistrat, d’avocat et même de préfet !
Je conseille également fortement à nos hauts responsables politiques de s’inspirer et de mettre en pratique les réformes de fond que vous préconisez, en conclusion de votre livre, pour améliorer l’efficacité de notre système pénal, policier, pénitentiaire et social., car comme si l’écrit le philosophe français du 19ème, Émile Durkheim, le crime sous toutes ses formes « est un phénomène social normal », il remplit cependant « des fonctions importantes dans la régulation sociale en affirmant les limites de la norme et en renforçant la conscience collective »
Merci Monsieur Denis TROSSERO pour votre œuvre, et tout en regrettant que nous n’ayons plus le plaisir de vous lire quotidiennement dans le journal depuis deux ans, nous aurons néanmoins celui, j’espère, de nous plonger avec délice et curiosité dans les prochains livres et objectif que vous ne manquerez pas d’écrire en témoin avisé et éclairé de notre temps.
Que la Bonne Mère vous protège !
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Comme à chaque conférence en présentiel précédée par la séance des chants, une rérémonie aux morts a eu lieu suivi du pot de l'amitié.
Les livres invendus ont ete remis à notre libraire habituel : Librairie Prado Paradis dont le gérant est M. Fréderic PIETRI, (overte du 10 à 19h00 de lundi au samedi), 19 avenue Mazargues 13008 Marseille. Profitez de votre carte de fidélité avec 5% de remise.
Un grand merci à Denis TROSSERO pour son intervention, un homme courageux ! c'est pour cela qu'il a été fait membre d'honneur devant notre drapeau à l'issue de la conéfence, à José D'ARRIGO (MH AACLE) pour son compte rendu, à Claude DUPONT (MH AACLE) pour sa conclusion et à tous les participants à cette conférence en présentiel.
Belle fête des Pâques.
Constantin LIANOS,
Président-fondateur de l’AACLE, de l’ANACLE, de Monsieur Légionnaire et ses réseaux.
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Avec un chef, on obéit !
Avec un manager, on réfléchit !!
Avec un leader, on grandit !!!
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«Celui qui n’est plus ton ami ne l’a jamais été» Aristote
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