Le Coronavirus et les chemins de l’humanité
Chers compatriotes,
ne me demandez pas la recette du bien-être, je ne l’ai pas. Je suis comme vous assigné à résidence par les autorités pour suspicion d’intrépidité et je ne peux m’empêcher de penser à vous et à votre sort funeste de citoyens mis aux arrêts de rigueur et incarcérés à leur propre domicile.
Ce matin je suis allé acheter du pain et, dans l’air vif du petit matin, les oiseaux chantaient. Un vrai concert. Il n’y avait pas âme qui vive. J’ai traversé sans regarder l’avenue de Mazargues à Marseille car il n’y avait pas de voitures. La dernière fois que je m’étais permis cette petite privauté, c’était le 7 janvier 2009 sur le Prado lorsque la neige était tombée en abondance sur Marseille. Les regards des gens reflétaient une sorte de sidération. Les voitures semblaient tituber, comme enivrées de leur impuissance et j’étais habité par une irrésistible sensation de liberté.
Soudain, le modeste piéton que j’étais retrouvait tous ses droits et il en éprouvait une jouissance infinie. Les rares autos s’empêtraient et zigzaguaient, risquant le carambolage, et j’avais le sentiment extatique que le monde partait en carafe…
Oui, ce matin je suis allé à la boulangerie en marchant d’un bon pas, émerveillé par le calme inédit, le ciel bleu azur lavé de ses nuées industrielles, le soleil rayonnant sur des cerisiers et des amandiers en fleurs. Le printemps venait d’arriver et il refusait, lui, tout confinement. Le printemps n’était affecté d’aucun virus et sa soudaine pureté résonnait comme une vulgarité universelle. Oui, il était au rendez-vous traditionnel de ce mois de mars, comme tous les mois de mars de toutes les années. Je l’ai perçu comme un clin d’œil de la nature triomphante à notre misérable condition humaine.
Certes, ce spectacle insolite de la désertion des rues n’est qu’un épisode de l’exode urbain : les Parisiens fuient le spectre de la promiscuité pour gagner les campagnes et la mer. Ils veulent respirer, respirer, respirer. Qui pourrait les en blâmer ?
Cette fuite en avant rappelle l’exode de la population française en 1940 pour tenter d’échapper au joug allemand, sauf que cette fois on n’entend aucun bruit de bottes, l’ennemi est invisible, sournois, tapi dans l’ombre, prêt à tuer en douce de ses mains de fer.
Je n’incrimine personne. On ne politise pas une calamité universelle, c’est indécent. La pénurie de masques, de gel, de tests, de respirateurs, saute aux yeux et nous incite plutôt à une réflexion collective sur les nécessités vitales de notre société et notre devoir impératif d’anticipation des urgences sanitaires. La santé d’abord, le superflu peut attendre.
Sur la devanture de la boulangerie une pancarte affichait des consignes strictes : « une seule personne à la fois dans le magasin, restreignez-vous à l’essentiel, on ne tranche plus le pain pour aller plus vite ».
Je crains fort qu’on oublie très vite cette période de confinement forcé où l’on est contraint, par la force des choses, à aller à l’essentiel. C’est dans ces circonstances que l’on se rend compte que certains métiers sont les plus beaux du monde et qu’il faut enfin les rétribuer à leur juste valeur. Leur valeur essentielle. Notre société a le tort de mésestimer ceux qu’on appelle parfois à tort les « petites gens » : les infirmières, les policiers, les pompiers, les postiers, les professeurs des écoles, les chauffeurs de bus, les éboueurs, les surveillants pénitentiaires, les médecins.
Tous méritent notre infinie reconnaissance : les applaudir le soir aux fenêtres, c’est bien. Les rémunérer comme ils le méritent, c’est mieux. Souvenez-vous : on a très vite oublié les embrassades de CRS et les ovations réservées aux policiers à la suite des sanglants attentats de Paris.
Le moindre avantage des aléas de la nature est de nous convier à un rationnement individuel pour faire pièce à la gabegie et au capharnaüm. La nature nous appelle en silence à une sorte de souverainisme sanitaire de sauvegarde. Seule compte la vie, seuls comptent les sauveurs d’hommes. Le reste n’a finalement que peu d’importance. « Fermons la fenêtre et laissons les volets clos, ce matin n’ouvrons pas les rideaux», chantait Nicoletta. Elle avait raison. Il fait bon chez soi, surtout quand à l’extérieur, ça empeste.
Fermons les frontières, réanimons nos nations, écoutons la colère des peuples, fermons la parenthèse de la « mondialisation heureuse », et saluons, comme Philippe De Villiers, le « carré magique de la survie » : frontière, souveraineté, localisme, famille.
Lorsque la « libération » sera décrétée par les autorités, lorsqu’on ne fera plus d’écart sur les trottoirs pour éviter de croiser un congénère, lorsqu’on pourra retourner chez le coiffeur ou au restaurant, faire du shopping, aller et venir à sa guise, ou bien prendre l’avion il faudra se souvenir de ces héros du quotidien partis trop tôt, partis trop vite, et « couverts du noir crachat des ténèbres, comme ceux qui ressemblent aux morts qui sont morts pour être aimés » (Paul Eluard).
On ne pourra plus, chers amis, s’en laver les mains. C’est pour eux que sonne le glas. La fin du nouveau monde qui est en train de mourir sous nos yeux. La peur rôde dans les rues et le printemps ne le sait pas. Demain, le virus sera vaincu, les gens sortiront, s’embrasseront, chanteront et se congratuleront. Et puis ils oublieront. Ainsi va la vie.
Peut-être faudrait-il songer, à l’instar du poète Antonio Machado, à « tracer des chemins sur la mer » pour nourrir modestement nos élans de fraternité : « Voyageur, il n’y a pas de chemin. Le chemin, c’est les traces de tes pas. Le chemin se fait en marchant. Voyageur, il n’y a pas de chemin, rien que des sillages sur la mer, tout passe et tout demeure, mais notre affaire est de passer, de passer en traçant des chemins, des chemins sur la mer ».
José D'ARRIGO, rédacteur en chef du Méridional numérique.
Commentaires :
Bravo Jose,
Tellement beau, Tellement émouvant. Tu as raison nous ne sommes pas à l’heure de la polémique mettons un voile sur la colère. Prions 🙏 et relisons encore ce que tu écris pour n’y voir que de l’espoir.
Prenez soin de vous deux.
Jeanne LIANOS
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Oui un magnifique récit. Mais pour la fin je ne suis pas d'accord. Il ne faut plus que ce soit comme avant. Il faut que nos façons de vivre changent .
Jean-Jacques GUEKBE, Retraité Aero
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