Compte rendu de la visioconférence internationale « L'agonie oubliée des prisonniers du Corps Expéditionnaire Français en Extrême-Orient»
Compte rendu écrit de notre scribe perpetuel :
La lente agonie des prisonniers français d’Indochine
Le colonel Jean-Jacques Doucet, ancien commandant en second du deuxième régiment étranger de parachutistes, grièvement blessé en mission à Loyada en 1976 (lors de la prise d'otages des enfants), ancien officier au service Action de la Direction Générale de la Sécurité extérieure, n’est pas un homme qu’on impressionne facilement. Pourtant, ce baroudeur invité par le lieutenant-colonel Constantin Lianos à conclure une visioconférence internationale de Philippe Chasseriaud sur « l’agonie oubliée des prisonniers du corps expéditionnaire français en Extrême Orient » était quasiment pétrifié par l’émotion ce samedi 4 mai et il n’a pu que balbutier quelques mots d’une voix étranglée : « Cette histoire est terrible…Nous atteignons là un degré total d’inhumanité et de barbarie, la mollesse de la quatrième république a engendré des perversités inimaginables… »
Les très nombreux participants à cette conférence organisée, à l’occasion de la célébration du soixante-dixième anniversaire des massacres de Dien Bien Phu, par le lieutenant-colonel Lianos, président de l’association des anciens combattants et amis de la Légion Etrangère, étaient eux aussi abasourdis et sont restés sans voix à l’issue du récit brillantissime, mais insupportable, du lieutenant-colonel Philippe Chasseriaud, membre à vie de l'AACLE et président de l’association nationale des prisonniers internés et déportés d’Indochine pour l'Ile de France, ancien officier de la Légion Etrangère, chevalier de la Légion d’Honneur et compagnon d’armes du lieutenant-colonel Lianos, titulaire d’un master en psychologie, spécialisé dans les processus de manipulation mentale et d’effraction psychique. Ce « self-made man » a su trouver le ton juste, celui de la sobriété, pour évoquer le sort abominable réservé à nos soldats français en Indochine et tout au long de son poignant récit je n’ai pas pu m’empêcher de penser aux confidences de mon grand-oncle le lieutenant Henri Anglès qui a servi lui aussi dans le Tonkin de 1946 à 1954 : « Si nous étions en passe d’être capturés par les Viets, nous avions ordre de tirer sur nos camarades car nous savions par avance les tortures qu’ils allaient endurer… les hommages ont été rendus à ce valeureux soldat par Constantin Lianos et Renaud Muselier le 23 mars 2014 à Marseille».
Lorsque le 15 octobre 1954 le dernier convoi de prisonniers des camps du Viet-Minh dans le Tonkin a été restitué à la France 26 225 soldats du corps expéditionnaire ont été portés disparus ou victimes des sévices communistes dans les camps dits de « rééducation » (Note additive du conférencier : Ce chiffre prend en compte les combattants métropolitains, légionnaires, africains, nord-africains et indochinois. Pour être encore plus complet, il conviendrait d’y ajouter le chiffre de 14 654, correspondant aux portés disparus de l’armée vietnamienne (hors CEFEO) qui n’est qu’une évaluation a minima. Le total des portés disparus en 1954, incluant armée française et armée vietnamienne, s’élève donc à 40 879). Le décompte macabre des autorités militaires faisait état de…soixante-dix pour cent de prisonniers français manquant à l’appel. Cette effroyable tragédie humaine, souvent passée sous silence par nos gouvernants qui n’avaient pas lieu d’en être fiers, a été évoquée sans trembler une seconde par ce témoin exceptionnel qu’est le lieutenant-colonel Philippe Chasseriaud. Il n’a rien caché, il n’a rien dissimulé, il n’a pas dégagé la poussière sous le tapis, mais il a su décrire les actes de sadisme et de barbarie dispensés par le Viet-Minh avec une objectivité magistrale. « On mourait beaucoup dans le Tonkin, encore fallait-il mourir converti à la cause communiste », a-t-il commenté d’emblée.
Le taux énorme de mortalité parmi les survivants de Dien Bien Phu s’explique aussi par le fait que le camp numéro Un, celui qui était réservé aux officiers français, regroupait la totalité des médecins disponibles. Ce qui explique que le taux de mortalité y a été moindre que dans les autres camps, en particulier le camp numéro 5, réservé aux soldats français « récalcitrants », et le camp numéro 113, une véritable tour de Babel où se côtoyaient des Légionnaires, des Africains et des Métropolitains, des « colonisateurs » et des « colonisés ». Ces centres dits de « désintoxication » où les soldats français devaient subir les pires avanies, de jour comme de nuit, ont été la honte des autorités communistes vietnamiennes et de leurs tortionnaires en chef, Ho Chi Minh et le général Giap.
Au début de la guerre, en 1946, Ho Chi Minh est esseulé et il cherche des alliés car il ne peut que se résoudre à des combats nomades de guérilla, faute de combattants aguerris et de moyens adaptés pour lutter contre le CEFEO. C’est en octobre 1949 que tout va changer avec la proclamation de la Chine communiste par Mao Tse Toung : le Viêt-Minh va alors enfin disposer d’une solide base arrière. A l’instar des pratiques inaugurées par les Chinois sur les prisonniers de guerre américains en Corée, par un « lavage de cerveau » systématique sur leurs prisonniers de guerre, le Viêt-Minh va tenter de transformer ces derniers en « outils vivant de la propagande communiste ».
Une note du Viet-minh datée du 28 janvier 1952 est éloquente à cet égard car elle résume les prétendus « bienfaits » de cette prise en main idéologique des prisonniers dont le seul but était de « survivre » à tout prix. « Le peuple communiste vietnamien accorde la vie sauve aux prisonniers français, ils seront bien traités au cours de leur captivité, ils bénéficieront d’une rééducation politique et d’une information complète sur les méfaits du capitalisme, ils se verront proposer les perspectives d’une libération anticipé… » Or, dans les faits, les prisonniers ont subi exactement l’inverse de ce programme faussement humanitaire : privations de nourriture, sévices corporels, maladies, marches épuisantes, sanctions corporelles ou psychologiques…
Les Viets étaient convaincus que le délabrement physique des prisonniers, leur destruction méthodique, les rendrait mieux à même d’assimiler la « mise à plat » et la phase d’endoctrinement communiste. Les combattants, qui venaient de vivre l’enfer dans la cuvette ou la « vallée » de Dien Bien Phu durant cinquante-sept nuits d’intenses bombardements ennemis, étaient affamés et d’une maigreur rachitique quand ils ont dû endurer des marches de 650 à 700 kms pour rejoindre leurs camps. Inutile de vous dire que la moitié des prisonniers sont morts d’épuisement au cours de ces transferts. Ils étaient déjà squelettiques avant même de subir les ignominies de la captivité.
Quant aux survivants qui parvenaient à destination, ils étaient souvent atteints de dysenterie, de gangrène, de paludisme, de typhus et ne pouvaient être soignés que par leurs camarades de combat, faute de médecins ou d’infirmiers et de médicaments appropriés. La ration journalière prévue était d’un kilo de riz par jour mais elle se réduisait en réalité à une petite poignée. A telle enseigne que le légionnaire de première classe Egon Holdorf, 92 ans, vice-président de l'AACLE, prisonnier du Viêt-Minh a parlé « d’un véritable enfer ». Privés de médicament, les prisonniers en étaient réduits à gratter le fond de la marmite pour récupérer le riz brûlé pour l’utiliser comme charbon et tenter de lutter contre la dysenterie ! Il ne faisait plus que 45 kilos lorsqu’il a été enfin libéré le 2 août 1954. Respect et gratitude au Légionnaire Egon Holdorf.
A ces privations s’ajoutaient les corvées quotidiennes exténuantes : 25 à 30 kilos de bois, de riz, ou d’eau, à transporter durant 35 kms. La distance se réduisait pour les plus « dociles » et s’agrandissait pour les « fortes têtes », ceux qui refusaient de signer les manifestes communistes. Les adeptes de Steve Mac Queen, soldat réfractaire à toute punition, étaient enfermés à genoux et attachés dans une cage au « buffle », assailli par des milliers de moustiques, de mouches et de parasites quand ils n’étaient pas attaqués de front par le ruminant. D’autres étaient suspendus à des branches d’arbres avec les pieds affleurant à peine le sol. Ceux qui n’en pouvaient plus étaient laissés à l’agonie et souvent mangés par des rats lorsqu’ils rendaient leur dernier soupir, car les rats ne s’attaquaient qu’aux corps sans vie…
En France, tout le monde ou presque ignorait le calvaire des soldats français en Indochine. Au contraire, la presse de gauche, en particulier l’Humanité, porte-parole du PC, se félicitait des succès du Vietminh en ces termes : « nous sommes de tout cœur avec nos camarades communistes, nous leur apportons notre fraternel salut et notre solidarité agissante ». L’administration française, très tatillonne avec les rescapés de ces massacres sans nom, a été indigne, méprisable : elle na pas consenti le moindre avantage à ces survivants de l’enfer. Leurs familles sont restées souvent sans ressources et à la merci des quolibets.
Savez-vous comment les soldats prisonniers appelaient la prétendue « infirmerie » des camps de rééducation ? « La morgue ». Les stratèges Vietminh avaient instauré la tactique de la terreur permanente et les prisonniers vivaient dans la hantise obsédante de la délation. On en venait à s’observer, s’épier, pour ne pas subir de représailles. Le camp du « bien » était celui des « progressistes » (socialistes et communistes), le camp du « mal » était celui des « colonialistes et des impérialistes ».
Le commissaire politique du camp avait tôt fait de classer les Français en deux catégories : les récupérables et les irrécupérables. Les seconds, qui refusaient toute « auto-critique » étaient condamnés à une mort inéluctable. Les premiers ânonnaient les slogans de propagande : « nous sommes bien traités, nous bénéficions de la clémence du vénéré président Ho Chi Minh, la France mène une guerre colonialiste nuisible, rejoignez le camp de la paix, soutenez les forces démocratiques du vaillant peuple de France qui ne veut pas la guerre ».
De gré ou de force, les prisonniers devaient se plier à cette mascarade à l’issue d’un processus de manipulation mentale digne des nazis. Parmi les tortionnaires qui sanctionnaient les « déviants », figurait…un professeur de philosophie français ; Georges Boudarel, enseignant en Indochine et déserteur « récupéré » par l’ennemi. Grâce à son ardent zèle communiste et anti-français, il a été nommé commissaire politique adjoint du camp 113 où il a pu exercer son sadisme et sa barbarie puisque sur 321 prisonniers français qui lui ont été confiés 278 sont décédés des suites de ses « actes de rééducation ».
Ce traitre à la nation ne s’est jamais repenti, bien au contraire puisqu’il s’est exclamé à la télévision à l’issue de la guerre : « si c’était à refaire, je le referai, que ce soit bien clair ! ».
Comment est-il possible que les autorités françaises n’aient jamais jugé une telle indignité ? C’est lui qui organisait des « campagnes éducatives » et sanctionnait les « mauvais élèves » avec un concours de mouches : ceux qui captaient mal le message communiste devaient ramener en début de soirée au commissaire politique, avant les séances de cours politique, 300 mouches mortes, sinon leur ration était divisée par deux… Il s’ensuivait alors au sein du camp un véritable chasse à la mouche, entrainant un véritable marché noir où, pour survivre, les prisonniers revendaient aux "sanctionnés" les mouches qu’ils pouvaient trouver, une mouche valant alors dix grains de riz.
En France, le parti communiste, assez puissant à l’époque, menait une propagande intensive contre le corps expéditionnaire français en Indochine. On crachait sur les rescapés qui rentraient d’Indochine, on les lapidait, on les incitait à la désertion, on les démoralisait, les dockers refusaient leur embarquement. Voilà qui nous rappelle « l’accueil » réservé aux pieds-noirs lorsqu’ils sont rentrés d’Algérie. Mais les soldats de la Légion ont tenu bon.
Comme l’a dit Egon Holdorf : « A Dien Bien Phu, nous nous sommes battus comme des lions mais l’issue a été fatale car nous n’avions plus la maîtrise des pitons et nous avons ployé sous le nombre ».
Nota : Jacques Teisserenc, qui avait relaté ses huit années de captivité dans un livre intitulé « Les oubliés du Nord Annam » (Editions de l’Orme rond – mars 1985) est décédé en janvier 2005
Messages de soutien :Le 5 mai 2024 à 23:12, G. L. a écrit :
Mon Colonel,
Je vous remercie de m'avoir communiqué le lien pour réécouter la conférence du Colonel Chasseriaud. La guerre d'Indochine me touche particulièrement puisque c'est à travers elle, et particulièrement à travers le livre "Les Centurions" de Jean Lartéguy qui fut mon livre de chevet à l'adolescence, que j'en suis venu à la recherche géopolitique sur le Vietnam et, aujourd'hui, sur la Chine. Il est important que le traitement effroyable réservé aux prisonniers français à la suite de la chute du camp de Diên Biên Phu, le 7 mai 1954 (mais, déjà, bien avant, à la suite de la bataille de Cao Bang (RC4) en 1950 par exemple), ne soit pas oublié. Cette conférence, comme le livre de Robert Bonnafous "Les prisonniers français dans les camps Viêt Minh 1945-1954" et les travaux de l'ANAPI y contribuent grandement.
Important aussi de ne pas oublier la lâcheté des milieux gauchistes au sein de l'université qui ont choisi de fermer les yeux sur le passé douteux de Georges Boudarel dont l'indignité n'a pu être établie que grâce à la ténacité d'anciens prisonniers comme Jean-Jacques Beucler.
Encore une fois, merci d'avoir organisé cette conférence.Je vous souhaite une bonne fin de soirée.Bien cordialement,L. G.
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«Celui qui n’est plus ton ami ne l’a jamais été» Aristote
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