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Les actualités de
Monsieur Légionnaire

Où allez-vous, vieil homme?

Où allez-vous, vieil homme, errant, la tête basse,
Le regard nuageux et l’allure si lasse ?
Les épaules courbées, ployant sous le manteau
Que l’on croirait de plomb pesant sur votre dos ?
 *
Depuis combien de temps, depuis combien de jours
Hantez-vous les chemins avec ce sac si lourd
Qui vous brise les reins et vous taille la peau, 
Vous qui n’avez déjà que derme sur les os ?
 *
N’avez-vous point un lieu au moins où faire halte,
Déposer ce fardeau et oublier l’asphalte ?
Mais pourriez-vous me dire, une question m’intrigue,
Ce sac sur votre dos qui pend comme une figue,
Que contient-il au juste ? Des diamants ou de l’or ?
N’est-ce pas imprudent s’il s’agit d’un trésor ?
  *
Le vieil homme stoppa sa marche et déposa
Son fardeau à mes pieds, puis d’une morne voix,
Me regardant me dit : « Ouvre et tu verras ».
J’hésitai ne sachant si je devais ou pas,
Mais prenant mon courage à deux mains et les liens
Qui ficelaient le sac, je l’ouvris comme mien.
  *
Et … je n’y trouvai rien ! Un souffle simplement
Vint balayer ma main. Mon regard hésitant 
Se releva vers l’homme : « Mais il ne contient rien ! 
Et pourquoi pour un rien tant se courber les reins ?
  *
« Répète, me dit-il, les noms que je vais dire ;
Respire tout ton soûl et que ces noms t’inspirent ».
 Rajeuni, le vieil homme articula « Hugo ».
 
Je répétais « Hugo » sans attendre … Aussitôt
Jaillirent dans mes mains Ruy Blas et Hernani,
Les soldats de l’an Deux, Esméralda aussi !
  *
Répète encore, répète, quand je te dis Ronsard !
Je répétais Ronsard et aussitôt puis voir
Cassandre si mignonne allant voir si la rose 
À nouveau, ce matin, était toujours éclose.
  *
Répète avec moi, répète Baudelaire,
 Camus, Claudel, Péguy ses admirables vers.
Répète avec moi Chrétien de Troyes, Froissart,
Commynes, Rutebeuf, Villon et tout son art,
Répète encore et répète sans cesse
Fournier, Proust, Valéry que les colombes bercent. 
  *
Et puis … Pascal, Racine, Boileau, Pierre Corneille,
Bossuet, La Fontaine, leurs talents, leurs merveilles.
À chacun de ces noms jaillissaient du grand sac
Leurs vers, leurs mots, leurs livres, leurs récits tout en vrac.
Je répétais Rostand, Loti et Maupassant,
Mallarmé, Lamartine, René Chateaubriand
Et tant d’autres enfin que ma mémoire oublie ;
 Mémoire comme  peau prend des rides aussi.
  *
J’ai demandé à l’homme : « Mais quel donc est ton nom ? »
« Ne le vois-tu donc pas tout inscrit sur mon front ? 
Je suis le mal-aimé, l’oublié, le reclus,
Bientôt le demi-mort que l’on n’enseigne plus,
Celui qui est blessé  de dagues étrangères,
Qu’on ne reconnaît plus même en sa propre terre.
  *
J’ai scellé ce pays dans son unicité,
J’ai rassemblé des peuples dans un même creuset,
J’ai exporté mes mots avec mon idéal
Sur tous les continents, en amont, en aval. 
Je suis Ta Langue, France, celle qui rayonnait
Sur les plus grands empires, les plus belles cités. 
  *
Vous m’avez dégradée, insultée et violée,
Vous m’avez mise au clou dans tant de vos cités.
Je ne vous comprends plus, ma langue bien aimée.
Quand la langue se meurt, la nation disparaît. 
  *
Je vais au cimetière, je m’en vais m’enterrer
Avec mes grands auteurs et avec mes regrets.
Peut-être un jour lointain, une France nouvelle
Renaitra dans Sa langue qu’on croyait éternelle ».
 
Le 28 octobre 2024
Jean Lary de Fortuné
Recueillis avec plaisir par Constantin LIANOS
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