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Les actualités de
Monsieur Légionnaire

MONSIEUR D’ARDÈNE, POÈTE MARSEILLAIS

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Je ne pensais pas goûter autant de plaisir à la lecture des œuvres posthumes de monsieur D’Ardène publiées en 1767 à Marseille chez Jean Mossy, libraire au Parc. Les écrits de l’auteur sont présentés en quatre tomes sous couverture de cuir au dos frappé de cinq nerfs, les entre-nerfs ornés de fleurs dorées. Le nom Ardène ne m’évoquait rien de vraiment précis. Mon intérêt s’aiguisa lorsque je lus sous le titre de l’ouvrage la qualité de l’auteur :

« Associé à l’Académie des Belles-Lettres de Marseille »

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Je venais de retirer l’ouvrage de la bibliothèque de campagne dont je finissais d’inventorier les richesses. Que ne connaissais-je cet homme, fils d’un commissaire des Galères ? Toute sa famille, branche paternelle comme maternelle, est fortement ancrée dans la marine ; si son père est commissaire des Galères, sa mère, Antoinette Leroy, est fille d’un contrôleur général de la marine du Levant et des galères de France. De quoi donner le sens marin à leur progéniture ! Il n’en sera rien.

 Esprit-Jean de Rome d’Ardène nait le 5 mars 1684 dans notre bonne ville mais fait ses premières études à Nancy avant de gagner la région lyonnaise où ses parent possèdent une propriété. Tout jeune, l’amour de la poésie le saisit et voilà notre poète en herbe gravant, dit-on, ses premiers vers sur des troncs d’arbre. Une sève toute poétique ! Au désespoir de son commissaire de père, le jeune homme refuse de choisir un état pour se consacrer tout entier à Érato, sa tendre muse. Cela ne l’empêche pas de convoler en justes noces  à l’âge de 27 ans. Esprit-Jean se rend alors à Paris où il fréquente, en particulier, Fontenelle, secrétaire perpétuel de l’Académie française. Un homme que l’on ne rencontre jamais en vain. La suite le confirmera. Au terme d’un séjour parisien de 13 ans, ce qui, il est vrai, représente un véritable exploit pour un natif de Marseille, notre homme certainement pourvu d’un accent pointu revient dans sa Provence natale, n’ayant cessé d’écrire des fables qui rencontrent un brillant succès. L’homme se plait aussi à concourir pour les Prix proposés par diverses académies du royaume, en particulier Pau et naturellement Marseille, prix qu’il collectionne pour ses envois autant en vers qu‘en prose. 

Notre poète-fabuliste, après un nouveau séjour en capitale, se retirera définitivement en sa campagne provençale qu’il ne quittera que pour mourir à Marseille le 27 mars 1748 à l’âge de 64 ans, des suites d’une cathare suffocante. Ses œuvres, poésies, poèmes, discours, fables, odes, épilogues, élégies furent publiées après sa mort par son frère cadet, de six ans plus jeune, Jean-Paul de Rome d’Ardène, prêtre oratorien, célèbre botaniste et agronome provençal (1690-1769) dont le jardin regorgeait de fruits et « d’herbes potagères » de toute beauté et « d’une bonté surprenante ». Le professeur Régis Bertrand a consacré une notice aux deux frères en page 22 du Dictionnaire des marseillais (Académie de Marseille).    

Mais pour quelle raison, me demanderez-vous, nous parler d’Esprit-Jean de Rome d’Ardène ? Parce que, en le tome II de ses œuvres, l’homme nous fait part de ses réflexions sur le temps de la fondation de l’Académie de Marseille et sur ses débuts. Il complète, en ce sens, les informations délivrées par J. B. Lautard, futur secrétaire perpétuel de l’Académie, dans son Histoire de l’Académie de Marseille depuis sa fondation en 1726 jusqu’en 1826 (1836). Le tome second de D’Ardène s’ouvre sur le « Remerciement à Messieurs de l’Académie des Belles-Lettres » et se poursuit par la « Réponse de monsieur de la Visclède ».

Nous lisons sous la plume du nouvel associé :

«  Votre compagnie se forma peu après (avant même la fondation officielle de l’Académie en 1726 notre poète et fabuliste avait été approché pour la rejoindre). La lenteur, les contrariétés, les traverses inséparables de tout établissement nouveau, écrit-il, n’empêchèrent plus celle-ci de naître ».  

Une naissance académique non exempte de tracas 

Quelles sont donc ces lenteurs, ces contrariétés et ces traverses inséparables … ? 

Par lenteurs  notre associé entend rappeler que dès 1716 des projets nombreux de création d’une académie à Marseille avaient agité les esprits. L’idée était dans l’air mais la réalisation concrète allait prendre pas moins d’une dizaine d’années. Ce sont précisément les contrariétés et les traverses qu’évoque notre associé pour justifier un tel délai de gestation. Les contrariétés provenaient du fait qu’il convenait, en effet, de s’entendre préalablement sur la consistance d’un projet valable, viable et réunissant l’unanimité. Ce n’était précisément pas le cas. La nouvelle Institution, plus exactement la future Compagnie, devait-elle réunir uniquement des littérateurs, poètes, hommes de lettres ou recevoir également en son sein des représentants des Sciences et des Arts ? Des représentants du clergé ? Des membres de la « Chambre de Commerce » ? Des négociants ? La question suscitait des débats  et des positions contraires. Comment, face à ces contrariétés, concevoir et coucher sur parchemin des futurs statuts ? 

Quel nom, par ailleurs, attribuer à la future Institution ? Quel lieu pour son installation ? Quels fonds pour assurer son fonctionnement ? Quel haut personnage pour garantir sa protection et sa pérennité ? Les sujets étaient, non seulement, nombreux mais fort délicats.  

Un événement allait tout bouleverser, entraînant tout à la fois lenteur, contrariété et « traverses ».   

La peste s’invite sur le berceau de la future académie

Esprit-Jean D ‘Ardène compare alors la situation du temps à un « champ d’épines qui (semblait) devoir étouffer » la future académie tâchant de naître « au milieu de tant d’obstacles ». En effet, la peste envoie dans la tombe des dizaines de milliers de marseillais et de provençaux. Le 2 juillet 1720, 37 jours après l’arrivée du Grand Saint-Antoine, Marseille est coupée du monde par arrêt du Parlement de Provence. Plus de communications. Le Pouvoir est désarmé, débordé, impuissant, incapable, impotent. Le temps ne se prête plus à discourir de la création d’une académie. C’est l’enfer à Marseille et en Provence. Le 6 septembre, 2000 cadavres jonchent les rues et pourrissent abondamment.  À juste titre notre associé peut parler de « traverses » dans le sens d’un événement qui se met en travers du chemin. 

 Le groupe des futurs fondateurs s’est réfugié « à la campagne », poursuivant ses amicales réunions chez les uns ou les autres. « Ce fut donc, on le voit, au milieu des larmes les plus amères que se trouve placé le berceau de l’Académie » (J. B. Lautard.). Mais Esprit-Jean de conclure : 

« Semblable à la fleur des champs qui perce à travers les épines, il (l’établissement) s’éleva au milieu de tant d’obstacles et parut enfin sous les plus heureux auspices ». 

Malgré toutes ces épreuves dont la future académie sort vainqueur et qui rendent encore plus glorieuse sa fondation, Esprit-Jean D’Ardène apporte une seconde information toute aussi capitale.

La nouvelle Académie va rendre à Marseille son ancien éclat

Notre cher poète et fabuliste fait, non seulement, référence à l’ancienne académie grecque des origines qui inspire la nouvelle Institution, mais face à la situation désastreuse d’une ville détruite, appauvrie, ayant perdu ses hommes, ses femmes, ses enfants, ses forces, son dynamisme, sa joie de vivre, l’Académie naissante, qui va précisément prendre pour insigne le Phénix renaissant de ses cendres, est l’instrument glorieux de la résurrection de Marseille. Par la réputation et la distinction de ses membres, par leurs travaux éminents, leurs publications, leur « concert de l’éloquence et de la poésie, … le goût et l’équité » la ville va, à nouveau, redevenir la grande ville qu’elle était. De « ville morte » l’Académie refait de Marseille une ville ambitieuse et pourvue des plus grandes espérances. 

Ces réflexions de l’auteur datent du 31 mars 1727. Il m’a semblé intéressant de les rappeler à l’issue de la lecture du tome II qui m’a passionné. Les difficultés auxquelles la nouvelle Académie, bientôt bénéficiaire de Lettres patentes royales, sera confrontée ne cesseront pas pour autant, mais forte de toute sa grandeur et de son rayonnement, « semblable à la fleur des champs qui perce à travers les épines » elle saura les surmonter.

11 août 2024
Jean-Noël Beverini  
(Propos recueillis par Constantin LIANOS)
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