Camerone 30 avril 2023
Camerone et ses héros.
« Qui sait si l'inconnu qui dort sous l'arche immense,
Mêlant sa gloire épique aux orgueils du passé,
N'est pas cet étranger devenu fils de France,
Non par le sang reçu mais par le sang versé. »
(Quatrain tiré du poème « le volontaire étranger » de Pascal Bonetti, 1920).
Pour la Légion Étrangère, où qu’elle se trouve, dans ses casernements ou sur le terrain, le 30 avril est une journée sacrée : la commémoration de Camerone, le 30 avril 1863. Même en pleine bataille de Diên-Biên-Phu, alors que le combat était quasiment perdu, la Légion Étrangère a fêté Camerone. Le 30 avril 1954, le général de Castries et le colonel Langlais furent nommés caporaux d’Honneur de la Légion Étrangère, et Geneviève de Galard 1ère classe d’Honneur.
Une semaine plus tard, le 7 mai 1954, la garnison de Diên-Biên-Phu déposait les armes sans drapeau blanc, après 56 jours de combats acharnés à un contre trois, puis à un contre dix.
Camerone, c’est ce combat épique qui opposa une compagnie de la Légion Étrangère aux troupes mexicaines durant la calamiteuse expédition française du Mexique (1).
Une soixantaine de Légionnaires, assiégés dans un des bâtiments d'une hacienda de Camarón de Tejeda, résistèrent toute une journée à l'assaut de 2 000 fantassins et cavaliers mexicains.
À la fin d’une longue et éprouvante journée de combat, les six survivants encore en état de combattre, à court de munitions, chargèrent baïonnette au canon.
Un officier mexicain - d'origine française - somme alors les survivants de se rendre. Le caporal Maine répond : « Nous nous rendrons si vous nous faites la promesse la plus formelle de relever et de soigner notre sous-lieutenant et tous nos camarades atteints, comme lui, de blessures ; si vous nous promettez de nous laisser notre fourniment et nos armes. Enfin, nous nous rendrons, si vous vous engagez à dire à qui voudra l'entendre que, jusqu'au bout, nous avons fait notre devoir. »
« On ne refuse rien à des hommes comme vous », lui répond l'officier mexicain.
Les rescapés sont présentés au colonel Milan, qui s'écrie : « ¡Pero estos no son hombres, son demonios! » (« Mais ce ne sont pas des hommes, ce sont des démons »).
Chaque 30 avril, partout où se trouve la Légion et dans les amicales d’anciens Légionnaires, on lit le « récit de Camerone ». Un texte clair, concis, rédigé avec des mots simples pour que les Légionnaires, issus de 180 nationalités différentes et maitrisant souvent mal le Français, puissent le comprendre : « L’armée française assiégeait Puebla. La Légion avait pour mission d’assurer, sur cent vingt kilomètres, la circulation et la sécurité des convois. Le colonel Jeanningros, qui commandait, apprend, le 29 avril 1863, qu’un gros convoi emportant trois millions en numéraire, du matériel de siège et des munitions était en route pour Puebla. Le capitaine Danjou, son adjudant-major, le décide à envoyer au-devant du convoi, une compagnie… etc…»
Le 1er mai 1853 - soit presque dix ans jour pour jour avant Camerone - le sous-lieutenant Jean Danjou, au cours d'une expédition en Algérie, perdait la main gauche à la suite de l’explosion de son fusil. Il la remplacera par une prothèse articulée en bois, dont il se servira comme d’une vraie main. Il sera lieutenant le 23 décembre 1853, puis capitaine le 9 juin 1855 à titre exceptionnel au siège de Sébastopol et, enfin, capitaine adjudant-major le 18 septembre 1855. Le 16 avril 1856, il est fait chevalier de la Légion d’Honneur. Un brave parmi les braves !
A Camerone, le capitaine Danjou jure de ne jamais se rendre et demande à ses hommes de faire de même, ce qu’ils font. Il meurt frappé d’une balle en pleine poitrine.
En 1865, la prothèse du capitaine Danjou est rapportée à Sidi-Bel-Abbès, berceau de la Légion Étrangère. Depuis, cette relique est conservée religieusement à Aubagne (2), dans la crypte du Musée de la Légion. Tous les ans, pour Camerone, la main du capitaine Danjou est portée sur la « voie sacrée », jusqu’au monument à la gloire de la Légion Étrangère (3), par un Légionnaire – officier, sous-officier ou homme du rang – choisi par ses pairs.
Le 30 avril 1961, pour une fois, entorse à la tradition, la main du capitaine Danjou n’a pas été présentée aux Légionnaires car ce jour-là était un jour de deuil.
C’était celui de la dissolution du 1er REP (4), régiment fer-de-lance du putsch d’Alger les 21-22 et 23 avril précédents. Un régiment commandé par intérim par Hélie Denoix de Saint-Marc, qui avait choisi, comme d’autres unités parachutistes, « les voies de l’Honneur ».
Ce combat de Camerone, défaite contre un ennemi mieux armé (5), à un contre trente, est entré dans l’histoire - comme Bazeilles pour les « Marsouins » ou Diên-Biên-Phu pour les paras et (encore !) la Légion - parce qu’il symbolise l’acte gratuit, le courage, la volonté, l’honneur et la fidélité à la parole donnée. « Honneur et Fidélité » : c’est la devise de notre Légion Étrangère !
Plutôt que de raconter Camerone, dont l’histoire est connue, j’ai choisi de rendre hommage à l’un des rares survivants de la bataille, Louis-Philippe Maine, ce héros qui, avec une poignée de survivants, imposa ses conditions de reddition aux troupes mexicaines.
Louis-Philippe nait à Mussidan, en Dordogne, le 4 septembre 1830, au foyer de Joseph Ména dit « Maine », bottier de profession et de Thérèse Félix, française née en Espagne. On ne sait pas grand-chose de son enfance, sinon qu’il rêve d’aventure. Le 21 décembre 1850, il s'engage pour deux ans au 1er Régiment de Zouaves à Alger. Mais l’Algérie qu’il va connaître est trop calme pour lui.
L'émir Abdelkader a fait sa reddition au duc d'Aumale en 1847. Cette phase de la conquête se termine par l'annexion de l'Algérie à la République française, via la création des trois départements français d'Algérie en décembre 1848. En 1850, l’armée française se charge surtout de veiller à la bonne intégration des révolutionnaires de 1848, déportés en nombre en Algérie et dont on entend faire, contre leur gré, des paysans et des laboureurs.
A la fin de son contrat, déçu, Louis-Philippe rentre à Mussidan où il reprend le métier de bottier de son père. Mais l’aventure le démange. Le 25 avril 1854, il s'engage à nouveau au 4ème Bataillon de Chasseurs à pied, qui part se battre en Crimée. C’est là que sa brillante carrière débute vraiment. Le 18 juin 1855, il est blessé lors de la prise de la tour Malakoff. Son courage lui vaudra la Légion d’Honneur - sur le même théâtre d’opération que Jean Danjou - clin d’œil de l’histoire !
En juin 1859, il est déjà adjudant et, après la victoire de Magenta, il est décoré de la Valeur Militaire italienne. Puis il suit le 4ème Bataillon de Chasseurs à pied, en Algérie, où il s’ennuie.
L’expédition du Mexique est une aventure qui le tente. Il rend ses galons et s’engage comme 2ème classe au Régiment Étranger qui part pour le lointain Mexique. La Légion va s’empresser de donner les galons de caporal à ce Légionnaire blessé en Crimée et chevalier de la Légion d’Honneur.
Rescapé de Camerone, Maine est nommé sous-officier, puis, plus tard, officier. En 1870, il est capitaine au 3èmeRégiment d'Infanterie de Marine. Il participe, à Bazeilles, au combat héroïque appelé « Maison de la dernière cartouche ». Il est fait prisonnier à Sedan le 2 septembre 1870, et …s’évade le 18. Il gagne Bruxelles et rejoint la France. À Rochefort, il intègre les « Francs-tireurs » et organise une phalange de volontaires qu’il conduit au feu. Il y gagne ses galons de lieutenant-colonel du 8ème Régiment de Gardes Mobiles de Charente-Inférieure. À la révision des grades (en 1872) il redevient capitaine. Il termine sa carrière au 3ème RIMa. Rayé des cadres pour infirmités temporaires le 30 novembre 1878, ce héros de Sébastopol, de Camerone et de Sedan, grande figure de la Légion et des « Marsouins », meurt à 63 ans, à Douzillac, en Dordogne, le 27 juin 1893.
Concluons avec quelques mots sur cette triste campagne du Mexique.
En avril 1865, la Guerre de Sécession américaine prenait fin avec la victoire du Nord. Les Républicains mexicains poussèrent les Américains à masser leurs troupes le long de la frontière avec le Mexique, avec armes, munitions et matériel. Dans le même temps, les États-Unis pressaient les Français d'abandonner le Mexique. Napoléon III retira donc ses troupes, abandonnant les villes du nord, Mexico, Puebla, et Veracruz. En février 1867, le dernier navire français quittait les rives du Mexique. Sur les 38 493 militaires français envoyés au Mexique, 6 654 y sont morts de blessures ou de maladie. Puis la guerre du Mexique fit trois derniers morts.
En juin 1867, l’Empereur Maximilien avait refusé d’abdiquer. Il se réfugia dans Santiago de Querétaro. Bientôt cerné par les Républicains, il se rendit. L’Empereur pensait qu’il serait conduit à Veracruz et rembarqué sur le premier navire en partance pour l’Europe. Il fut condamné à mort.
Le 19 juin 1867, à Santiago, il fut exécuté avec ses généraux Miramón et Mejía.
Plus tard, on construisit, au Mexique, un monument sur lequel sont gravés les mots suivants :
« Ils furent ici moins de soixante opposés à toute une armée. Sa masse les écrasa. La vie plutôt que le courage abandonna ces soldats français ». Depuis, chaque fois qu’un détachement militaire mexicain passe devant le monument de Camarón de Tejeda, il présente les armes.
Et les Légionnaires - jeunes ou vieux - continuent à chanter en souvenir de la campagne du Mexique : « Eugénie les larmes aux yeux / Nous venons te dire adieu,
Nous partons de bon matin / Par un ciel des plus sereins.
Nous partons pour le Mexique / Nous partons la voile au vent,
Adieu donc belle Eugénie / Nous reviendrons dans un an… ».
C’est, à mon humble avis, l’un des plus beaux chants de la Légion Étrangère.
Éric de Verdelhan
1)- « Camerone » de Pierre Sergent (Fayard ; 1980) est, à mon humble avis, l’un des meilleurs livres sur le combat de Camerone.
2)- Maison-mère de la Légion depuis la fin de l’Algérie française.
3)- Ce monument, construit à l’initiative de général Rollet, le premier « Père Légion », sera démonté et reconstruit à Aubagne, Le 26 octobre 1962. Ce sera le premier travail accompli par les Légionnaires du 1er Régiment Étranger.
4)- REP : Régiment Étranger de Parachutistes.
5)- Les Légionnaires étaient équipés de fusils à un coup à chargement par la bouche : la carabine Minié à balle forcée. Chaque légionnaire disposait de 60 coups, mais les Mexicains, outre l'avantage du nombre, disposaient d'armes américaines à répétition et à grande portée.
Lien du compte rendu du voyage de l'AACLE au Méxique avril 2010
Propos recueillis par le Constantin LIANOS
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