Les statistiques de la délinquance en 2022 ou l’arbre qui cache la forêt….
Comme on l’a dit, les statistiques sont comparables aux mini-jupes, elles donnent un aperçu mais elles cachent l’essentiel...il en va de même pour celles qui concernent la délinquance et la criminalité.
Le 31 janvier le ministre de l’Intérieur nous a jeté quelques chiffres et quelques tendances en pâture comme s’il envoyait du grain aux pigeons sur une place publique, mais cela n’a pas suffi à calmer notre besoin légitime de statistiques sérieuses.
En fait depuis 2014, ces chiffres sont fournis très officiellement par le Service Statistique Ministériel de la Sécurité Intérieure (SSMSI), structure qui a remplacé l’Observatoire National de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) qui fonctionnait très bien et fournissait des tableaux actualisés de statistiques globales sur la délinquance et la criminalité, mais aussi par catégorie d’infractions , soit qu’elles résultent de plaintes déposées , soit de faits avérés par les enquêtes, sans oublier la répartition par régions, départements et villes. Cet organisme tenait compte également des enquêtes de victimation réalisées dans la population, et des contenus des main-courantes, car ils permettaient d’enrichir les faits comptabilisés par les services de police et de gendarmerie, étant donné que les victimes ne déposent pas toujours plainte. Avec le SSMSI, les études générales sont publiées très tardivement, vers le mois de juin et représentent des gros pavés de 240 pages assez bien faits toutefois, mais contrairement à l’organisme qui l’a précédé (ONDRP), les réponses pénales n’y figurent plus, et il faut pour cela se référer aux statistiques très absconses du ministère de la Justice.
Dans ces conditions, on a appris le 31 janvier, que les statistiques de la délinquance en 2022 étaient en hausse par rapport à l’année précédente, et cela se vérifie pour les infractions suivantes et uniquement pour celles-ci : violences intra-familiales (+17%) - violences sexuelles (+11%) - coups et blessures volontaires hors du cadre familial (+14%) - les escroqueries (+8%) - les homicides volontaires sont pointés en hausse avec 948 victimes (soit 69 de plus) - les vols avec effraction de logements ou « cambriolages » (+11%) - vols de véhicules (+9%) - vols dans les véhicules ou « vols à la roulotte » et vols d’accessoires automobiles en très nette augmentation mais aucun pourcentage révélé) – vols avec violences ( seule baisse constatée , soit 4 % de moins).
Quant à l’usage et au trafic de stupéfiants, le nombre de mis en cause pour usage augmente (+13%), mais moins qu’en 2021 (+38%). Cela serait le fait de la mise en place d’amendes forfaitaires délictuelles (à voir Infra concernant Marseille et le 13). Quant au nombre de mis en cause pour trafic de stupéfiants, il certes de 4 %, mais moins que pour l’année 2021 (+13%).
Et puis c’est tout, on ne sait rien de la délinquance et de la criminalité dans les grandes villes et villes moyennes de France, dans les départements et les régions, sauf si l’on s ‘adonne à des recherches en profondeur sur internet.
Il serait nécessaire de connaître également les caractéristiques intrinsèques de chaque type d’infraction : le nombre de plaintes et dénonciations enregistrées, le nombre de faits révélés par les enquêtes, le nombre d’affaires élucidées, l’âge des mis en cause (de leur minorité ou de leur majorité), leur nationalité, le sexe des auteurs (homme – femme), ainsi que pour les victimes, mais aussi le nombre de gardes à vue ou de mises en liberté. Toutes ces indications figurent à peu près dans le rapport annuel du SSMSI, mais ce qui manque c’est un bilan exhaustif. Pourtant, il serait aisé d’appréhender tous ces index si le Ministère consentait à publier annuellement le formulaire en vigueur recensant toute l’activité pénale des services de police et de gendarmerie, c’est-à-dire l’état 4001 qui comprend 107 rubriques d’infractions comptabilisées par lesdits services, mais contre toute logique, cela n’est pas fait. Quelles en sont les raisons ? Peut-être que l’administration ne veut pas inquiéter outre mesure la population française en lui révélant la situation objective de la délinquance dans notre pays, ce qu’elle est pourtant en droit de savoir, ou bien parce que l’administration répugne à faire savoir au grand public le taux très bas d’élucidation des affaires pénales qui est une constante récurrente, apportant la preuve patente de l’échec de l’État. En ce domaine.
Les citoyens français ont-ils vraiment le droit de connaître cette activité chiffrée des services de police et de gendarmerie, et sinon, pourquoi leur cacherait-t-on à une époque où le commun des mortels est abreuvé chaque jour à la télévision de statistiques économiques, sociales, culturelles, et même immigrationnistes. Il est même permis de penser que cette absence de communication engendre chez nos concitoyens un sentiment très fort d’insécurité, car ils se rendent bien compte que tous les faits infractionnels ne sont pas vraiment pris en compte dans leur totalité par les services régaliens de police et de gendarmerie, car il existe un « chiffre noir » de la délinquance qui est tenace et bien réel. Il est alimenté par l’attitude de beaucoup de français qui malgré qu’ils soient victimes d’atteintes à leurs biens ou à leur personne, n’accomplissent pas cette obligation civique d’aller déposer plainte, car d’après eux, cela ne sert à rien, ou parce que les enquêtes n’aboutissent jamais, ou bien alors il vaut mieux transiger avec les compagnies d’assurances que de perdre son temps, parfois pendant plusieurs heures dans un commissariat pour déposer.
Et puis, il y a le phénomène des plaintes refusées par les services de police et de gendarmerie, parfois de façon pertinente car pour être déposée, encore faut-il qu’une plainte (ou dénonciation) soit recevable , c’est-à-dire qu’elle vise une infraction bien définie comportant les trois éléments constitutifs suivants : primo, l’élément légal qui est la base textuelle à valeur législative prévoyant l’infraction ; secundo, l’élément matériel constitué par l’acte en lui-même (la commission de l’infraction) ; et tertio l’élément moral qui correspond à l’intention coupable de l’auteur de l’infraction. Mais, il y a parfois, et même en dépit du fait que l’infraction est caractérisée, un refus tout net des services de l’enregistrer parce qu’ils estiment que ne ce n’est pas une infraction très grave, ou bien parce que l’enquête n’aboutira pas étant donné que l’auteur des faits n’est pas identifié, ou bien enfin parce que cela peut se régler parfois au moyen d’une assurance. Cette attitude est bien entendu tout à fait condamnable, et devant un tel refus il est vivement conseillé au plaignant de s’adresser, dans un premier temps à l’autorité hiérarchique, et si cela ne suffit pas, de saisir le procureur de la République compétent au lieu du domicile de la victime.
Il serait incompréhensible de terminer ce billet sans parler de la situation à Marseille et dans les Bouches-du-Rhône, sachant que cette ville et ce département se situent dans le Top 3 ou 4 des secteurs les plus criminogènes. Lors de sa conférence de presse du 11 janvier la Préfète de Police de Marseille a bien essayé, dans son discours auto-satisfaisant, de masquer la réalité consternante de la situation, mais les faits sont trop parlants, car le département a subi une hausse de la délinquance comparable à la hausse moyenne enregistrée dans tout le pays.
La représentante de l’État a surtout insisté sur le nombre alarmant d’homicides volontaires et de fusillades liés au trafic de drogue, soit 65 attaques à main armée causant la mort de 31 personnes, égalant le triste record de l’année passée. La police judiciaire estime que 50 % de ces assassinats ou « réglos » (règlements de compte) est la conséquence acharnée que se livrent les deux principaux clans de trafiquants, et l’on parle même aujourd’hui de « narcotrafiquants » dont certains , une dizaine environ, tirent les ficelles de ce juteux trafic à partir de pays étrangers tels les émirats arabes unis. Malgré toutes les difficultés inhérentes à ce type particulier d’enquête, la Police Judiciaire a résolu 40 % de ces affaires d’assassinats, et elle compte améliorer ses résultats avec un renfort prévu de 21 enquêteurs cette année qui seront spécialisés dans la traque des circuits de « l’argent sale », et à condition que la réforme projetée de la départementalisation des services n’entrave pas leurs efforts.
La préfète a beaucoup insisté sur le rôle majeur des amendes forfaitaires délictuelles mises en place depuis la loi du 23 mars 2019 pour combattre l’usage simple de stupéfiants. Rappelons que cette amende ne s’applique qu’aux consommateurs majeurs. Son taux est de 200 euros, qui est réduit à 150 euros si le mis en cause s’en acquitte dans un délai de 15 jours, sinon, au terme de 45 jours, elle passe à 450 euros.
Il a été indiqué que 18600 amendes ont été dressées en 2022 soit une augmentation de 50 % par rapport à 2021, toutefois cette « méthode douce » de réprimer ces délits connaît ses limites car le SSMSI estime que 30 % seulement de ces amendes sont recouvrées par le Trésor Public.
Par ailleurs, concernant le trafic, 2296 personnes ont été mises en cause en 2022 pour leur participation supposée à un trafic, soit une hausse notable de 11,8 % ; Sur la seule ville de Marseille, 1813 suspects ont été arrêtés soit une activité en augmentation de 6,1 %.
Quant à la marchandise, elle arrive toujours en masse à Marseille : 5,5 tonnes de cannabis et 2,4 tonnes de cocaïne (dont 1,73 sur le port) ont été saisies en 2022 dans les Bouches-du-Rhône.
La préfète s’estime satisfaite de la stratégie du ‘pilonnage » qu’elle a mis en place depuis 2021 et qui permet « de harceler au quotidien l’ensemble de la chaîne des trafics, des consommateurs aux revendeurs, des petits trafiquants aux têtes de réseaux », et elle entend poursuivre cette action qui aurait permis de supprimer 39 points de deal sur le département dont 29 uniquement à Marseille. Il ne resterait aujourd’hui sur Marseille que 156 points de vente à Marseille, et 220 au total pour le département.
Cette autorité estime pouvoir améliorer ces résultats cette année compte tenu des 300 policiers supplémentaires qui ont été affectés sur le département en 2022, et grâce aussi aux trois compagnies de CRS qui sont mises à sa disposition chaque jour.
Gageons que cette synergie de moyens et de stratégies permettra de porter encore un coup prodigieux de massue à ce trafic de drogue qui gangrène notre ville, pourrit notre jeunesse, favorise l’économie souterraine et alimente les délits en tout genre.
Souhaitons également que la Justice prendra ses responsabilités, car au sein de la chaîne judiciaire, les magistrats répressifs représentent un maillon important et de la sévérité, mais surtout de l’effectivité des peines qu’ils prononcent, dépend la sécurité et le bien-être de tous. Espérons que ce ne sera pas un vœu pieux….
Claude Dupont
4 février 2023
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