Quand les Français serviront-ils à nouveau la France?
Quelques mots sur les récents mouvements d’humeur en Afrique.
Cette interrogation n’est pas de moi; elle est d’un de mes amis africains. Elle est tellement emblématique de ma propre pensée et de celle de nombreux d’entre-vous que je l’ai choisie pour titre de la réflexion que je vous présente ci-dessous. Elle repose en partie sur des citations qui toutes montrent une infinie confiance dans la longue amitié que j’ai tissée avec de nombreux Africains francophones et surtout le regard aiguisé qu’ils portent à notre pays.
Ces dernières semaines j’ai eu plusieurs entretiens téléphoniques avec mes cousins d’Afrique. Vous saisissez aisément quel en a été l’objet. L’un d’entre-eux m’a dit: Je souhaite que la France retrouve sa place, mais elle doit changer son logiciel. Très sincèrement il a raison. Nous avons perdu pied, ici comme ailleurs, parce que les gens qui nous dirigent n’ont aucune conscience de la dimension de notre pays, de sa nécessaire indépendance, de l’image qu’il doit diffuser et des actions qu’il doit mener. Une amie, ancienne ministre d’un pays que je connais bien, m’a fait la réflexion suivante: Si vous continuez comme ça vous allez vous retrouver réduits comme l’Autriche, avec un grand passé et un présent touristique pour Chinois, le catholicisme en moins et l’islam arabe en plus.
Je suis amené à constater que ces coups d’État reprennent une habitude. Certains avaient cru que la démocratie s’installait sûrement sur ce continent dont seule la Méditerranée, la « mare nostrum » de nos aïeux romains, nous sépare. Ce type de régime est évidemment une absurdité pour des pays dont les populations ne sont pas homogènes et où l’allégeance ethnique est le facteur déterminant de l’organisation sociale. Elle est faite de références à des totems, à des ancêtres, à des guerres tribales et à des subordinations bien antérieures à la colonisation. D’ailleurs, vos dirigeants prouvent chaque jour que la démocratie, chez vous, n’est qu’un leurre; vouloir l’imposer chez nous est à la fois une attitude de puissance coloniale et une imposture. Laissez-nous avancer à notre rythme vers des organisations respectueuses de notre nature. Cette phrase je la tiens d’un de mes anciens officiers-élèves, un homme de grande qualité et dont je ne mets absolument pas en doute l’amitié sincère qu’il porte à notre pays et à moi-même. Je vais choquer les humanoïstes, les utopistes, les aficionados de la démocratie partout et en tous lieux, mais le parti unique s’avérait sans doute mieux adapté à l’âme africaine. Chaque ethnie y trouvait sa place, ses responsabilités, ses satisfactions en fonction de critères que seuls, à l’extérieur, nos africanistes pouvaient comprendre. Ils provenaient de l’École de la France d’Outre-mer et de l’Armée coloniale et, pendant un temps, de leurs successeurs nourris de leur expérience. Mais les bons apôtres hauts-fonctionnaires et militaires, ont décidé que l’Afrique ne nécessitait pas de tels spécialistes et qu’elle devait être regardée de manière indifférenciée avec les autres parties du monde. Les Anciens avaient tort de vouloir trop s’y attacher. Nous en voyons le résultat… Les ethnies majoritaires détiennent sans partage le pouvoir réel. C’est ce que Bernard Lugan, un de nos derniers grands africanistes, dénomme « l’ethno-mathématique ». Comment dans ces conditions ne nous heurterions nous pas à des frustrations? L’Africain doit pouvoir se rallier à un chef considéré comme intelligent, fort, noble et capable d’une autorité sans faille. Pour cette raison les régimes militaires ne sont pas rejetés. De plus les Armées sont ouvertes à tous et nous y retrouvons à peu près, les mêmes principes que dans le parti unique. Nous devons cette faute majeure au président Mitterand, qui bien qu’ancien ministre de la France d’Outre-mer, a voulu complaire à ses copains européens, lors du discours de la Baule de juin 1990, en liant l’aide à nos amis, à leur évolution vers la démocratie. L’Afrique a été progressivement sacrifiée à une Europe qui nous pose de plus en plus de problèmes en effaçant notre dimension souveraine et notre liberté d’action dans nos relations usuelles.
En Afrique il faut savoir parler avec tout le monde, pas seulement avec ceux qui semblent répondre aux souhaits de quelques politiques français. La palabre n’exclut personne.
Les erreurs des gouvernements français actuels, à l’égard de l’Afrique francophone, en ajout à leur destruction d’outils de qualité et adaptés, résident aussi dans le mépris ressenti par les Africains; ce manque de considération et d’affection. Ces sentiments précieux, que savaient exprimer ceux qui s’étaient voués à ce continent, font aujourd’hui défaut. Finalement des trois petits présidents - selon ton expression - celui qui a le mieux réussi c’est Hollande. Sarkozy a non seulement éliminé un chef africain respecté (Kadhdafi), avec toutes les conséquences sur les migrations que vous subissez et la violence islamique que le Sahel connaît; mais à Dakar, dans son discours, il nous a pris pour des demeurés. Quant à Macron, c’est tout le contraire du chef que nous admirons chez nous. Nous sommes sensibles à la dignité, à une attitude conforme à la fonction et au respect des usages. Cet homme ne sait pas se comporter… (Un ami sénégalais).
L’Afrique est indispensable à la France, n’en déplaise aux irréfléchis qui voudraient que nous nous débarrassions de ce qu’ils considèrent comme un fardeau. L’Afrique est non seulement le berceau de l’humanité mais elle en est aussi l’avenir. Elle dispose de formidables ressources humaines et minérales. Si nous abandonnons notre rôle si particulier sur ce continent, d’autres se précipiteront avec des intentions bien moins louables que les nôtres. Il suffit d’ouvrir les yeux. Les Russes se sont empressés d’envahir militairement la Centrafrique et d’en détourner les richesses, de conseiller les Burkinabés et de nous succéder au Mali dont ils brutalisent les populations et en distraient les ressources. Quant aux Étatsuniens, ils attendent en embuscade que leur heure vienne. Ils nous ont déjà chassés du Rwanda, s’affairent discrètement au Mali et s’apprêtent à porter leurs effectifs militaires à 5000 hommes à Djibouti. Avec l’US Africom, ils disposent depuis longtemps d’un commandement dédié à l’Afrique. Dois-je évoquer les Chinois, les Turcs et quelques autres qui sont, paraît-il comme nous, membres de l’UE?
La puissance de la France repose sur quelques facteurs. Elle est encore riche d’une recherche et d’entreprises stratégiques de grande valeur. Mais malheureusement nos dirigeants, davantage internationalistes que patriotes, s’avèrent adeptes de l’ultra-libéralisme malhonnête anglo-saxon et des règles de l’OMC relayées par l’UE. Ils les laissent acheter par des étrangers, surtout d’Outre-atlantique. La France du savoir et de la haute technologie s’affaiblit. Ajoutons qu’ils suivent toutes sortes d’injonctions venues de Bruxelles et d’ailleurs qui dégradent la compétitivité des meilleures de nos sociétés.
La France dispose d’une dissuasion nucléaire qui ne dissuade plus personne dans la mesure où ces mêmes dirigeants ont inséré notre pays dans le dispositif otano-étatsunien qui imagine l’utilisation du nucléaire au niveau tactique. Nous subirons cette bataille qui ne sera pas la nôtre.
Elle bénéficie d’un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. Mais son droit de véto n’a guère de sens aujourd’hui puisqu’elle est totalement ralliée à la politique envahissante des États-Unis et qu’elle a même, un temps, imaginé de le partager… De plus le monde se réorganisant autour des BRICS qui drainent de nouveaux pays, l’ONU risque de voir son rôle s’étioler.
Elle disposait du formidable atout culturel et de la francophonie pour diffuser sa pensée et ses modes et produits, mais son dirigeant principal et quelques dirigeants accessoires, toujours eux, bêlent en anglo-saxon et laissent l’Éducation nationale partir à vau-l’eau. Ne nous étonnons pas que le président du Gabon, heureusement déchu, ait tenté d’intégrer son pays au Commonwealth et fait appel aux « fils de la veuve » dans la langue de ses parrains. Le Togo a suivi une voie identique, comme le Cameroun qui lui a l’excuse d’une région héritée de l’empire britannique. Pire le président actuel a manoeuvré pour faire élire à la tête de l’organisation de la Francophonie, une rwandaise anti-française et anglophone…
Enfin, il restait à la France l’Afrique et l’Outre-mer avec leur humanité et leurs ressources énormes et méconnues par ceux qui nous gouvernent. Combien de temps jusqu’à la fin?
Le paysage que je décris brièvement ne réjouit ni la majorité des Français, ni la majorité des Africains. Ils crient leur désappointement, mais nous ne les entendons pas.
Un ami camerounais, vivant à Paris, me disait, nous aimons viscéralement la France, mais que veux-tu, vous refusez les visas aux meilleurs d’entre-nous pour étudier et paradoxalement vous recevez les profiteurs et les moins assimilables qui viennent en France sans demander l’autorisation. Alors que font nos jeunes? Ils vont faire leurs études aux États-Unis, au Canada, en Russie, voire en Chine! Vous vous privez d’ambassadeurs efficaces qui deviennent ceux des pays où ils ont étudié. Vous les frustrez et ils diffusent un discours anti-français, alors qu’au fond d’eux-mêmes ils sont désolés.
Pourtant quelle Grande École française n’a pas vu passer des étudiants africains? D’ailleurs aujourd’hui les pays d’Afrique francophone disposent d’une élite qui n’a rien à envier à l’élite française. C’est là que le bât blesse parce que nous ne l’avons pas réalisé. Nous avons désormais en Afrique des personnalités aussi compétentes que leurs interlocuteurs français. La France doit donc mettre en harmonie ses relations avec cette évolution.
Nous avons besoin de l’Afrique, mais l’Afrique a toujours besoin de nous pour poursuivre son développement et éviter de tomber sous le joug de puissances malfaisantes. Il nous faut nous adapter. C’est une obligation si nous ne voulons pas, aussi, voir la France submergée par des vagues migratoires qu’elle ne pourra pas assimiler. Elles la dénatureront. Il nous faut bâtir une stratégie de développement pour l’Afrique avec les Africains, mais aussi pour les Français. C’est impératif.
Nous devons surtout redevenir nous-mêmes et nous affranchir de ces organisations qui nous détournent de nos véritables amitiés et intérêts. Ne nous laissons pas aveugler par un soi-disant besoin de l’OTAN, de l’UE et des Étatsuniens dans nos opérations en Afrique. Pendant 40 ans nous sommes restés en dehors de l’organisation étatsunienne et nous avons cependant mené quantité d’interventions en Afrique. Nous avons toujours trouvé des appuis logistiques quand nous en avions besoin. Nous avons loué des avions lorsque cela était nécessaire et échangé des renseignements sans que cela apparaisse comme une soumission à une puissance étrangère. Nous n’avons jamais impliqué les voisins de la France métropolitaine dans un quelconque engagement. La France intervenait en tant que France. Il me revient que la Russie soviétique avait intégré dans sa sphère d’influence, la Guinée Conakry, la Haute-Volta, aujourd’hui Burkina Faso, le Congo Brazza ou… le Mali! Nos Anciens ont su les récupérer dans cette grande amicale française.
La politique nationale est donc un déterminant pour notre politique africaine. L’affirmation de l’indépendance de notre pays sera un gage de respectabilité et d’honnêteté pour nos partenaires africains. Ils ne veulent surtout pas, par le biais d’une mauvaise politique internationale, être entrainés vers une adhésion à un ensemble géopolitique. Les relations avec la France doivent se montrer comme une garantie d’indépendance. Ils la connaissent bien et savent qu’avec une France souveraine, ils conserveront leur propre dimension. Mais si la France est soumise, ils pensent très justement, qu’eux aussi seront soumis. Certains préfèrent donc, se tourner vers des puissances prédatrices qui tout en les pillant, assureront le confort de leur gouvernement et sa liberté de faire. L’interrogation initiale, « quand les Français serviront-ils à nouveau la France? » n’est que la formulation sommaire de cette inquiétude.
Alors quelle évolution faudrait-il promouvoir? Il faut que les gouvernants français arrêtent de condamner leur pays. C’est indigne et les Africains rejettent ceux qui trahissent ainsi. Se repentir est un acte de faiblesse incitant au mépris. C’est offenser l’oeuvre des ancêtres dont l’âme africaine, elle, se nourrit. Ils sont d’autant plus choqués que rares sont ceux qui récusent la colonisation et n’en honorent pas les bienfaits. Il faut oser se montrer fier de cette aventure, qui a été la mission humaniste d’une époque. Elle a apporté une formidable évolution à ce continent. Il faut également éviter de comparer la France, socialement, aux États-Unis. La France n’est ni communautariste, ni surtout pas raciste. N’oublions pas que les Africains observent tout ce qui se passe en France et qu’ils constatent ses dérives. Les discours comme ceux d’un Pape Ndiaye ou d’Assa Traoré, sont entendus par les jeunes Africains. Ils les déroutent. Ils sont choqués par le comportement personnel de ministres ou encore par l’envoi en mission d’un ambassadeur pour la cause LGBT+. Cette affaire a été mortifère. Elle a confirmé l’immoralité de ceux qui influencent le pouvoir parisien et souligné l’idée d’une société décadente. Comment, en conséquence, dans la pensée traditionnelle africaine, ne pas mépriser ceux qui voudraient assurer la continuité d’une relation, parfois difficile mais toujours respectable?
À supposer que nos dirigeants effectuent un mea culpa, ils devront effectuer un changement de paradigme en réformant le système de coopération. L’aide sécuritaire comme économique à ces pays demeure vitale, mais elle devra répondre à des propositions sincères et à de véritables souhaits de leur part.
Il s’agira de défendre, des règles référentielles et les intérêts vrais des peuples quand ceux-ci risqueront d’être bafoués. La foule africaine est versatile. Elle brûle ce qu’elle adorera demain et vice-versa. La constance doit demeurer une vertu pour la France et le dialogue un principe directeur.. Dans certains cas, il faudra certes montrer la force salvatrice de la France, mais aussi son humanité et sa dignité. Il s’agira de ne pas hésiter à frapper dur si nécessaire et ne pas se laisser impressionner par des manifestations organisées ou des déclarations savamment provocatrices exprimant des ambitions minoritaires ou extérieures. Tout recul est faiblesse pour des sociétés de guerriers. De manière concrète, s’agissant des interventions, les OPEX, il sera indispensable que nos armées retrouvent le sens d’une proximité réelle avec les armées locales et reprennent les principes de l’ancienne Coloniale en s’intégrant à la vie des villes et villages et en apportant aide et témoignages. Les camps isolés, barricadés, répondent à quelques rares nécessités, mais surtout aux principes de l’armée de la puissance hégémonique étatsunienne; pas à la tradition française. Protégeons nos soldats, mais envoyons les en mission sociale. Il nous faut donc des bases solides diffusant la compétence, l’amitié et le solidarité françaises. Ajoutons que, dire ce qui est fait et le montrer, se révèle comme la meilleure des publicités. Action psychologique banale, mais manifestement porteuse de résultats…
Il faudra que les gouvernants français, acceptent de faire appel à des gens compétents pour mener les relations avec l’Afrique et donc ne plus les confier à des énarques imbus de leur ignorance et de leur européisme. Il faut utiliser ceux qui savent et ceux qui sur le terrain peuvent informer!
Respecter les Africains en traitant d’égal à égal avec eux, en analysant leurs besoins véritables avec eux et en répondant à leurs souhaits de coopération. Ils en ont. Il faudra ainsi considérer chaque pays comme un partenaire, à égalité, et rejeter toute suffisance. L’Afrique doit être aimée. Bien qu’elle ait grandement changé, elle a toujours besoin de coopération et de sécurité. Ses responsables et les peuples le savent. C’est un honnête constat. Nous devons le partager et y répondre correctement.
Malgré la restriction des visas, ils sont nombreux à être passés par nos Grandes Écoles et nos universités. Nous avons (encore) l’avantage de parler la même langue, alors échangeons et rapprochons nous à nouveau.
Il nous faut ainsi au plus tôt nous ouvrir à une vision nouvelle de l’Afrique avec l’aide des Africains. C’est essentiel, mais nos gouvernants en auront ils la volonté et l’intelligence? Optimisme ou pessimisme?
Henri ROURE
Recueilli par constantin LIANOS
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