VOUS AVEZ DIT : NAVIRE-HÔPITAL ?
La France a envoyé au large de la Bande de Gaza le porte-hélicoptères amphibie (PHA) Tonnerre comme navire-hôpital et prochainement son sister-ship Dixmude. L’occasion de nous interroger sur la notion de navire-hôpital et, plus largement, sur celle d’hôpital au cours de l’Histoire.
L’hôpital : une création tardive.
La notion d’hôpital apparaît, en réalité, assez tardivement. Des structures répondant à ce vocable naissent au cours du Moyen-Âge (XIII° siècle) en Occident mais sous une forme bien différente de l’image que nous avons aujourd’hui des hôpitaux. L’hôpital médiéval est un établissement qui reçoit « les passants, les pèlerins, les malades, les gens sans ressources, les enfants trouvés, en un mot les pauvres, ceux qui ont besoin d’assistance et à qui la charité chrétienne procure un abri, un lit, du pain ». (1)
Soigner les malades n’était alors qu’une des missions de ces hôpitaux de l’époque qui portaient souvent le nom d’Hôtel-Dieu. Comme l’explique encore Madeleine Villard (voir note- renvoi 1) hôpital et hôtel ont la même racine et signifient « maison où l’on reçoit ». Carrefour des misères humaines, ainsi apparaissent ces anciens établissements.
Le navire-hôpital : une notion, non pas inconnue, mais furtive.
Compte-tenu des caractéristiques des hôpitaux à terre, il n’est dès lors pas étonnant que l’idée de navire-hôpital n’ait pas effleuré les consciences autant terrestres que maritimes. Il est coutume de citer l’existence en 1523 d’une caraque armée par l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem comme navire-hôpital, la Santa Maria. Mais le navire avait surtout pour mission d’isoler les marins contagieux pour éviter la propagation des maladies aux équipages constituant la flotte.
La santé des marins embarqués fut de tout temps une grande préoccupation. Un bâtiment n’est apte à combattre que si son équipage est en bonne santé et vigoureux. Toujours aujourd’hui une impossibilité d’appareiller pour raison médicale serait inadmissible et incompréhensible.
Nelson déjà dans une lettre du 11 mars 1804 écrivait au docteur Moseley :
- « La grande chose dans toutes les affaires maritimes, c’est la santé ».
En effet, le nombre de marins mourant par maladie était sans proportion avec celui de ceux qui décédaient au cours et des suites des combats en mer. Ce nombre s’accroitra considérablement avec les grandes découvertes, les navigations au long cours, les campagnes durant des mois, voire des années.
Cet état de fait suffit-il à voir émerger, le verbe est à propos, la notion de navire-hôpital ? La réponse est négative. Des efforts sanitaires existent et se développeront tout au cours du XVIII ° siècle mais concernent l’hygiène des équipages à bord même de leurs vaisseaux. Pas de navire-hôpital dans les esprits, dans la construction navale et dans la constitution des escadres. Toutefois Bougainville, par exemple, en 1780 regrette que « dans les plans des opérations on ne tenait pas compte de la santé des hommes » et 24 ans avant Nelson ajoutait : « Comme si la santé n’était pas la base de toute opération ! ».
Les épidémies ravageaient la marine à la mer. Marins de France et de l’Étranger. La guerre de Sept Ans allait coûter 150 000 hommes à la Royal Navy. La moitié par maladie. La France évita, un temps ces grands désastres, ces hécatombes, peut-être par l’application des principes du grand Colbert édictant :
« La propreté est l’âme de la marine ».
Mais typhus exanthématique, scorbut, fièvres typhoïdes, paludisme, fièvre jaune pernicieuse, dysenterie … décimèrent à leur tour les équipages.
Pas de place à bord pour des hôpitaux.
La marine de combat se caractérise par son entassement. Entassement des hommes, des matériels, des munitions, des vivres, des tonneaux d’eau douce et de poudre, des apparaux, des voiles et cordages de rechange, des équipements divers nécessairement en double ou en triple exemplaires. Dans les batteries vivent 450 hommes pour un vaisseau de 64 canons. Et 1000 pour un vaisseau à trois ponts. Le vaisseau mesure 163 pieds de longueur, soit 53 mètres et 44 pieds de large, soit 14,30 mètres. Le plus petit espace est occupé. Un vaisseau est un entassement redoutable et cet entassement humain est propice à la transmission de toute maladie contagieuse. Pas de ventilation sur ces anciens bâtiments ; des marins mouillés jusqu’aux os d’eau de mer et dont les hardes ne sèchent pas à cause du sel ; des espaces où l’eau suinte en permanence … Peu d’eau douce rationnée, pas de lavage corporel … Dans les fonds, le marais nautique, puant, stagnant, immonde, recevant les salissures des animaux vivants embarqués … mais pas d’infirmerie à bord et pas de navire-hôpital. Pas de place !
Et au combat ?
Les dégâts corporels sont considérables : blessures par les boulets ennemis, par les éclats de bois, (Nelson, alors capitaine de vaisseau, perdit un œil par un éclat de pierre au cours du siège de Calvi à bord du 64 canons l’Agamemnon), brûlures, explosions, inflammations des poudres, explosions des canons eux-mêmes, pertes de bras, de jambes, en-taillades, cisaillements de toutes sortes suite aux abordages … Pas d’infirmeries, ni de navire-hôpital pour autant. Les chirurgiens s’installent dans les fonds. Amputations sans anesthésie, … une boucherie.
Pourtant …
Pourtant l’Ordonnance de 1689 prescrivait « l’armement d’hôpitaux à la suite des armées navales ». Précédemment même le « Nouveau commentaire sur l’Ordonnance de la marine » du mois d’août 1681, que j’ai sorti pour l’occasion de ma bibliothèque, impose la présence d’un ou deux chirurgiens pour les voyages au long cours « eu égard à la qualité des voyages et au nombre de personnes ». Mais l’absence de navire-hôpital est toujours de règle. La prescription des Ordonnances est louable. L’application ne suit pas. Les vents du large emportent au loin les bonnes intentions.
Une exception de haute qualité.
Nous la devons au grand Suffren. L’escadre du comte d’Orves a appareillé pour les Indes Nous sommes en 1780. La Force est d’importance : 25 voiles dont 5 vaisseaux arrivés avec le Bailli, et 6 du comte d’Orves. L’escadre se fait suivre d’un « navire-hôpital » le Toscan. C’est une nouveauté !
Vous allez me dire : Pas tout à fait. En effet, en 1588 la Grande Armada des Espagnols avait inauguré l’emploi d’un navire-hôpital. Mais convenez que le navire en question avait une double mission : hôpital, d’une part, mais aussi, d’autre part, réserve de matériel médical et de matériel de guerre.
Revenons à Suffren et à son véritable navire-hôpital, fruit de son humanité, et qui embarqua des malades du Flaman et du Vengeur. Mais le 15 février 1782 le Toscan qui transportait 200 malades est saisi par les Anglais. Voilà l’escadre privée de son navire qui n’aura eu qu’une courte vie et une brève carrière militaire et hospitalière. Mais louons-en le grand bailli provençal.
Le navire hôpital moderne.
Le navire-hôpital de nos jours est défini comme un navire exclusivement affecté au transport des malades et des blessés en temps de guerre. Il est construit ou aménagé en vue de porter secours à des naufragés ou des malades. Durant la Première Guerre mondiale, comme dans la Seconde, plusieurs paquebots furent transformés en navires-hôpitaux dont le Britannic, sister-ship du Titanic. Le Sphinx en 1939 servira au rapatriement des blessés de Narvik vers Marseille. La Seconde Guerre mondiale voit des réquisitions de navires civils pour être navires-hôpitaux, comportant pour l’un d’eux 21 médecins, 270 infirmiers et infirmières, capables d’accueillir 800 blessés avec salles d’opération, installations de radiologie … La France pour sa part ne construit pas de navires-hôpitaux.
Comment reconnaître un navire-hôpital ?
Se faire reconnaitre navire-hôpital par la communauté internationale et les belligérants ne s’obtient pas sans formalités internationales. Se déclarer tel est loin d’être suffisant. Les navires-hôpitaux doivent arborer de larges croix rouges sur une coque blanche. Mais cette inscription n’assure pas forcément une garantie de protection. Un navire de guerre qui remplirait les taches de secours d’un navire-hôpital serait-il considéré comme étant, au sens des Conventions internationales et des Conventions de Genève de 1949, un navire-hôpital bénéficiant d’une protection ? La question n’est pas innocente et a de quoi faire réfléchir.
Quid du Tonnerre et du Dixmude?
Le Tonnerre sur zone n’a rien changé à sa coque. Le Dixmude la changera t-il ? Comment un bâtiment de guerre, armé, pourra t-il être considéré internationalement comme un navire-hôpital neutre ? Un navire hôpital est normalement non armé. En 1956 lors de l’Opération de Suez, la France réquisitionna un paquebot, navire commercial des Messageries Maritimes, La Marseillaise comme navire-hôpital. Sa coque fut frappée de grandes croix blanches. Mon père était de l’expédition.
Dans le cas contraire, toutes attaques potentielles sont-elles exclues ? Normalement un droit de visite doit être déclaré et autorisé pour s’assurer que le navire-hôpital en question qui se prévaut de cette qualité ne détient pas de matériel militaire. Cet élément est-il compatible, acceptable et réaliste avec la nature de bâtiment de guerre qu’est le porte-hélicoptères amphibie Dixmude? La Convention de 1929, celles de La Haye et de 1949 traitent des navires-hôpitaux en précisant que ces derniers ne pourront être attaqués de terre. À condition de communiquer de façon précise des éléments sur le navire : inventaire, photographies, moyens de radiocommunications, description des radars … et droit de visite. L’État souscrira t-il à toutes ces conditions pour son navire de guerre Dixmude, rebaptisé unilatéralement, jusqu’à présent, navire-hôpital ?
L’emploi de navires militaires pour des missions humanitaires et hospitalières ?
La question est ouverte. Il sera intéressant de juger de la suite des événements. Envoyer un bâtiment de guerre pour des missions humanitaires et comme navire-hôpital, n’est-ce pas au delà d’une mission humanitaire classique lui donner une mission que je qualifierai d’ « humani-guerre » ? La démarche politique est généreuse. Les conditions dans lesquelles elle se concrétise sont sujettes à interrogation.
À Marseille, le 15 novembre 2023
Commissaire en chef de la marine Jean-Noël Beverini
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NOTES :
- Madeleine Villard, de l’Académie des Sciences, Lettres et Arts de Marseille. « Des hôpitaux de Marseille » in Revue de Marseille 3° trimestre 1980 n°) 122 p. 93 et sv.
- Historique de la Marine françaisede ses débuts à 1815. Amiral Henri Darrieus - Capitaine de vaisseau Jean Quéguiner. L’ancre de marine (1999).
- Ordonnance de la marine de 1689 et Nouveau Commentaire sur l’Ordonnance de la marine du mois d’août 1681- Livre second. Des gens et des bâtiments de mer. Titre VII.
- Revue « La Marseillaise » de la Compagnie des Messageries Maritimes.
- Dictionnaire des marins français. Étienne Taillemite. Ed. Tallandier (2002).
- Ainsi vivaient les marins. Armel de Wismes Ed. France-empire (1971).
- Dictionnaire d’Histoire maritime. Sous la direction de Michel Vergé-Franceschi. Ed Robert Laffont (2002).
- Revue historique des Armées n°) 4 – 1983.
- Conventions internationales de 1929, de La Haye, de 1949.
- (Propos recueillis par Constantin LIANOS)
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