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Monsieur Légionnaire

L’apostolat du mystérieux « Monsieur Gaudin »

L’apostolat du mystérieux « Monsieur Gaudin »

Jean-Claude Gaudin était un personnage méchamment sympathique. Paix à son âme. 

C’est grâce au « Méridional » qu’il est devenu ce qu’il est devenu : un monstre sacré de la politique française. Je me souviens qu’il venait systématiquement nous rendre visite dans les années 70-80 à la rédaction de la rue Cougit les soirs d’élection pour célébrer les victoires, assez rares à l’époque, de la Droite et du Centre. S’agissant de Jean-Claude Gaudin et de ses amis, les journalistes du « Méridional », le quotidien démocrate-chrétien de Marseille, étaient toujours bienveillants. Lorsque Jean-Claude était à Paris, il ne manquait pas une occasion de s’enquérir auprès de sa maman : « Est-ce que le Méridional a parlé de moi aujourd’hui ? »

Le futur maire de Marseille n’était alors qu’un débutant en politique et il suivait son credo selon lequel : « Hors des partis point de salut ». Il avait adhéré au Centre National des Indépendants et Paysans mais il s’est très vite senti à l’étroit dans cette formation microscopique où il ne pouvait pas donner libre cours à ses ambitions. Et puis, face à des personnalités aussi puissantes que Gaston Defferre (PS) et Joseph Comiti (RPR) il a choisi de s’intégrer à l’UDF de Giscard pour exister davantage et se donner les meilleures chances de réussir.

L’immense mérite de Gaudin aura été de suivre avec persévérance et une patience d’ange la stratégie des petits pas : celle d’une lente progression au sein du marigot politique marseillais pour ne pas offusquer ses mentors omniprésents : Defferre à gauche, Comiti à droite. C’est ainsi que grâce au précieux appui du « Méridional » et de ses rédacteurs en Chef Gabriel Domenech et Yves Pellen, Jean-Claude Gaudin a tissé sa toile jour après jour, mois après mois, avec quelques compagnons de route peu connus à l’époque et des moyens dérisoires dans un cafoutche de l’avenue du Prado.

Il a très vite compris que des convictions trop ardentes en politique ne pouvaient conduire qu’à des impasses et il s’est mis au régime…des oscillations conjoncturelles : giscardien avec Giscard, mitterrandien avec Mitterrand, chiraquien avec Chirac, sarkozyste avec Sarkozy, hollandiste avec Hollande, macroniste avec Macron. Il s’inscrivait prudemment dans le sillage du nouvel élu présidentiel, quelle que soit son étiquette ou son bord politique, pour s’assurer une protection haut placée, ou, à tout le moins, une totale absence d’animosité de l’Elysée à son égard.

Ce fameux « pragmatisme » gaudinien, qu’il portait comme un étendard, déroutait souvent ses plus fidèles soutiens, en particulier ceux qui faisaient passer leurs convictions bien avant tout souci de carrière. La deuxième qualité politique de Gaudin, moins perceptible par le grand public, c’est l’anastomose, c’est-à-dire la communication naturelle ou chirurgicale entre deux organes, comme deux bras d’un fleuve qui s’abouchent et se joignent en permanence pour engendrer un cours commun. Son second, son éternel second, celui qui ne faisait qu’un avec lui, c’est évidemment son compagnon de toujours, Claude Bertrand. 

C’est ce duo fusionnel qui a conquis Marseille. Gaudin seul, c’est l’extraverti, l’acteur de la « Pastorale Maurel » de la rue Nau, le chef d’orchestre, le hâbleur jovial, le conteur intarissable, chaleureux et pagnolesque. Mais le vrai compositeur, c’était Bertrand, l’homme de l’ombre, le taiseux, l’éminence grise qui fomentait les coups en douce.

« La ville de Marseille était l’épouse de Gaudin, raconte un de ses collaborateurs. Il passait ses dimanches à organiser les plans de table de ses invités de la semaine, rien n’était laissé au hasard suivant un protocole savamment contrôlé. Le vrai démarrage de Gaudin en politique, hormis sa période de copinage avec les socialistes sur les bancs du conseil municipal de Marseille, de 1965 à 1976, c’est son coup de foudre pour un jeune homme du même âge que lui, secrétaire du groupe des « Républicains d’union et d’action communale » qui n’était autre que Claude Bertrand. »

En réalité, Gaudin était étranger à ce personnage loufoque de ravi de la crèche qu’il s’efforçait de donner de lui pour endormir la méfiance de ses adversaires. Sa mémoire était prodigieuse. Il m’est arrivé de cheminer à ses côtés dans les allées du parc Borély et de l’entendre héler au passage des Marseillais de sa circonscription : « Alors Antoine ? Il va mieux le petit ? Et mémé Angèle, comment elle va ? » « Oh Robert, ça par exemple ! Tu vas bien ? Et ta femme elle a trouvé un emploi ? » Il se souvenait des prénoms, des noms, des situations, des professions, il se souvenait de tout. Et chacun était flatté que « Monsieur Gaudin » le désignât publiquement comme un intime du « Grand », son surnom à Mazargues.

La principale force de « Monsieur Gaudin », c’était d’afficher un altruisme de bon aloi tout en défendant ses propres intérêts. « Jean-Claude était très fidèle en amitié, confesse un de ses anciens adjoints, mais il était aussi très fidèle dans ses inimitiés…Il se flattait d’être œcuménique et d’aimer tout le monde, mais en réalité il n’aimait que lui-même ». 

Bref, le mystérieux Jean-Claude, tout en rondeur et brillantine, était un animal politique qui pouvait passer son temps à défendre férocement son territoire pour éloigner les prédateurs. Dans ce domaine, il excellait.

D’autres méchantes langues affirment qu’il n’a pu devenir député en 1978 que grâce à l’intercession de Gaston Defferre lui-même qui a fait voter plusieurs sections du parti socialiste pour « le gentil Gaudin » parce qu’il se méfiait comme de la peste de l’ascension de Charles Emile-Loo, le député PS sortant, qui était devenu trésorier national du parti et pouvait devenir encombrant…

D’autres affirment que le fameux « switch » de 2020 Rubirola-Payan est signé du duo Claude-Jean-Claude : « oui, prétendent-ils, c’est Gaudin qui a contribué à installer Payan à sa place car il ne pouvait pas supporter Martine Vassal et lorsqu’elle a été élue à la métropole, il a failli avoir une syncope ! C’est lui qui a désigné Bruno Gilles comme son successeur potentiel et le moment venu, il l’a transformé en missile atomique contre Martine Vassal. La planche était donc plus que savonneuse et Martine ne pouvait pas gagner dans ce contexte de déchirements internes. Vous savez, à Droite, il n’y a pas que des orphelins, il y a aussi une ribambelle de cocus ! »

Comme Janus, le Dieu romain aux deux visages, Gaudin était un politicien retors et à double facette : sa bonhomie souriante pouvait masquer les manœuvres les plus habiles. Il menait sa barque de façon discrétionnaire et distribuait à sa guise les postes ou les investitures aux plus fidèles de ses fidèles. Le premier qui sortait des clous se faisait flinguer. Pour amadouer ses interlocuteurs, Gaudin leur rappelait sans cesse son adage : « Marseille n’est ni une ville de droite, ni une ville de gauche, c’est une ville populaire ».

Voilà une sentence qui lui permettait de s’adapter en permanence à ses visiteurs et de faire face à toutes les situations. Certes, Gaudin pouvait parfois encenser des personnalités dont il se servait ensuite comme de simples marchepieds, les laissant peu à peu sombrer, seuls, dans l’inertie, l’indifférence, l’oubli.

D’autres anciens collaborateurs sont plus aimables avec Gaudin : « c’était un géant de la politique, estime un ancien haut fonctionnaire du conseil régional, il figurait dans le cercle des plus grands avec Chirac, Sarkozy, Pasqua, Balladur. Il n’avait aucun complexe. C’était avant tout un homme du peuple à l’aise avec le petit peuple, mais dans le travail il était exigeant, pas seulement débonnaire, mais attentif à tout ce qui se passait, c’était une pointure, un vrai patron. D’ailleurs ses adversaires l’ont toujours respecté, même ceux qui faisaient campagne contre lui en brandissant le chèque ou le révolver ». 

Tous ceux qui ont approché « Jean-Claude » reconnaissent qu’il était resté un homme du vingtième siècle, peu enclin à utiliser les réseaux, les robots et l’Internet. C’est à peine s’il parvenait à trouver la touche pour allumer son poste de télévision, alors, imaginez, pour répondre en pleine nuit aux SMS d’un président de la République insomniaque, c’était au-dessus de ses forces.

 Il se comportait en politique comme au restaurant du Vieux-Port où il conviait souvent ses disciples « Allez, les amis, choisissez ce qui vous fait plaisir ! », lançait-il à la cantonade. Puis, lorsque le garçon revenait avec son calepin de commandes, il s’exclamait : « Bon ! Ce sera des pâtes aux langoustes pour tout le monde… »

Gaudin est entré en politique comme on entre dans les ordres, sans retour en arrière possible, totalement, radicalement, en sacrifiant sa vie personnelle, comme l’a fort bien dit Yves Moraine. C’était la politique H24. Benoit Payan a trouvé une belle formule pour saluer l’indéfectible attachement de Gaudin à sa ville : « Pour vous, Marseille est une ville qui cessait d’être une extrémité pour devenir un chemin ». Sauf que ce chemin, c’était d’abord le sien.

Gaudin, il est vrai, était l’homme des consensus, l’artisan du rassemblement et de l’unité d’une ville fracturée. « C’était l’homme des passerelles, a fait observer Yves Moraine, il a laissé une ville plus belle que celle qu’il a trouvée en arrivant ». Cet enjoliveur, admirateur secret de Napoléon, savait rallier les cœurs en adoucissant les mœurs. 

Son savoir-faire politique très onctueux ne lui a toutefois pas suffi pour accéder à la présidence du Sénat au palais du Luxembourg. Il a sans doute mésestimé la force tranquille d’un autre monstre sacré à l’appétit gargantuesque : Gérard Larcher, qui a su étouffer dans l’œuf ses velléités électorales. 

Son enthousiasme communicatif ne lui a pas suffi non plus pour se mettre à l’abri de « la chose judiciaire », comme il disait. Les magistrats du parquet national financier ont pointé sa gestion approximative du personnel municipal, qualifiée « d’abracadabrantesque ». Pour s’assurer les bonnes grâces du syndicat FO, il a octroyé aux 15 000 fonctionnaires des heures supplémentaires indues : une négligence qui lui a valu une mise en examen pour « détournement de fonds publics ». 

Il a aussi maintenu en poste plusieurs de ses fidèles de plus de soixante-dix ans qui avaient largement dépassé l’âge de la retraite et puis l’affaire de la rue d’Aubagne lui est tombée dessus sans crier gare au crépuscule de sa vie. Huit morts sur la conscience. Dans cette tragédie, il n’a pas su réellement habiter sa fonction et s’en repentait tous les jours. Quant à l’affaire des fausses procurations de certains élus LR lors de l’élection municipale de 2020, elle n’a pas encore été jugée mais débouchera probablement sur un « pschitt » retentissant.

Non, vous avez raison de le souligner S.Em.Mgr Jean-Marc Aveline, comme vous l’aviez fait pour Tapie, Gaudin n’était pas un saint. Ni un diable. Et les affaires qui ont pu le toucher étaient de la gnognotte comparées à celles que nous avions connues avec les socialistes de Defferre et des frères Guérini. Reste un insondable mystère : qui était réellement « Monsieur Gaudin » ? Seul un ancien élu qui a connu et Defferre et Gaudin pouvait répondre à cette question lancinante. Sa réponse vaut son pesant de cacahuètes : 

« Gaudin a su profiter du naufrage de la gauche marseillaise, juge-t-il, c’était un homme d’une nullité crasse dont on se demande comment il a pu gravir tous les échelons de la vie politique. Il n’avait aucune substance, aucune profondeur, il était taillé pour devenir président du comité des fêtes de Mazargues. Il était très conscient de ses limites et se réfugiait toujours dans l’esquive. Il parlait, parlait, pérorait, pour vous embrumer et après une heure de palabres il était parvenu à vous faire oublier pourquoi vous étiez venu le voir. Gaudin se comportait en seigneur du Moyen-Age, il vous donnait un apanage, un territoire et vous disait : tu te débrouilles avec ça… »

Enjoliveur, embobineur mais aussi bâtisseur, chacun a le choix. En tout cas, le talent de comédien de Jean-Claude Gaudin lui a souvent permis de camoufler ses insuffisances, ses faiblesses ou son incompétence. Le « Méridional », quoi qu’il en soit, renouvelle ses sincères condoléances à ses proches et amis et rappelle à ceux qui l’ont encensé jusqu’à son dernier souffle le mot de Jules Renard : « On place ses éloges comme on place de l’argent, pour qu’ils nous soient rendus avec les intérêts… »

José D’Arrigo

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