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Les actualités de
Monsieur Légionnaire

Grèce : Terre … de nos ancêtres

Ce texte d’un auteur inconnu constitue l’acte III d’une pièce de théâtre dont nous avons malheureusement perdu la presque totalité de l’œuvre. Malgré tout, il nous est apparu intéressant de vous proposer la lecture de cet extrait.   

 L’acte III met en scène deux personnages : le philosophe et le jeune homme.

Le philosophe 

Qui de vous m’a parlé, un de ces jours derniers,

D’une antique carrière si longtemps oubliée

Et qui, juste apparue à nouveau sous les cieux,

Disparaît sans avoir même pu dire « adieu ».

Qu’est-ce donc cette histoire digne d’une chanson :

Trois petits tours et puis, les vestiges s’en vont !

Mais comment traitez-vous ainsi vos découvertes :

Juste remises au jour, vous décidez leur perte.

Dites-moi, je vous prie, dans quel pays sauvage

De si folles pratiques et de si grands outrages

Sont encore consommés ? C’est folie d’y penser !

 

Le jeune homme

 

Je ne vous dirai rien de peur de vous choquer

Mais n’allez pas chercher sous les lointains tropiques.

Les grands démolisseurs n’ont ni plumes, ni piques ;

Ils sont là sous nos yeux, louant le patrimoine,

Le chantant en prières plus qu’abbés et que moines.

D’une main innocente et le stylo dressé,

Ils signent, ils signent, ils signent empressés

Au pied de parchemins qui condamnent l’Histoire.

Il y a en leur seing à manger et à boire.

Les siècles écoulés n’ont pour eux que le poids

D’un jour, d’une semaine et pas même d’un mois.

N’allez pas leur parler alors de millénaires

Ils vous diront, pressés, qu’ils n’en ont rien à faire.

 

Le philosophe

 

Qu’importe le Passé, c’est leur présent qui compte !

Ne leur demandez pas s’ils ont connu la honte.

La honte n’est qu’un mot que les vivants digèrent

Et que les morts oublient à trois pieds sous la terre. 

 

Le jeune homme

Mais ne craignent-ils pas que l’âme de ces morts

Dont ils rayent la vie, dont ils signent le sort,

Ne vienne au fond des nuits hanter de noir leurs songes

Comme l’œil de Caïn que sa conscience ronge ? 

La terre est née pour vivre et non pas pour mourir ;

D’essence elle appartient à qui sait la chérir.

Depuis combien de temps, combien de millénaires

Des flots de paysans, plus courbés qu’une équerre,

Ont mêlé leur sueur à la glaise stérile

Pour en faire jaillir une terre fertile ?

Toute terre est un don où verdit le brin d’herbe,

Où éclate le grain qui ressuscite en gerbe.

Cette terre est aussi de granit et de marbre

Que l’homme a récolté comme fruit sur un arbre

Pour bâtir ses maisons, ses temples et ses tombes

Pour que ses morts aimés reposent outre-tombe. 

 

Le philosophe

Reparle-moi encore de l’ancienne carrière,

De cette ville jeune qui jaillit hors de terre.

 

Le jeune homme

Il n’y avait que roc sous un soleil de plomb,

Un mauvais marécage envahi par les joncs

 Et le peuple venu qu’ils appelaient colons

Avait reçu ce roc en bord de Lacydon.

Sur la rive opposée, ils plantèrent leurs haches,

Leurs pioches, leurs piolets et tout ce qui arrache

De quoi bâtir des murs, des remparts, des maisons.

Une ville naissait sous ce soleil de plomb.

Les barques emportaient aux creux de leurs entrailles

Les blocs tout frais taillés au blond reflet de paille.
Et la ville germait  comme blé au printemps,

Dominée par les temples aux colonnes en rangs.

Ils cherchèrent un nom pour baptiser leur ville ;

Il le fallait puissant, tout à la fois gracile.

La pythie d’Apollon questionnée prononça :

                                   Massalia

 

Le philosophe

Et c’est cette carrière réapparue au jour

Qu’ils cherchent à effacer ? N’y a t-il troubadour

Pour chanter ce trésor et l’ardeur de ces hommes

Qu’ils veulent oublier et réduire en fantômes ?

Il est venu le temps annoncé des oublis.

L’homme a préféré l’ignorance pour lit.

Il a fermé les yeux pour ne pas voir sa chute

Mais se fermer les yeux ne le rend pas moins brute.  

Le jeune homme

 Que faudrait-il donc faire ? 

Le philosophe 

                                          Surtout ne pas se taire !

Ces hommes sont indignes à garder cette terre.

Je vous le dis d’un mot : il faut la renvoyer

D’où sont venus les hommes qui l’ont su travailler.

Commandez des vaisseaux, des barques, des radeaux

Et remplissez leurs flancs sans crainte au ras de l’eau.

Embarquez blocs de pierre, cuves et sarcophages

Et les entassements élevés en étages.

Embarquez lourdes meules et les calcaires blonds

Que le soleil dorait de ses rayons féconds.

Embarquez tout, vous dis-je, et qu’il ne reste rien

De la haute mémoire de ces grands Phocéens. 

Et lorsque vous aurez chargé les souvenirs

De l’antique carrière, partez sans un soupir.

Partez sans un regard, quittez ces lieux incultes

Qui ne méritent pas, même qu’on les insulte.

  

Vous aurez accompli le divin sauvetage,

Seul digne de répondre à l’indécent outrage

D’une ville sans âge, dite déjà sans nom

Sous le joug précédent d’une Révolution

Et qui, deux siècles après, par un nouvel affront

A choisi, inconsciente, de perdre son renom. 

(Fin du III° acte, seul conservé)

JNB

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