Compte rendu du pèlerinage de la Confrérie de Saint Antoine le Grand, Abbé de la Communauté Légionnaire à Saint Antoine l’Abbaye du 15 et 16 novembre 2025
Compte rendu du pèlerinage à Saint-Antoine l'Abbaye par M. Calixte NÉMAUSIN,
Partie avec quatre minutes d’avance, la cohorte de légionnaires s’enfonça dans le couloir brumeux du Rhône. Contenu dans son chapelet de prières, le fier galion bravait tantôt le mauvais vent d’Est tantôt les rideaux de pluie d’un automne sans pitié.
Après une halte logistique à Mornas (84), les pèlerins, absorbés par les prières rassérénantes du Père Alexandre, reprirent en chœur le chemin en égrenant des dizaines de « Je vous salue Marie ». Arrivée à Chatte (38) vers onze heures et demie, comme une onde silencieuse, la troupe descendit festoyer autour de quelques bien maigres victuailles arrachées à des charriots d’un Leclerc perdu au milieu de nulle part. Ils étaient ravis d’arriver et de pouvoir se dégourdir leurs jambes entre grognards et de se réchauffer les cœurs autour d’un café chaud sous la brume humide, venteuse et glaciale.
Reprenant la route pour Saint-Antoine l’Abbaye, les plus valeureux d’entre nous s’étaient changés pour se parer de leurs fiers costumes céladons et de sang avant d’entonner plusieurs salves de « prières du Para ». Arrivés au pied de la colline d’où nous attendait l’abbaye, nous nous formâmes en colonne discrète mais déterminée, avant de gravir, en silence, une pente raide qu’une pluie sans pitié dévalait en rigolant. Pas à pas, les murailles grises se détachèrent des bois dorés par un automne aussi rayonnant que nourricier. Traversant un village en mélasse peuplé jadis d’hospices destinés à accueillir les malades venus de toute la Gaule, nous arrivâmes à la Porte de l’Hôpital St Antoine. Plantée dans la roche par ses trois colonnes dorées, la Sublime Porte laissait pointer ses magnifiques toits roux bourguignons chargés de mosaïques dorées et vertes. Passant le l’un des porches de cette porte, une cour intérieure jalonnée de platanes s’ouvrait devant les pauvres pécheurs qui longeaient, admiratifs, les tavernes et maisons de tailleurs de pierre.
Comme une fleur de lys naissante au milieu d’un champ, la flèche de l’église St Antoine se dressait à nous tel un bras nous tirant de notre torpeur vers la place forte du village. Au milieu de cette place, s’imposait cette stèle, véritable masse de granit républicaine, ceinturée d’obus de canons en bronze, où l’on pouvait lire les noms des valeureux combattants tombés lors des deux guerres mondiales, au champ d’honneur, pour la France. Sous le souffle mugissant du vent menaçant, le bataillon s’emplissait la tête,, le cœur et les poumons de cette âme invisible mais puissante transmise par les mânes de la Patrie tombées au combat.
Tel un diable sortant de son embuscade, la pluie redoubla en encourageant les valeureux pèlerins à se réfugier à l’abri plutôt qu’à honorer leur devoir de citoyen. Mais ne cédant point à la tentation de St Antoine, ils entonnèrent la « prière du Para » qui, comme une fière Marseillaise sous l’Arc de Triomphe, perça, de son glaive enchanteur, les nuages pour les faire taire.
Arc de triomphe de Paris : Le départ des Volontaires de 1792 dite « La Marseillaise ou le chant du départ »
Arriva alors l’édile sous sa modeste hermine blanche. Surprise de voir autant de curieux pèlerins venus de si loin, elle semblait intimidée par leur droite détermination. Les membres de la Confrérie se ceignirent d’une écharpe aux couleurs de céladon et de sang. Aussitôt, sous la pluie battante, le clairon plaintif ouvrit la cérémonie et le terrible cortège se resserra autour des légionnaires au garde-à-vous. Unis comme une seule main aimante, le chef de corps joint à l’édile portèrent la gerbe verdoyante vers la grise obélisque. Soudain, d’une seule voix, la « prière du Para » reprit de plus belle comme pour rappeler aux nouvelles générations que le poids de la souffrance n’est pas une supplication mais une délivrance de l’âme en quête d’idéal.
« Mon Dieu donne moi la tourmente
Donne-moi la souffrance
Donne-moi l'ardeur au combat
Mon Dieu, mon Dieu donne-moi la tourmente
Donne-moi la souffrance
Et puis la gloire au combat
Et puis la gloire au combat».
Comme un fil d’Ariane, toute l’Histoire défile travers ce chant en saluant les ombres les plus fabuleuses de la Légende de la France : Roland de Roncevaux, Lazare Carnot, Charles Péguy, Jean Moulin, André Zirnheld, etc. De Clovis au Comité du Salut Public, toute l’âme de la France embrasse ses enfants dans ce chant sacrificiel. Les esprits les plus chagrins regrettèrent toutefois que la Marseillaise fut oubliée.
Puis le cortège se divisa en deux groupes qui chacun, d’une discipline toute militaire, suivit ses guides aux mille secrets. En trente minutes, mille ans d’Histoire défilèrent sous les oreilles et les yeux enchantés par cette merveilleuse abbaye.
Saint Antoine le Grand, également connu sous le nom d'Antoine d'Égypte, est considéré comme le père du monachisme chrétien. Né vers 251 à Coma, en Haute-Égypte, il a mené une vie de renoncement radical après avoir décidé, à l'âge de 20 ans, de tout quitter pour se consacrer à la prière et à la vie ascétique. Sa vie est principalement connue grâce au récit d'Athanase d'Alexandrie, écrit vers 360. Antoine est mort vers 356, à l'âge de 105 ans. A sa mort, saint Antoine laisse derrière lui de nombreux monastères, suivant son modèle de vie érémitique. Son tombeau est découvert, vers 561, dans une palmeraie proche de la Mer Rouge. Les reliques de saint Antoine ont été, par la suite, ramenées de Terre sainte par un seigneur du Dauphiné, Guigues Disdier, accompagné par son beau-frère, Jocelin de Châteauneuf, en 1080 à la Motte-Saint-Didier, devenue La Motte-Saint-Antoine après la construction de l’abbaye de Saint-Antoine qui ne fut achevée qu’au XIIIème siècle. Les bénédictins commencent alors la construction d'une église et d'un hôpital destiné à soigner les victimes du Mal des Ardents » une malade épouvantable qui brûle la chair des malades de l’intérieur. Et le sympathique cochon qui l’accompagne partout est tout simplement le symbole d’un ordre religieux fondé en Dauphiné en 1095 sous le nom des Antonins.
A la lecture de cette vie exceptionnelle, impossible de ne point penser à notre poète national Chateaubriand qui, dans le Génie du Christianisme venait déclamer ceci : « Saint Paul l’anachorète et Saint Antoine cherchèrent les premiers Jésus-Christ dans les déserts de la basse Thébaïde… ».
L’entrée sud de l’église était décorée d’un tympan en demi-cercle venu rappeler les riches heures de l’Ancien Testament : Isaïe, Moïse avec ses deux tables qui surprit plus d’un avec ses deux cornes...
Pénétrant enfin dans la nef de marbre, l’admiration céda au recueillement. Autour du chœur six statues venaient rappeler : St Paul s’appuyant sur son glaive, St François de Salles présentant sa Bible, St Augustin et St Eloi se faisant face avec leur crosse, St Vincent de Paul portant l’enfant Jésus et St Pierre avec sa clef encerclaient l’autel sous leur sage sapience.
A l’arrière on aperçut, dans toute sa splendeur, l’orgue en noyer massif datant de 1625 qui fut enlevé en 1805 pour être placé dans l'église Saint-Louis de Grenoble l'année suivante avant de revenir dans l'abbatiale en 1981 et d’être progressivement restaurée quinze ans plus tard.
A la gauche de la nef se cachait une petite chapelle aux murs colorés rappelant la vie du Saint Protecteur des Légionnaires, entourés de ses deux lions jadis ardents lavés, depuis, par les temps humides. Derrière le chœur se dressaient trois merveilleux vitraux gardés par quatre-vingt-dix sièges de noyer, glorifiant de part et d’autre Calixte II, grand Pontife romain passé en 1119 et St Jocelin fondateur de l’église, et au centre St Antoine le Grand avec son petit cochon rose. Encore derrière se cachait un autre monde secret tout de noyer recouvert, d’une part la salle aux saints reliques et d’autre part la Sacristie qui cachait les vieilles chasubles d’anciens Antonins de toutes les couleurs.
Le soleil couchant venait sécher l’abbaye trempée par une journée pluvieuse. Les murailles enflammées retenaient les pèlerins qui hésitaient avant de repartir. Quelques uns en profitèrent pour acheter des ouvrages sur ces hauts lieux de pèlerinage quand d’autres dégustaient le nectar de l’hydromel d’une taverne pécheresse.
La nuit tombant, le groupe se décida à redescendre vers le bus qui s’enfonça aussitôt dans les ténèbres tel un Orphée à la quête de sa douce Eurydice. Valsant entre les virages aveugles, le groupe finit par atterrir au sein d’un couvent qui abritait un hôtel trois étoiles vers dix-neuf heures.
Alors que la foule impatiente s’amassait aux portes d’un petit ascenseur, les plus valeureux d’entre nous prirent leur courage entre leurs mains, enfourchèrent leur valise et entreprirent de monter les marches une à une jusqu’au quatrième étage.
Moins de trente minutes plus tard, les légionnaires se retrouvèrent dans une grande salle pour partager le dîner de l’amitié. Trois nouveaux adhérents, dont le Père Alexandre, reçurent les insignes de la Confrérie. Après une brève prière, les Légionnaires enfourchèrent le plat de charcuterie de la région avant de déguster une délicieuse cuisse de pintade généreusement couvertes de ravioles du Dauphiné arrosées au génépi. Ce festin fut clôturé par une douce tarte aux poires et aux amandes avant de laisser la voie aux voix les plus échaudées qui entonnèrent, à tue-tête, plusieurs chants jusqu’à vingt-deux heures trente. Au son du clairon, la troupe finit par chanter en chœur la Marseillaise avant que chacun rejoigne sa chambre.
Au lever, vers huit heures, quel spectacle venait attendre nos amis dans la salle du bar ! Sous le balcon coulait, en vrombissant, la Bourne que surplombait, du haut de ses falaises raides, le vieux village médiéval de Pont-en-Royans ! Au loin, sur la gauche on devinait un petit pont en pierres s’ouvrant, telle une voûte secrète, vers une gorge profonde d’où coulait la rivière poissonneuse.
Village de Pont-en-Royans (38)
Puis s’ouvrit un petit-déjeuner fort copieux composé de merveilleuses confitures de cerises noires et d’abricots mais aussi de fromages de St Marcellin et de St Félicien dont se régala notre porte-drapeau qui semblait retourné en enfance. Hélas les réjouissances furent quel que peu contrariées par une machine à café quelque peu capricieuse et hésitante qui peinait à nourrir ces cerveaux encore rêveurs de la veille.
Après avoir rassemblé puis descendu les valises dans le bus, les Légionnaires repartirent au combat vers Saint-Antoine-l’Abbaye pour assister à la messe dominicale. Arrivant sous une pluie battante, nos poilus dimanche gravirent à nouveau le rocher lavé par les larmes du Christ qui nous attendait les bras ouverts en croix.
A dix-heures trente, rangés en double colonne ceinte d’écharpes bicolores, la cohorte des Légionnaires s’avança lentement vers l’autel, un cierge à la main, en chantant des louanges au Seigneur veillait dans sa maison chauffée par les cœurs ardents. Après une messe aussi exigeante qu’émouvante, nos pèlerins sortirent par la Porte Sud, lavés de leurs péchés de la semaine par une pluie persistante.
Dévalant la roche, nous rejoignîmes le bus qui nous attendait. Et, sillonnant les vallons du Vercors, terre fertile d’une Résistance héroïque, embrasé de ses feuilles mortes gorgées d’humus, le bus finit par atterrir à cette belle Auberge du Midi qui allait conclure un week-end qui s’annonçait déjà mémorable.
Attablés tout le long de trois rangées, nos Légionnaires attendaient scrupuleusement les consignes de leur chef de corps qui rappela la vieille coutume des bivouacs des déserts chauds : Levant le verre de vin, ils burent sec une gorgée du nectar christique et entonnèrent « Tiens ! Voilà du boudin ! » non sans une certaine émotion pour nos amis les Belges… Après une bénédiction du Père Alexandre, la Légion comme un seul corps, dégusta les caillettes encore fumantes posées sur la salade à l’huile de noix, puis s’envola vers le Septième Ciel à la redécouverte du gratin dauphinois servi avec son cochon antonin servi aux champignons des bois.
Arrivant au dessert composé d’une galette aux pommes rafraîchie par son sorbet au citron, les Légionnaires écoutèrent Marcel, le Président de l’Association des Amis des Antonins qui présenta son œuvre en invitant, non sans émotion, la Confrérie de St Antoine le Grand à rejoindre ses ouailles. Puis, fidèles à leur tradition, emportés par la voix caverneuse d’un Dante des temps modernes, nos légionnaires égrenèrent plusieurs chants rappelant la fierté d’avoir servi l’Impératrice Eugénie au Mexique.
Alors, le cœur lourd mais échauffé par une tendre et franche camaraderie, nos Légionnaires rejoignirent le bus en partance pour les routes du Sud, assurés d’une victoire en chantant… celle d’avoir remplir ces jours de lumière et de vie : « FOS » et « ZOÊ ».
![]() |
![]() |
![]() |
- Vues: 495



